Cet ouvrage est publié à l'occasion de l'exposition de mounir fatmi, "c'est encore la nuit", présentée du 14 avril au 16 mai 2015, dans le cadre de la Saison culturelle France-Maroc.
Pourquoi parler de cet ouvrage aujourd'hui? Parce qu'une édition a paru en 2018.
Cet ouvrage comprend quelques textes et des photos d'un lieu en noir et blanc. Rien de plus banal. Ce qui l'est moins, c'est que Mounir Fatmi a réalisé une installation dans ce lieu, qu'il a donc réaffecté, puis photographié.
La prison de Kara, à Meknès (Maroc), est ce lieu. Elle a été construite au XVIIe siècle par le sultan Moulay Ismaïl, en sous-sol... Y étaient enfermés des prisonniers de droit commun et des esclaves chrétiens enlevés par des pirates.
Cette prison, sombre et étouffante, souterraine, est immense: elle pouvait contenir jusqu'à quarante mille détenus et 80 oculus y apportaient lumière et aération. C'est aujourd'hui un espace où il est facile de se perdre, précise le plasticien
Celui-ci a eu l'idée d'installer des disques sous les 80 oculus et sur ces disques de faire calligraphier, en arabe et en français, des extraits de poèmes de Abderrahman El Madjoub, poète soufi populaire au Maroc.
Ce poète meknassi du XVIe siècle peut sans doute être qualifié de révolutionnaire, surtout pour son époque. Il débutait en effet tout par le doute: le doute est le commencement de la sagesse, disait-il, sentence aimée de l'artiste.
La prison de Kara est aujourd'hui un lieu où des jeunes gens amoureux se donnent des rendez-vous secrets et où ils inscrivent sur les murs graffitis et mots d'amour.
Avec cette installation, la prison de Kara, détournée déjà de sa destination initiale, s'est vue introduire un moyen d'évasion, la poésie, dont Varlam Chalamov (vingt ans de Goulag) disait, relate Barbara Polla, qu'il est le cinquième besoin fondamental de l'homme oublié par Thomas More...
L'artiste a donc parachevé de faire d'un lieu d'enfermement, un espace de liberté, auquel aspirait l'amour... succédant à la détention.
Francis Richard
C'est encore la nuit, Mounir Fatmi, 112 pages, SFpublishing