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Gilets jaunes : une exaspération qui vient de loin...

Publié le 21 novembre 2018 par Albert @albertRicchi
Gilets de haute visibilité Se loger, se nourrir, s’habiller, régler ses factures d’électricité, gaz et eau, assurances obligatoires, impôts et autres taxes ou forfaits de toute sorte, l’addition est de plus en plus lourde en fin de mois pour l'ensemble des salariés et retraités.  
Et aujourd'hui, le mouvement des Gilets jaunes n’est que le révélateur de ce fort sentiment de régression du pouvoir d’achat qui prédomine depuis de nombreuses années dans la population française… 
Après la suppression de Impôt de solidarité sur la fortune (près de 5 milliards €) et la mise en place d’une taxe allégée sur les revenus financiers (près de 4 milliards €) pour les familles les plus riches et dans le même temps la baisse de 5 € des APL pour les ménages modestes, l’augmentation de 6,6% à 8,3% de la CSG (1,7 point de plus, soit une hausse de 25%) pour une majorité de retraités, la réduction des dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat qui asphyxie les collectivités territoriales, l’explosion d'une multitude de taxes qui passent le plus souvent inaperçues : taxes sur les assurances, l'audiovisuel, les certificats d'immatriculation et le contrôle technique des véhicules, l'énergie (augmentation de 44% de la taxe Intérieure de consommation sur le gaz naturel), l'immobilier, les jeux, les mutuelles, le soda, les spectacles, le tabac et les alcools, les transports, le prix du timbre, les péages auto-routiers, etc., le gouvernement d’Emmanuel Macron a accentué fortement la baisse du pouvoir d’achat des salariés et retraités.  Pour autant, cette baisse générale du pouvoir d’achat, sous-estimée par la classe politique, les experts économiques et les journalistes des grands médias est lié à deux phénomènes qui existent depuis plusieurs décennies et dont personne ne parle.  

La suppression de l’échelle mobile des salaires en 1982  

Les pouvoirs publics et le patronat ont pris l’habitude de proposer, dans leurs secteurs respectifs (public et privé) un pourcentage d’augmentation des salaires, des pensions et autres avantages sociaux toujours inférieur à l’indice des prix qui est lui-même déjà sous-évalué. Ce scénario se reproduit cahin-caha, depuis qu’en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, la gauche a opéré un tournant historique.
Dans la Fonction Publique, l’Etat bloqua les salaires qui avaient suivi l’évolution des prix les années précédentes. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à faire de même en les invitant à faire évoluer les salaires en fonction non de la hausse réelle des prix, mais du taux d’inflation « prévu » par le gouvernement. Les clauses d’indexation des salaires sur les prix furent une à une retirées des conventions collectives dans les années qui suivirent. Les lois Auroux réaffirmèrent leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords ». Autre conséquence de l’interdiction de la réévaluation automatique des salaires en fonction de l'inflation, le salaire d’embauche est de plus en plus souvent inférieur au SMIC dans les branches professionnelles. Une prime dite « résorbable » est alors versée aux salariés concernés mais sans toucher aux salaires supérieurs au SMIC, cette pratique est responsable d’un tassement continue des salaires vers le bas de l’échelle. Enfin, les montants des allocations ou prestations versées par divers organismes (allocations familiales, pensions de vieillesse ou d’invalidité, allocations chômage, etc.) n'augmentent plus comme c’est le cas aussi des retraites complémentaires ARRCO et AGIRC dont le point d’indice, à l’image de celui des salaires de la Fonction publique, a été purement et simplement bloqué pendant plusieurs années.  Pourtant, une réintroduction de l’échelle mobile des salaires, datant de juillet 1952 sous la présidence de Vincent Auriol (SFIO), protégerait efficacement le pouvoir d’achat des salariés et retraités. Ce système existe dans plusieurs pays d’Europe comme la Belgique et le Luxembourg. Elle peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil ou ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées. Elle existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation constatée. De plus, l'échelle mobile des salaires favorise une solidarité entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent alors se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires, puisque l’indexation automatique garantit uniquement la compensation de la baisse du pouvoir d’achat. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat favorise aussi la consommation et donc la croissance économique. Et contrairement à certains pseudo-consultants qui professent à longueur d’année sur les plateaux radio-télé et qui se félicitent de la suppression de l’échelle mobile au début des années 80, celle-ci ne nuirait pas au développement économique et ne favoriserait pas non  plus l’inflation basée sur l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours des mois précédents. Ces " experts économiques " ont tendance à confondre les notions de réelle augmentation des salaires (supérieure au taux d’inflation) et de simple ajustement des salaires suite au mécanisme d’indexation (inférieur ou égal au taux d’inflation). Et aujourd’hui, si Emmanuel Macron voulait réellement préserver le pouvoir d’achat des Français, au moins ceux des couches modestes et moyennes, il lui suffirait de rétablir le principe de cette indexation garantissant une évolution des salaires et pensions parallèle à celle des prix. 

La part trop importante des impôts indirects dans le budget de l’Etat

L’étude du système fiscal d'un pays, et notamment la part des impôts indirects et taxes parafiscales dans le total des recettes budgétaires, permet de se rendre compte des priorités de l’Etat en matière de justice sociale.  La vieille technique d’augmentation des impôts indirects, utilisée depuis longtemps pour compenser la faiblesse des rentrées fiscales issues de l'impôt sur le revenu (IR) ou de l'impôt sur les sociétés (IS) a fini par faire de la France l’un des pays les plus inégalitaires d’Europe. Ces impôts indirects sont d’autant plus injustes qu’ils ils touchent sans distinction tous les foyers, y compris ceux, qui à cause de la faiblesse de leurs revenus, ne sont pas assujettis à l'IR (plus de 50% des foyers). Ils deviennent ainsi de moins en moins lourds au fur et à mesure que le contribuable est plus aisé.  Dans le cadre de l'évaluation des recettes perçues par l'Etat en 2018 (article 57 de la loi de finances initiale pour 2018), sur près de 287 milliards d’euros de recettes, 154 le sont au titre de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), 13 milliards au titre de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, ex TIPP), l’impôt sur le revenu (IR) participant seulement à hauteur de 72 milliards € et l’impôt sur les sociétés (IS) à hauteur de 25 milliards €, 20 milliards € étant référencés aux rubriques « autres recettes fiscales ».  Au vu de ces chiffres, on s’aperçoit que la TVA (53,9% des recettes budgétaires) rapporte 2 fois plus que l’IR (25,3%). Si l’on y ajoute la TICPE (4,7% des recettes budgétaires), ce sont près de 60% des recettes fiscales qui proviennent d’impôts indirects touchant uniquement le consommateur qui est ainsi taxé par rapport à sa consommation et non par rapport à son revenu.  Sans compter la fiscalité locale ensuite qui est devenue de plus en plus insupportable au fil des ans et qui ne dépend pas elle aussi du revenu des contribuables, sauf pour les foyers les plus pauvres bénéficiant déjà d'une d'exonération. De plus, les bases d'imposition sur la valeur locative sont totalement archaïques car elles datent de 1961 (taxe foncière) et de 1970 (taxe d’habitation). Résultat : un habitant de banlieue peut payer plus cher qu'un contribuable aisé résidant dans un immeuble des beaux quartiers parisiens !  Emmanuel Macron entend supprimer la taxe d'habitation mais ce faisant il la supprime aussi pour les personnes les plus riches, la maintient pour toutes les résidences secondaires et ne dit rien sur sa compensation auprès des collectivités locales qui vont être tentées d'augmenter la taxe foncière qui est aussi injuste que la taxe immobilière.  Autre évolution grave, c'est celle de l'érosion continue des remboursements de l'Assurance maladie : forfait journalier hospitalier, retenues forfaitaires pour chaque visite médicale et chaque boîte de médicament, dépassements généralisés des honoraires, nombre de plus en plus grand de médicaments déremboursés partiellement ou totalement par la sécurité sociale sans oublier le ticket modérateur qui reste à charge des assurés sociaux qui n'ont pas les moyens financiers de s’offrir une mutuelle.  L'article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous rappelle que chaque citoyen doit participer à la mutualisation des moyens financiers de l'Etat. Mais selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),  la France, avec 25,3 %, est loin derrière certains pays qui donnent la priorité à l’impôt sur le revenu (IR) en matière de recettes fiscales. Le pourcentage est de 53% au Danemark, 32% en Belgique, Suède et Finlande, 29% au Royaume-Uni. Le Danemark s’honore en dépassant le seuil de 50% des recettes de l’Etat, acquises par le seul IR.  Tous les gouvernements successifs, depuis 1983, portent donc une lourde part de responsabilité dans les difficultés financières que rencontrent aujourd'hui des millions de personnes. Et quand on sait que, dès 1974, Pierre Mendès France (qui était pourtant un modéré) préconisait déjà de diminuer la part des impôts indirects dans les ressources globales de l’Etat pour mieux lutter contre les injustices sociales, on mesure l'importance du sujet et le chemin qui reste à parcourir pour une fiscalité plus juste et un système de protection du pouvoir d’achat des salariés et retraités… 
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