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Phénoménologie de la chambre à gaz, de Didier Durmarque

Publié le 24 novembre 2018 par Francisrichard @francisrichard
Phénoménologie de la chambre à gaz, de Didier Durmarque

..., écrit je suis de la génération qui fait de la Shoah un problème pour la raison et de la raison. Comment un principe [pour la philosophie] peut-il être à la fois un problème? Il faut se tourner vers la chambre à gaz et vers une phénoménologie ontologique de la chambre à gaz pour répondre à ce questionnement Didier Durmarque.

Avant d'y répondre, il faut avoir présent à l'esprit deux herméneutiques:

(c'est celle que privilégie l'auteur)

La destruction des Juifs d'Europe n'a en effet été rendue possible qu' à partir de structures rationnelles: droit, bureaucratie, économie, technique etc. C'est en cela que la Shoah est un condensé, une quintessence de la modernité.

Il s'agit cependant d'unir ces deux visions, l'une historique, l'autre philosophique, et, par une approche phénoménologique, de mettre , selon l'expression de comme la chambre à gaz au centre du dispositif Jean-Claude Milner, parce que la chambre à gaz n'est pas un objet un autre :

Il est remarquable que le négationnisme touche principalement la question de la chambre à gaz...

I Phénoménologie ontologique de la chambre à gaz

Dans cette partie, la recherche de Didier Durmarqueaboutit à dire que la chambre à gaz est:

- une technique du point de vue des bourreaux: elle se déploie à partir d'une technique organisationnelle en amont qui la rend possible

- un objet phénoménologique distinct du camp d'extermination

II La chambre à gaz comme ontologie phénoménologique

Didier Durmarque distingue trois révolutions industrielles, qui se caractérisent:

- la première par la supériorité ontologique de l'objet fini

Aujourd'hui donc l'essence de la technique tend à transformer le monde en un système qui se présente comme un réseau mondial de marchandises, où le monde se présente comme un dispositif indéfiniment livrable :

Avec l'abandon du politique au profit de l'organisation du travail, du renversement ontologique de la valeur de l'objet au détriment de l'être de l'homme, le totalitarisme devient technique.

Et c'est un totalitarisme plus redoutable que les précédents, parce que le technicisme [...] dissout l'action humaine qui se mue en élément machinique : la machine administrative décide, les individus devenus rouages agissent sans se poser de questions. Décisions et actions sont complètement disjointes :

Le monde du travail, entièrement déterminé par la loi des choses, reproduit à la lettre [...] les mécanismes d'obéissance et de déresponsabilisation à l'oeuvre dans la structure pyramidale qui, de l'agent administratif au bourreau, rend possible Shoah et Porajmos et transforme le "plus jamais ça", stéréotype mémoriel creux en possibilité réelle, menace perpétuelle.

Certes la technique a une fonction instrumentale et un apparaître élémentaire, mais dans la dimension systématique, autarcique de la technique se joue une dimension, métempirique, qui relève absolument et exclusivement de la question de l'Être .

En conséquence, avec pour fil conducteur, L'obsolescence, le livre de Günther Anders, l'auteur souligne que:

- La question de l'Être n'est ni religieuse ni métaphysique, mais résolument une question technique

- La chambre à gaz n'est pas un objet technique comme un autre:

  • [elle] est un objet dont l'essence cache son expérience
  • [elle] est la seule expérience de l'Être qui constitue [...] une sortie de l'Être
III La chambre à gaz comme nouveau Sinaï

Après avoir rappelé que l'acte philosophique se fonde sur logos l'opposition irréductible et principielle entre et Révélation et que la métaphysique est le discours qui arrache l'idée de Dieu à la Révélation , l'auteur montre que:

- mais qu'elles se rencontrent à partir de l'Être, à partir du néant, à partir du temps, à partir de la question de la technique

Que s'est-il passé au mont Sinaï il y a 1450 ou 1430 ans avant notre ère? La donation des dix commandements, qui sont en fait de l'ordre , comme le dit de l'être de la parole Marc-Alain Ouaknin, c'est-à-dire une donation d'Être.

La chambre à gaz a été définie comme un nouveau Sinaï, non pas un Sinaï qui annule l'autre, mais un Sinaï qui le menace et cherche à le dissoudre : elle est danger de l'Être.

Conclusion

- Il faudrait revoir notre rapport à la raison : elle s'est pervertie en rationalité au service d'elle-même, au détriment de la raison comme raisonnable, et de la raison comme relationnel

- Alors que la métaphysique et le discours religieux avaient été une réponse à la question de l'Être, la technique s'impose, sans le dire et en mé-disant la sphère du verbe, comme une solution au problème de l'Être

Sous la plume de Didier Durmarque, l'expression Deus ex machina prend alors tout son sens:

Dire que l'essence de la technique n'est pas technique, c'est dire que l'essence de la technique est divine...

Tout cela m'apparaît bien pessimiste, bien catastrophiste. C'est d'ailleurs prêter à la technique une essence qui me semble plus humaine que divine... et, en tout cas, à laquelle s'oppose ma résilience intrinsèque d'être humain, et d'ingénieur, rendu fort grâce au et... à la Révélation.

Si, par aventure, la technique, un jour, dominait vraiment les hommes - ce qu'à Dieu ne plaise -, ce serait parce qu'ils le voudraient bien... Mais il ne faut évidemment pas l'exclure quand on voit, dans nos pays, leur soumission à l'État-providence, forme déguisée, mais bien réelle, d'une oligarchie.

Francis Richard

Phénoménologie de la chambre à gaz, Didier Durmarque, 168 pages, L'Âge d'Homme

Livres précédents:

Enseigner la Shoah, UPRR (2016)

Philosophie de la Shoah, L'Âge d'Homme (2014)


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