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Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR

Publié le 28 novembre 2018 par Sylvainrakotoarison

" La séduction suprême n'est pas d'exprimer ses sentiments ; c'est de les faire soupçonner. " (Jules Barbey d'Aurevilly, 1889).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR
Près de 10 millions de citoyens malgaches (précisément 9 949 083 [9 913 599]) étaient convoqués le mercredi 7 novembre 2018 pour élire leur nouveau Président de la République. Trente-six candidats étaient présents dans la compétition du premier tour, dont quatre anciens Présidents de la République. J'ai déjà écrit sur les enjeux du premier tour.
Contrairement à la France où les résultats électoraux arrivent officieusement dès la minute qui suit la fermeture du dernier bureau de vote (en général, à 20 heures, sauf pour les élections européennes), et où les résultats officiels sont communiqués un ou deux jours plus tard, les phases de dépouillement puis d'annonce des résultats sont toujours politiquement sensibles et tendues. Cela a valu la plongée du pays dans six mois d'arrêt économique et de crise politique majeure en 2001-2002.
Après la publication des résultats provisoires le samedi 16 novembre 2018 par la CENI (Commission électorale nationale indépendante), la Haut Cour Constitutionnelle (HCC) vient de publier ce mercredi 28 novembre 2018 les résultats définitifs de ce premier tour de l'élection présidentielle du 7 novembre 2018 (ces résultats officiels sont consultables ici).
Entre ces deux dates, la HCC a eu à instruire les éventuelles contestations des candidats. Beaucoup d'irrégularités ont été annoncées mais finalement, la différence entre les deux publications (CENI et HCC) est relativement faible. J'ai mis entre crochets les résultats provisoires annoncés par la CENI (la HCC a annoncé un nombre d'électeurs inscrits supérieur à celui annoncé de la CENI, ce qui peut être troublant puisque, a priori, ce nombre devrait être connu avant même la tenue du scrutin).
Il y a eu un taux de participation de 53,95% [54,23%], ce qui est assez faible et montre un véritable désenchantement sur la confiance populaire dans le processus démocratique et surtout, sur la pauvreté de l'offre politique (la classe politique malgache est régulièrement critiquée pour son incapacité à relever le pays). Par ailleurs, il y a eu 386 946 bulletins blancs ou nuls [392 835].
Comme c'était à la fois à prévoir et à craindre, les deux candidats arrivés en tête sont les frères ennemis et anciens Présidents Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana. Le premier a obtenu 1 954 023 voix soit 39,23% des suffrages exprimés [39,19%] et le second 1 760 837 voix soit 35,35% des suffrages exprimés [35,29%].
Quant au Président sortant Hery Rajaonarimampianina (HR dans mon titre), qui a dû démissionner le 7 septembre 2018 pour participer à ce scrutin, il n'est arrivé qu'en troisième position et s'est effondré à 439 070 voix soit 8,82% des suffrages exprimés [8,84%]. Les autres candidats ont obtenu moins de 1,3%, en particulier l'ancien Président Didier Ratsiraka, ancien dictateur communiste de 1975 à 1992 et ancien Président démocratiquement élu de 1997 à 2002, qui n'a recueilli que 22 222 voix soit 0,45% des suffrages exprimés [0,45%].
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR
Le comportement des deux premiers candidats après le premier tour a été le suivant. Les deux ont protesté contre des irrégularités qui leur seraient défavorables. Marc Ravalomanana a cependant retiré toutes ses réclamations, considérant comme acquise l'existence du second tour prévu le mercredi 19 décembre 2018 qui l'opposera à Andry Rajoelina. Le 27 novembre 2018, Marc Ravalomanana a même annoncé avoir pris des contacts avec des proches du Président sortant Hery Rajaonarimampianina. Quant à Andry Rajoelina, il a voulu adopter le comportement de son rival lors de la crise de 2001-2002, à savoir, s'autoproclamer élu dès le premier tour et ne pas reconnaître les résultats provisoires du 16 novembre 2018. Pour l'instant, rien n'indique qu'il ne reconnaîtrait pas les résultats définitifs du 28 novembre 2018. S'il ne les reconnaissait pas, il se mettrait en dehors du processus démocratique, comme il l'avait fait du reste en faisant le putsch du 17 mars 2009.
C'était donc très inutile d'avoir rendu impossible la candidature de Marc Ravalomanana et d'Andry Rajoelina en 2013. Cinq ans ont ainsi été perdus, car si de nouveaux candidats au second tour de 2018 auraient été salutaires pour la respiration démocratique malgache, il était évident qu'il fallait auparavant crever l'abcès du putsch et de la transition, et le seul moyen, c'était un combat démocratique à la loyale entre le "déposé" et le "déposeur". En clair, il fallait que le peuple réglât ce différend d'une manière ou d'une autre.
Il faut imaginer ce qu'il s'est passé à Madagascar entre janvier 2009 et janvier 2014 : de nombreuses manifestations dans la capitale pour contester l'autorité du Président de la République Marc Ravalomanana, puis, finalement, au bout de deux mois, avec l'appui de l'armée, le Président démocratiquement élu fut déposé et Andry Rajoelina a pris le pouvoir pendant presque cinq ans, sans n'avoir eu aucune légitimité démocratique. Cela a conduit le pays dans une impasse financière terrible car la "communauté internationale" a réagi en interrompant ses aides financières (la santé, la faim, la scolarisation des enfants, etc. ont été gravement touchées par cette si longue "transition"). C'est peut-être ce scénario que les "gilets jaunes" voudraient en France en voulant marcher sur l'Élysée et en réclamant la démission du Président Emmanuel Macron démocratiquement élu...
Revenons à Madagascar en 2018. Moins de 200 000 voix séparent donc les deux finalistes du second tour du 19 décembre 2018. La bataille restera donc rude et les résultats du second tour promettent d'être serrés, ce qui pourrait donc laisser la possibilité de contestation et de non reconnaissance de la défaite pour le candidat qui ne serait pas proclamé officiellement élu.
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR
Néanmoins, je voudrais terminer par une note positive et optimiste. Certes, le retour de l'un ou l'autre des anciens Présidents de la République fera que le pays aura du mal à tourner une nouvelle page. Mais il aura au moins vidé l'abcès et pourra repartir sur de nouvelles bases politiques plus saines à condition que les deux candidats reconnaissent les résultats du second tour.
Le positif, c'est que les résultats du premier tour sont clairs et peu contestables. Je ne sais pas quelle va être la réaction d'Andry Rajoelina, mais il semble peu en mesure de contester l'existence d'un second tour avec plus de 10% de retard sur une élection qu'il aurait voulue dès le premier tour. En effet, selon les résultats définitifs de la HCC, il lui manque 536 380 voix pour prétendre gagner dès le premier tour : personne ne pourrait affirmer que la prise en compte d'éventuelles irrégularités qui n'auraient pas été prises en compte par la HCC serait en mesure de redresser les résultats d'une si grande amplitude.
Du reste, les résultats du premier tour sont extrêmement clairs malgré la confusion initiale des trente-six candidatures : seuls, trois candidats sont sortis du lot dans l'esprit des électeurs. Le Président sortant, Hery Rajaonarimampianina, qui comptait sur la rivalité Ravalomanana/Rajoelina pour passer entre les comptes du discrédit généralisé des électeurs, ne peut prétendre à rien, en dessous de 10%. Quant aux deux finalistes, entre 35% et 40% des voix, ils sont suffisamment faibles pour devoir accepter un second tour et suffisamment forts pour que leur présence au second tour ne soit pas contestable par les autres candidats. La seule incertitude réelle, c'est la réalité de l'ordre d'arrivée, mais c'est très secondaire et anecdotique puisque l'importance sera surtout pour l'ordre d'arrivée au second tour et pas au premier tour.
Autre réflexion : aucun candidat extrémiste ou populiste n'a réussi à se présenter et à émerger électoralement en alimentant son fonds de commerce de la contestation contre la classe politique actuelle, au contraire de nombreux pays européens (Hongrie, Pologne, Autriche, Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, etc.), mais aussi du reste du monde (États-Unis, Brésil, Philippines, etc.). C'est là un atout décisif du peuple malgache. Indépendamment des querelles intestines qui l'empêchent d'avancer, il ne s'en remet pas pour autant à un trumpisme populo-simplificateur... même si l'on pourrait affirmer que les représentants de la classe politique actuelle pourraient en faire partie.
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR
En quelques sortes, ces résultats du premier tour de l'élection présidentielle malgache de 2018 auraient pour équivalent français un second tour présidentiel en 2022 entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, avec un Emmanuel Macron loin derrière en troisième position au premier tour. En d'autres termes, c'est bien une remontée dans le temps que les électeurs malgaches ont souhaitée en favorisant ceux qui, des candidats, à grand renfort de budget électoral, veulent revenir au pouvoir.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Résultats définitifs officiels du premier tour de l'élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L'élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l'élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n'est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L'élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s'était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l'élection présidentielle.
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181128-presidentielle-madagascar.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/11/28/36901154.html


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