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La fin du Sida, c’est encore possible ! (ma tribune dans le Huffington Post)

Publié le 02 décembre 2018 par Jeanlucromero

Alors que nous célébrons aujourd’hui la Journée mondiale de lutte contre le Sida, il est temps pour nous de faire le bilan. Dans nos représentations collectives, le Sida est encore perçu comme une maladie sans issue. Pourtant, la fin du Sida, c’est bien possible ! pour peu que nous nous donnions les moyens.
Le cadre d’action onusien
L’ONUSIDA souhaite mettre un terme au Sida à l’horizon 2030 ! Mais pour y parvenir, il faudrait d’ici 2020 que : 90% des personne séropositives soient dépistées, que 90% de ces personnes séropositives soient sous traitement et qu’enfin 90% d’entre elles aient une charge virale indétectable. Alors quel bilan pouvons-nous dresser ? car au final, 2020 c’est demain !
La poursuite de ces objectifs reste malheureusement très disparate à travers le globe. La région la plus avancée reste sans aucun doute l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale et centrale. Mais là encore certains chiffres sont loin du compte. En 2017, d’après une enquête de l’ONUSIDA parue en 2018, au sein de la région « Amérique du Nord et Europe de l’Ouest et centrale », seulement 65% des personnes vivant avec le VIH ont une charge virale indétectable. Nous sommes bien loin des 90% escomptés à l’horizon 2020 !

EN 2017, PART DES PERSONNES SÉROPOSITIVES[1]

OBJECTIFS D’ICI 2020 : 90 – 90 - 90

…DÉPISTÉES

…SOUS TRAITEMENT

…AYANT UNE CHARGE VIRALE INDÉTECTABLE

AFRIQUE AUSTRALE ET DE L’EST

81%

66%

52%

AFRIQUE DE L’OUEST ET CENTRALE

48%

40%

29%

AFRIQUE DU NORD ET MOYEN-ORIENT

50%

29%

22%

AMÉRIQUE DU NORD ET EUROPE DE L’OUEST ET CENTRALE

85%

76%

65%

AMÉRIQUE LATINE

77%

61%

52%

ASIE ET PACIFIQUE

74%

53%

45%

CARAÏBES

73%

57%

40%

EUROPE DE L’EST ET ASIE CENTRALE

73%

36%

26%

Poursuivre les mesures préventives…
Les effets combinés de la hausse des dépistages et des traitements ont prouvé leur pouvoir préventif. Plus le nombre de personnes séropositives sont dépistées, plus elles sont sous traitement, moins elles présentent un risque de transmission du virus. Les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD) jouent déjà un rôle très important dans ce sens.
Mais il faudrait désormais aller plus loin. Les autotests, par exemple, présentent l’avantage de toucher encore plus de populations : celles et ceux pour qui la discrétion est indispensable ou qui par pudeur seraient plus à même de réaliser le test seuls. Aussi, pas tout le monde vit près d’un CeGIDD ! L’autotest a donc cette capacité de réduire les distances entre le patient et son dépistage. Mais son coût reste tout de même onéreux et non remboursé par l’Assurance maladie : comptez environ 20€ ! Les organismes de couverture sociale devraient au moins prendre en charge une partie de son coût.
De la même manière, le remboursement annoncé par Agnès Buzyn du préservatif est une bonne nouvelle que je souhaite saluer de nouveau. Il s’agit d’un premier pas vers la gratuité. Le préservatif est à la base de toute politique de prévention du VIH. Mais là encore, de nombreuses questions restent en suspens : quel est le niveau de remboursement ? le reste à charge sera-t-il remboursé par les mutuelles ? dans quelles conditions se fera la prescription ? Autant d’interrogations qui laissent penser qu’un simple remboursement partiel sur la base d’une prescription médicale ne peut s’avérer pleinement satisfaisante.
…De façon à la fois systémique et ciblée
Nous pouvons déployer toutes les mesures préventives que l’on veut. Si l’on ne lutte pas efficacement contre les préjugés sérophobes, tout ce travail peut s’avérer inefficace. Le regard que jette la société sur les personnes séropositives est bien hostile et accusateur. Les personnes séropositives ont presque tendance à se sentir coupables d’avoir contracté le virus. C’est consternant de noter une telle évolution depuis les années 1990 où une véritable empathie se dégageait des premières campagnes de sensibilisation. Cette hostilité désormais quasi-endémique peut malheureusement freiner certaines personnes à se faire dépister, par crainte de découvrir qu’elles appartiennent à un groupe longtemps pointé du doigt. Il est donc très important de lutter contre la sérophobie ; il en va de la lutte même contre le VIH !
À Élus locaux contre le Sida (ELCS), que j’ai le plaisir de présider, nous avons conçu avec l’aide de mon défunt époux, Christophe, à qui je souhaite rendre ici un hommage, une exposition itinérante. Nous l’avons intitulée : « Portraits de Vi(h)es ». Christophe avait conçu cette exposition comme un moyen de sortir les personnes séropositives de leur statut de patient et leur redonner la place de sujet. Mon vœu serait que le travail de Christophe se poursuive avec des initiatives similaires partout en France, en Europe et dans le monde pour combattre la sérophobie et de ne pas créer chez les personnes qui souhaitent se faire dépister une peur supplémentaire à celle de contracter le virus : appartenir une catégorie sociale à la marge !
Il y a aussi des populations vulnérables que l’on doit prendre en compte avec plus de précautions : les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH) et les personnes nées à l’étrangers – dont les ¾ en Afrique subsaharienne. Ces deux populations constituent respectivement 45% et 38% des nouvelles découvertes en France en 2017[2]. Il convient d’accorder plus de moyens à la prévention pour ces populations et s’adresser à elles dans les lieux de socialisation communautaires.
Sur la question des personnes nées à l’étranger, il convient d’intégrer davantage les enjeux de lutte contre le Sida aux politiques françaises d’aide au développement. Aujourd’hui, le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), ne comporte aucune association agissant exclusivement dans le champ du VIH[3], même si je tiens à saluer la présence d’associations comme Médecins du Monde. La prise en compte de la propagation du virus doit orienter les champs d’action de notre aide au développement.
Aussi, ne laissons pas de côté ces populations, oubliées de la prévention : les seniors ont constitué en 2016 20% des nouvelles découvertes de séropositivité[4]. Pourtant, la prévention ne s’adresse que très peu à cette population.
Une maladie politique
Nous avons aujourd’hui les moyens et les outils pour lutter contre le Sida en France mais aussi dans le monde. Nous avons juste besoin d’une volonté politique forte et d’une mobilisation médiatique importante. Nous devons changer de paradigme et replacer le problème dans son contexte mondial. Et c’est en cela que nous devons interpeller nos politiques, non seulement pour agir au niveau de la France, mais aussi poursuivre ce qui se fait déjà pour aider et accompagner les pays les plus pauvres dans leur combat contre la maladie. En ce sens, le fait que la France soit à ce jour le deuxième donateur du fonds mondial de lutte contre le Sida, en plus d’accueillir, en octobre 2019, la prochaine Conférence de reconstitution des ressources de ce Fonds est le signe que nous devons maintenir la pression sur nos dirigeants pour porter la voix d’un internationalisme anti-Sida actif.  
En hommage à Christophe Michel-Romero, ma moitié d’Orange

« Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis » Victor Hugo

[1]UNAIDS data 2018. Disponible à ce lien : http://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/unaids-data-2018_en.pdf

[2]« Le VIH/sida en France en 2018 » Vih.org. Disponible à ce lien : http://vih.org/dossier/vihsida-en-france-en-2018

[3]Consultez la liste des membres du CNDSI à ce lien : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement/le-conseil-national-pour-le-developpement-et-la-solidarite-internationale-cndsi/

[4]Santé Publique France, « Découvertes de séropositivité́ VIH chez les seniors en France, 2008-2016 », 27 novembre 2018. Disponible à ce lien : http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/40-41/pdf/2018_40-41_1.pdf


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