Face à la hausse des prix du carburant depuis quelques mois, la grogne monte auprès des automobilistes français. Cette hausse s’explique par celle du prix du cours du pétrole qui a atteint son plus haut niveau courant octobre. Le cours du Brent (valeur de référence du prix des approvisionnements pour la zone Europe et une partie de l’Afrique et de la Méditerranée) s’est fixé le 8 octobre 2018 à 85,44 dollars le baril (74,04 euros le baril), selon l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Le coût du pétrole brut compte seulement pour un peu plus d’un quart du prix. Les prix à la pompe de l’essence et du gazole sont composés du coût du pétrole brut, des coûts de production et de distribution du carburant et des taxes spécifiques. Ce sont les taxes qui pèsent le plus : environ 60% du prix à la pompe (connaissancesdesenergies.org), la plus importante étant la TCIPE (Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Energétiques). Elle constitue la 4e recette de l’État après la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Selon le Comité professionnel du pétrole (CPDP), les produits pétroliers sont soumis à différentes taxes : la TICPE, la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) et enfin la TVA.
L’objet de la colère
Au 19 octobre 2018, le prix du gazole affichait en moyenne 1,5225 euro le litre à la pompe (0,659 euro hors taxe) soit +23% en un an, celui du prix de l’essence sans-plomb 95 à 1,5555 euro le litre (0,605 euro hors taxe) soit près de plus de 15% en un an. Et, dans sa quête de transition énergétique, le gouvernement maintient les taxes et prévoit dans le projet de la loi de finances 2019 (PLF) un alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. Le diesel compte pour près de 80 % de la consommation de carburant en France, selon le CPDP. Le budget prévoit une hausse des taxes au 1er janvier 2019, de l’ordre de 6,5 centimes sur le diesel et de 2,9 centimes sur l’essence. Cette situation semble pénaliser les automobilistes français, en particulier ceux dont le véhicule est la solution de mobilité incontournable pour leur activité professionnelle ou concernés par les zones non desservies par les transports.
Une colère organisée principalement autour de quelques citoyens
Face à cette envolée des prix, on assiste à une ébullition de protestations, de la part des citoyens, d’associations et de certaines fédérations professionnelles. L’Internet et les réseaux sociaux ainsi que les médias ont accéléré les choses. L’association 40 millions d’automobilistes (partenaire du CCFA, comité représenté par le Groupe PSA, le Groupe Renault et Renault Trucks, qui défend les intérêts des constructeurs français et de la filière automobile) avait lancé l’opération « Coût de pompe ». Celle-ci consistait à proposer aux conducteurs d’adresser leur ticket de carburant directement à l’Elysée. L’association motive son opération en demandant « au gouvernement d’alléger les taxes qui pèsent sur les carburants…». Mais durant le mois d’octobre, celle qui a fait le plus de bruit médiatiquement, au travers notamment de la presse et de la télévision, c’est une pétition lancée quelques mois plus tôt par une citoyenne. Elle aurait récolté début novembre plus de 700 000 signatures via le site «Change.org». Cette pétition n’est pas la seule sur ce site. En effet, on en retrouve plus d’une centaine avec le mot clé carburant. Les pétitions s’enchaînent par ailleurs, via le site Mesopinions.com. Cette protestation est rejointe par d’autres citoyens dont la médiatisation soudaine s’est exprimée par le nombre de vues sur Facebook (cinq millions). La vidéo, qui vient exprimer un ras-le-bol, a été fortement relayée par les médias. Ces citoyens ont été mis en avant sur les médias et via les réseaux sociaux, faisant monter le mouvement de protestation. La colère a également été rendue visible dans les médias, par de nombreuses interviews d’automobilistes.
En parallèle, un appel à manifester le 17 novembre depuis une page Facebook, a fait écho après la fameuse pétition. Ce mouvement, lancé par deux chauffeurs routiers, incite au blocage sur l’ensemble du territoire et appelle chaque automobiliste à mettre son gilet jaune en guise de manifestation. Un site Internet blocage17novembre.com a été mis en place. Cet appel au blocage a été par ailleurs encouragé par des personnalités politiques telles que Marine Le Pen (Rassemblement National) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout La France). L’événement a pris de l’ampleur dans le temps et les personnes rejoignant cette contestation ont été rapidement rebaptisés « les gilets jaunes » par les médias, reliant ce phénomène aux «bonnets rouges», mouvement contestataire apparu en Bretagne en 2013, contre l’écotaxe. Simultanément, les médias France Info et Le Figaro ont commandé un sondage réalisé par Odoxa-Dentsu Consulting où il en ressort que près de 8 français sur 10 sont favorables au blocage. Depuis, une centaine de groupes Facebook ont été créés, faisant appel au blocage.
Au-delà des citoyens et des associations, quelques fédérations professionnelles ont donné le ton. C’est le cas de la Fédération régionale des Travaux publics de Champagne-Ardenne qui a mené lundi 5 novembre des opérations escargots avec l’aide de plus d’une centaine de poids lourds et porte-engins des Travaux publics, contre la suppression du taux réduit sur le gazole non routier et plus généralement contre la hausse des prix du carburant.
Un sujet agrémenté d’Intox, de fake news…
De fausses informations circulent sur les réseaux sociaux et viennent perturber cet esprit de protestation. Certains sites d’information collectent ce qui est vrai ou faux dans cette guerre de l’information, comme le site Libération avec sa page Shecknews.fr. En voici des exemples : le fait de porter un gilet jaune est passible d’amende ou d’un supposé courrier d’Emmanuel Macron qui circulerait. Leclerc a malgré lui aussi fait l’objet d’une fausse information sur les réseaux sociaux, avec une information visuelle qui aurait été détournée, sur l’image d’une station Leclerc proposant du gazole et du sans-plomb, mais aussi du «détaxé» à l’usage des marins professionnels. Enfin, le mouvement du 17 novembre suscite beaucoup d’interrogations sur les personnes qui l’ont initié. On remarque l’attaque informationnelle sur la présence d’une extrême droite ou de «fachos».
Les différentes réactions et la guerre de l’information
La guerre de l’information s’installe dans le paysage. Les réactions du gouvernement sont nombreuses et diverses : réponses officielles, médias TV, radio et presse ainsi que sur les réseaux sociaux, notamment via Twitter. Le camp gouvernemental réagit au fur et à mesure que la colère se médiatise. Et en même temps, il propose des gestes afin de calmer le jeu, tout en « assumant parfaitement la hausse des taxes » selon les mots du président Macron dans un entretien du 5 novembre. Un des gestes qui a résonné dans les médias, c’est la volonté de généraliser l’expérience déjà mise en place par la région Hauts-de-France avec le chèque-carburant, pour les français qui se déplacent à plus de 30 km, entre leur domicile et leur travail.
Fin octobre, François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire, avait formulé une première réponse « Prix du carburant : les mesures de l’Etat pour une mobilité plus propre » sur le site écologique-solidaire.gouv.fr, où « l’État rappelle l’ensemble des mesures déployées au quotidien pour aider les ménages à passer à une mobilité plus propre et à sortir du tout-pétrole »… Par ailleurs, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin a répondu que : «ces hausses étaient justifiées» et ajoute «une façon d’inciter les gens à changer leur mode de transport». Autre réaction, mais avec un angle médiatique différent, c’est celle de la secrétaire d’Etat au ministère de la Transition écologique, Emmanuelle Wargon. Via Twitter, elle réagit à la vidéo «coup de gueule» au cinq millions de vues et précise qu’ «il n’y a aucun complot du gouvernement contre la voiture !» et prône «plus de sécurité, moins de pollution, moins de changement climatique». Aussi, Gérald Darmanin, invité sur LCI, aurait jugé cette colère «un peu démago».
Dans les acteurs impliqués, on peut noter également la réaction d’acteurs économiques que sont les majors de la distribution de carburant, issus de la grande distribution. En effet, Leclerc et Carrefour ont rebondi début novembre en proposant des opérations de prix du carburant à prix coûtant sur une période limitée. D’autres ont suivi le mouvement, comme Auchan ou Casino. On note aussi que des compagnies comme Total ou Shell n’ont pas fait partie de cette guerre de l’information. Toutefois, Francis Duseux, le président de l’UFIP, s’est exprimé : juge l’augmentation des taxes sur le carburant trop violente et propose que le gouvernement étale la transition énergétique sur vingt ans, reporte l’Usine Nouvelle.
Pour finir, les réactions se font vives par rapport à l’appel au blocage du 17 novembre. D’une part, la CGT a dénoncé par communiqué du 29 octobre « une instrumentalisation de l’exaspération » des automobilistes. Le syndicat évoque une colère légitime et vient attaquer l’extrême droite en précisant que « plusieurs partis d’extrême droite semblent être à la manœuvre ». D’autre part, des réactions d’opposition apparaissent sur les réseaux sociaux, par exemple via le Hashtag #SansMoiLe17.
Les méthodes et les résultats de l’affrontement informationnel
Le traitement médiatique de la hausse du prix du carburant semble avoir un mode de fonctionnement comme suit :
- 1ère étape : réduction d’un mouvement de masse à un ou quelques individus, ici l’exemple de quelques citoyens mis au-devant de la scène via les médias et les réseaux sociaux (pétition, appel au blocage, ras-le-bol…).
- 2ème étape : commencer une campagne de dénigrement. Elle est illustrée, ici, par l’attaque informationnelle que subit une citoyenne au lendemain de sa médiatisation, considérée comme «complotiste», habituée aux coups de gueule. Aussi, la pétition la plus médiatisée, à l’origine du mouvement, a vu son compteur ralentir. Qui de l’objectif d’un million de signatures ? La pétition a été replacée, sur le plan médiatique, à l’arrière-plan. Le traitement médiatique de ces paroles citoyennes était assez intense, mais il aura été de courte durée. En parallèle, on note l’apparition sur les réseaux sociaux de Hashtags contre le blocage.
- En même temps, le gouvernement essaie d’affirmer sa position, utilise tous les médias pour réagir, même pour attaquer certaines paroles. Et comme réponse, il procède à des ajustements, comme l’exemple de bons (chèque-carburant) financés par les collectivités locales, afin de calmer une partie des automobilistes avec une situation économique fragile et montrer que des solutions « innovantes » existent.
Le mouvement du 17 novembre est un des éléments fondamentaux pour comprendre la montée en puissance du mouvement de protestation des «gilets jaunes».
Hajer El Mabrouk
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