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Les aventures du Prince Lexomil : XXIV

Publié le 10 juillet 2008 par Porky

Une libération mouvementée

L’entrevue qui allait suivre donnait quelques sueurs froides à notre pauvre Lexomil. Même si l’exaltation de Fa était tombée de quelques degrés, sa compagne d’aventure était encore capable, si elle apprenait la vérité, de transformer sa libération en quelque chose qui pouvait vaguement ressembler à une émeute. Il attendit donc, le cœur battant, l’apparition de la malheureuse prisonnière.

A peine entrée dans le bureau du commissaire, Fa, sans daigner s’apercevoir du brouhaha qui régnait dans ce saint lieu, commença à exiger qu’on lui repassât les menottes aux mains dans la mesure où en tant que dangereuse révoltée, elle estimait devoir être solidement attachée afin qu’on l’empêchât de s’évader. Cette requête fit hausser les épaules de quelques policiers et en amusa d’autres. « Vous êtes libre », annonça le commissaire de sa voix la plus rogue. « Comment ça, je suis libre ! s’exclama Fa, stupéfaite et outrée. Je dérange l’ordre public, je hurle des insanités, j’insulte la corporation et je suis libre ? Non mais je rêve ! Veuillez m’inculper tout de suite ! » « J’ai assez perdu de temps avec une folle de votre espèce, répliqua le commissaire. Du balai, vous pompez mon oxygène ! » Puis il se souvint que « la folle » en question n’était ni plus ni moins qu’une amie du Prince héritier. Et peut-être même, réalisa-t-il tout à coup, sa fiancée et la future Princesse Héritière et non moins future Reine de Déprime. « Nom d’un chien ! » exhala-t-il avec un grand geste de la main, essayant de repousser cette vision d’horreur qui en entraînait une autre : lui-même, sa femme et ses enfants en train de mendier leur pain sur les routes du royaume.

Alors que le pauvre homme commençait à glisser lentement mais sûrement vers la crise de nerfs, Fa continuait d’exiger d’une voix suraiguë d’être traitée comme une épouvantable révolutionnaire. « Mais oui, mais oui, disait les policiers, décidés à ne pas contrarier « la copine du Prince ». Vous avez raison, ce pays est pourri de fond en comble, il faut résister. » A quoi, ça, ils auraient été bien en peine de le dire. Mais Fa était le courage, la lucidité et l’abnégation même.

En entendant ces éloges, Fa fronça les sourcils. « Attendez, là : vous vous foutez de moi, c’est ça ? » « Mais pas du tout, se récria-t-on. Si nous n’étions pas de zélés fonctionnaires destinés à maintenir l’ordre public, nous nous joindrions à vous pour le troubler. » On se tourna vers Lexomil qui s’était dissimulé derrière l’impressionnante carrure du commissaire ; ce dernier était tombé dans un silence complet et contemplait, un rictus étrange aux lèvres, sa future existence de mendiant SDF chargé de famille. « Ah, vous êtes là ! grogna Fa en découvrant Lexomil. Dites-leur donc qu’ils arrêtent de se payer ma fiole ! » « Cessez de vous payer sa fiole » répéta Lexomil, galant au-delà de ce qu’on peut imaginer et les ricanements stoppèrent immédiatement. « Nous sommes libres, c’est vrai, avança prudemment Lexomil en reculant derrière la table puisque le commissaire avait diminué de moitié. Nous pouvons partir quand nous voulons. Moi pour Congédiement et vous pour… où vous vous voudrez. »

Le visage de Fa quitta son expression exaltée pour revêtir un air particulièrement suspicieux. Elle jeta un regard féroce à Lexomil. « Et comment pourrions-nous être libres après ce que nous avons fait ? » « C’est bien simple, commença étourdiment un des policiers, son Altesse… » et son voisin lui décocha un coup de pied dans le jarret. « Quoi, l’Altesse ? demanda Fa. Quelle altesse ? Le mou qui nous dirige ou le super mou qui va prendre sa suite ? Qu’est-ce qu’ils viennent faire là-dedans ? » « Le Prince héritier est passé par là aujourd’hui, intervint rapidement Lexomil. Il a amnistié tous les prisonniers, enfin, ceux dont les fautes étaient légères. » « Bizarre, dit Fa. Je n’ai entendu aucun raffut officiel. » « Parce que les cellules sont insonorisées, pour le confort des prisonniers, et parce que le Prince est venu incognito, sans escorte », s’empressa d’expliquer un policier.

Fa respira un grand coup. Ce fut le moment que choisit le commissaire, perdu dans sa névrotique vision de lui-même revêtu de haillons et croupissant en prison, pour s’évanouir définitivement. On n’y prêta pas attention. « Je refuse l’amnistie, dit Fa en martelant ses mots. Je ne suis pas de celles à qui on fait ce genre de cadeau empoisonné. Je veux être inculpée. Que le super mou aille se faire voir ailleurs ! » « Mais puisqu’on vous dit qu’on ne peut pas, rétorqua un autre policier d’une voix suppliante. L’amnistie est définitive. Vous pouvez aller gueuler sous les fenêtres du tas de billets tant que vous voulez, on ne peut même plus vous arrêter. » « Mais c’est un comble ! éclata Fa. Mais c’est inouï ! Mais c’est scandaleux ! Qu’est-ce que c’est que ce pays où l’on ne peut même plus être une martyre révolutionnaire ! » Elle se tourna vers Lexomil : « Et vous acceptez ça, vous ! Vous baissez les bras, la tête et le pantalon après tout ce que j’ai fait pour vous ! Si j’avais su, je vous aurais laissé crever sur la route, en pleine nuit, au lieu de vous ramasser dans ma voiture pourrie. » « Peut-on aller contre la loi ? » répondit Lexomil, conscient d’être assez peu convaincant.

Le commissaire exhala un gémissement, ouvrit les yeux et se redressa péniblement. « Qu’est-ce que je fais par terre ? » demanda-t-il. « Vous vous êtes évanoui, chef, lui expliqua-t-on. On se serait bien occupé de vous mais il a fallu convaincre la folle… heu, la dame, que sa visite de courtoisie était terminée. » Le commissaire jeta un regard torve sur ses invités de marque : « vous êtes encore là, vous ? » « Et je compte bien y rester », assura Fa en croisant les bras sur sa poitrine. « Soyez raisonnable, dit Lexomil. Visiblement, on ne veut pas de nous ici, nous ne sommes pas les bienvenus. » « Pars si tu veux, traître, traditore ! Moi, je ne bouge pas. » « Mais vraiment, je vous assure que nous gênons, insista Lexomil. Nous empêchons ces messieurs de faire leur travail. Venez, allons reprendre nos hurlements spontanés devant l’immeuble. » « Que tu viennes avec moi, espèce de cageot emmanché ? explosa Fa, rouge de colère. Tu peux toujours attendre ! Je te renie, je te maudis, je t’explose mentalement la tête ! Tu n’es qu’un excrément lémurien, un polype, une larve, un protozoaire ! Je te conchie ! »

La position de Lexomil était fort délicate. Comment un Prince héritier pouvait-il accepter de se laisser traiter ainsi –et devant témoins, encore ? Mais la réussite de sa mission exigeait qu’il fît preuve d’humilité et même mît en danger sa future autorité. Damoiselle Citalopram-Biogaran d’abord et avant tout ! Les ordres de la reine Xanaxa, sa bien aimée mère, très loin derrière. Aussi garda-t-il un maximum de courtoisie en s’adressant à son ex amie alliée. « Je conçois que vous soyez très déçue, commença-t-il, mais je ne suis pas celui que vous croyez. Il est vrai que je ne suis pas sincère en vous proposant de continuer la lutte. Je suis assez timoré de nature et les grands déchaînements me font peur. Le volcanisme de votre caractère est très séduisant, j’en conviens, mais s’accommodera sans doute toujours assez mal de mon flegme. En résumé, je crois qu’il nous faut quitter ces lieux et laisser nos routes se séparer. »

On s’attendait à un déchaînement apocalyptique en réponse à cette explication. Mais Fa se contenta de fixer son compagnon avec un énorme mépris, haussa les épaules, puis tourna les talons en direction de la sortie, au grand soulagement des policiers qui estimaient avoir vécu un des pires moments de leur vie.

(A suivre)


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