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La voix des acteurs faibles

Publié le 10 juillet 2008 par Anonymeses

La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance

Un ouvrage sous la direction de Jean-Paul Payet, Frédérique Giuliani et Denis Laforgue (Presses universitaires de Rennes, coll. "Le sens social", 2008)

[à paraître sur Liens Socio]

Que peuvent avoir en commun des sans-abris, des détenus, des animateurs de centres sociaux… ? Ce sont des individus ou des groupes disqualifiés privés de reconnaissance, affaiblis par une catégorisation de l’action publique qui les particularise et naturalise leur place dans l’espace social, des individus dominés, mais dont on ne saurait cependant nier toute capacité créatrice, toute autonomie. Les auteurs de cet ouvrage collectif proposent de les définir comme des « acteurs faibles ». Avec ce concept, il s’agit de proposer un nouveau registre sémantique, dont la vocation n’est rien de moins que de penser d’une façon nouvelle la relation entre un dominant - dominé. Penser autrement les processus de domination, cela permet de mettre en avant une variation des états et des positions, la notion fait signe vers des processus. Le terme faible est emprunté à Michel de Certeau[1], et s’inscrit dans la volonté de réhabiliter les capacités et ressources d’action d’individus dominés, stigmatisés.

L’objectif scientifique de cet ouvrage est d’appréhender la relation entre institutions et individus/groupes disqualifiés. L’attention se porte sur la production d’une relation asymétrique et les conditions de son dépassement au travers de l’analyse des cadres de communication, des registres d’expression et des modes de traduction à l’œuvre. Il s’agit de s’interroger, ainsi que le signale le sous-titre de l’ouvrage, sur les manières de transformer l’indignité en reconnaissance. Comment des acteurs faibles parviennent-ils à échapper à la relation qui les contraint ? Comment se faire entendre quand on ne dispose pas de nombreuses ressources ? Sont analysées à travers les contributions de ce volume, les manières dont l’acteur faible, par la constitution d’une cause, mobilise des ressources, et parvient à se faire entendre. Toutes les contributions de l’ouvrage sont d’une grande richesse.

Nathalie Kakpo dans « L’islam, un recours pour les acteurs faibles ?» se demande comment l’islam permet aux animateurs de centres sociaux de renégocier leur place dans les institutions publiques. Les animateurs occupent au sein des institutions une position ambiguë, reconnus comme professionnels, ils sont néanmoins disqualifiés par le fait même de leur embauche, qui les inscrit dans le cadre des politiques d’insertion des jeunes des cités. Stigmatisés comme des jeunes à problèmes, ils ont le sentiment d’être des discriminés, relégués dans les centres sociaux. Face à cette position de faiblesse, ces jeunes se réclament de leur origine maghrébine pour fonder leurs compétences, ils se présentent comme des experts en matière d’éducation des enfants maghrébins, et revendiquent par là le contrôle des structures. La « demande d’islam » des animateurs, définie comme une mobilisation s’appuyant explicitement sur le référent musulman peut viser à convertir en ressources symboliques, une position au sein de l’institution.

Simona Tersigni, dans « Le cimetière, le marché et l’association de quartier », s’interroge également sur la manière dont une appartenance religieuse peut être mobilisée comme une ressource. Ethnicisées en tant que musulmans lors d’interactions quotidiennes, les mères musulmanes investissement d’abord leur identité de mères pour demander plus de places pour leurs enfants au sein du cimetière. La prise de voix féminine, en comparaison des modalités masculines, dans un cadre associatif, témoigne d’une division sexuelle du travail religieux.

Corinne Rostaing, dans « L'expression des détenus. Formes, marges de manoeuvre et limites », s’intéresse aux moyens dont disposent les détenus pour s’exprimer au sein de l’institution carcérale. Elle distingue plusieurs formes idéal-typiques d’expression des détenus. D’une part, on peut distinguer les formes infra-organisationnelles d’expression, qui sont canalisées et sollicitées par le personnel pénitentiaire. De l’autre, on trouve les formes plus organisées, que l’auteure organise en trois formes idéal-typiques : la voice légale qui prend la forme du combat administratif, du recours au tribunal, la voice radicale (tentative de suicide, grève de la faim) et la voice collective, utilisant ici le concept développé par Hirschman[2]. Cette prise de parole ne concerne cependant que les moins faibles des acteurs affaiblis.

A partir de la mobilisation d’un couple homosexuel binational, pour le droit à séjourner en Suisse du compagnon français d’un Suisse, Marta Roca Di Escoda, dans « Portée et transfert d’une parole publique » s’interroge sur la manière dont, au sein des mouvements homosexuels genevois, émergent des revendications pour la reconnaissance. La rencontre avec un couple rencontrant des problèmes similaires, va faire germer la volonté de monter un collectif, passant ainsi du registre particulier de leur cause à une ambition plus large.

Tous les chapitres de l’ouvrage témoignent d’une même attention aux acteurs et à leurs ressources. A la lecture de l’ouvrage, le concept d’acteur faible prend véritablement chair. Le livre participera on l’espère, dans une logique performative, à la montée de la reconnaissance de ces acteurs faibles.

Par Frédérique


[1] Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Paris, U.G.E, 1980

[2] A. Hirschman, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995


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