Etat-nation contre Etat plate-forme, derrière cette formulation se cache une problématique centrale qui est devenue un des axes majeurs de recherche de l’Ecole de Guerre Economique, la notion de dépendance « invisible ». Ce que nous appelons « dépendance invisible » est la manière dont une puissance cherche à soumettre des pays à une certaine forme de domination économique, normative et culturelle, sans pouvoir être taxée d’ingérence ou de manœuvre coercitive visible. Cette domination « invisible » s’exerce désormais à la fois sur le terrain immatériel et matériel.
Historiquement, la suprématie d’une puissance s’est exprimée dans sa dynamique de conquête par la colonisation et l’impérialisme. La violence et la menace du recours à la force ont été les instruments de domination visible qui traduisaient le plus souvent l’expression de cette dynamique de conquête.
Trois facteurs ont contribué à remettre en en cause cet état de fait :
- Le constat que la victoire militaire ne garantissait pas la consolidation ou la pérennité de la puissance (cas d’école de la Grande Bretagne qui est l’un des vainqueurs de l’Allemagne nazie mais qui est sortie exsangue à la suite de l’effort de guerre consenti pour atteindre ce résultat).
- Le changement des rapports de force internationaux en raison de l’affaiblissement de l’Europe très handicapée par le bilan des destructions de deux guerres mondiales et qui n’était plus en état de rivaliser avec les Etats-Unis ou le monde communiste sur le plan politico-militaire.
- La demande exprimée notamment par des nations comme la France entre 1945 et 1955, de bénéficier de l’aide militaire américaine pour faire face à l’URSS, qui créait de facto un contexte très propice à des formes de dépendance de nature économique ou cognitive entre le pays protecteur et le pays demandeur de sa protection.
Dans la seconde moitié du XXè siècle, le prix payé par le recours à la violence et à la guerre pour affirmer une suprématie en termes de puissance, a amené progressivement les Etats-Unis à rechercher un autre mode de domination, moins voyant et souvent masqué par le cadre prioritaire défini dans l’alliance du Bloc de l’Ouest contre le Bloc de l’Est.
Ce nouveau mode de domination est une dépendance « invisible » dans la mesure où elle est consentie ou qu’elle n’est pas ressentie comme une forme de domination par celles et ceux qui la subissent (administrations, entreprises, société civile).
Dans les années à venir, l’Ecole de Guerre Economique produira des travaux pour alimenter cet axe de recherche. Un des autres axes de recherche majeurs est l’étude de la stratégie de substitution mise en oeuvre par la Chine, notamment en Afrique. La Chine cherche à éviter de faire accuser de créer des dépendances. Les Etats-Unis dont l’habileté n’est plus à démontrer dans ce domaine (critique des empires coloniaux européens par des dirigeants américains mais « en même temps » actions américaines de colonialisme masqué à Hawai, aux Philippines ou en Amérique latine)
L’étude sur les enjeux stratégiques du stockage de données s’inscrit dans cette démarche de recherche appliquée. Elle a été réalisée par un groupe de la MSIE 29 de l’Ecole de Guerre Economique.
Christian Harbulot
Lire le PDF de l’étude :
EnjeuxStratégiquesDuStockageDeLaDonnée
L’article Les enjeux stratégiques du stockage de données : Etat-nation contre Etat plate-forme est apparu en premier sur Infoguerre.