L'extrait du jour est le début du roman PIKE de Benjamin Whitmer, sur ma liste de prochaines lectures.
"Il n’est pas difficile d’identifier Dana. Elle entre par la porte, le pelvis graisseux en avant, vêtue d’un manteau rose qui semble être passé sous un camion poubelle. Une fillette sale aux cheveux noirs fait la moue derrière elle, douze ou treize ans, sweat-shirt déchiré un rien trop fin pour la saison. Les yeux de Dana se posent sur Pike comme si elle le connais- sait, elle s’approche de lui en traînant les pieds, pousse la fillette dans le box, puis s’y glisse elle-même en baissant la tête comme si elle craignait qu’on ne la voie. Il serait étonnant que quelqu’un l’eût manquée. Le restaurant est plein de mineurs de l’équipe du matin, qui sirotent leur café, feuil- lettent le journal, saluent la compagnie en sortant, en entrant, le dos encore courbé par le froid du dehors, et tous gardent un demi-œil vers elle depuis qu’elle a poussé la porte. Nanticote est une petite ville.— Vous êtes pas tout à fait aussi grand que j’croyais, dit- elle.Pike ne relève pas.— Comment est-elle morte ?
— Donnez une pièce à Wendy, dit Dana. J’ai vu un distributeur de journaux en arrivant. Elle aime bien lire.Pike sort vingt-cinq cents de sa poche. La fillette prend la pièce et s’éloigne en bousculant Dana. Elle a un chaton gris et blanc dans les bras. Il bâille et sa langue rose lape la graisse de l’atmosphère comme s’il avait voulu attraper des flocons de neige, les canines luisantes comme des lamelles de glace.— Comment est-elle morte ? répète Pike.Dana renifle, essuie un long flot de morve d’un revers de manche rose.— Elle a fait une overdose. Héroïne.Rien de surprenant. Mais Pike loupe le cendrier en tapo- tant sa cigarette d’un peu haut. Des brins de tabac rougeoyant s’élèvent en volutes dans l’air graisseux puis se posent en fré- missant sur la pilosité noire et drue de son avant-bras. Il les remarque à peine.— Quand ça?— La semaine dernière.Dana tend le bras au-dessus de la table, lui prend une deses Pall Mall sans filtre et l’allume avec le briquet qu’il a posé à côté.Wendy revient, un journal mal plié serré sous le bras droit. Pike fait un signe de la tête à l’intention d’Iris, la serveuse. Elle se fraye un passage jusqu’à leur table, qu’elle atteint en même temps que Wendy.— Emmène-la au bar et sers-lui des pancakes aux myr- tilles, dit Pike. (Il se tourne vers Dana.) Tu veux quelque chose ?— Un café, je dirais pas non, répond-elle.— Allez, viens, ma puce, dit Iris en posant une main sur l’épaule de Wendy et en l’entraînant vers le bar."