« C’est la douleur qui te fait avancer »

Je me marre en sourdine. Avec ce que j’encaisse en ce moment, j’ai provisionné de quoi aller sur Mars. Un beur, un black, un blanc sont sous l’auvent des pécheurs dans la courbe d’un bras de L’Eure. Le blanc a l’air de fatiguer mais il cogne. Le black, les bras repliés, les mains paumes ouvertes en protection devant le visage, encaisse les coups. Le beur filme sur son I Phone en gueulant : « - encore, avance, cogne, encaisse, c’est la douleur qui te fait avancer… »
Rien à encaisser et pas de monnaie à rendre. Le noir amortit et ne porte rarement que des coups factices, faciles à esquiver. C’est un sparring-partner. Il a des gants de boxe comme son « agresseur » plus petit. C’est lui qui avance ou se dérobe, monte la garde ( ?!) ou la descend. Parfois il décroche un uppercut, un direct, un crochet du droit ou du gauche aléatoirement. L’autre cesse sa progression. Le coup encaissé, dévié ou feinté lui coupe le souffle car il doit caler sa respiration sur un mouvement du buste qui referme sa poitrine. Il transpire, souffre douleur de l’entrainement d’une compète qu’il ne gagnerait probablement pas, si seulement elle avait lieu. Pourtant sa combativité me réjouit. C’est cela qui me comble et m'émeut ! Ce combat inutile qui maintient les humains debout y compris les perdants. Surtout les perdants
Il est 5 heures du matin et je ne travaille pas. Dans quelques semaines, je vais te rencontrer. Je marche et j’écris dans ma tête un livre que personne ne publiera. Qu’importe !
Je vis depuis si longtemps le temps des bouffons de la méritocratie nourris de la certitude de ne devoir ma position qu’à mes propres mérites. Si elle s’accompagne d’un intense contentement du Moi dans le succès, il en est de même, inversement proportionnel, dans l’échec. L’image, l’action, la métaphore du sparring-partner est assez raccord avec ce que nous avons vécu et avec ce qui reste à découvrir car il y tant à savoir de nous. Je relis mentalement nos échanges épistolaires en prévision de notre collision. Au delà des codes de la séduction, pas mal de vérités ont été brillamment exprimées et je n’ai sans doute pas satisfait à l’excellence que tu attendais, à l’impatience de ta curiosité pour te conduire ainsi dans l’impasse, la tiédeur, la dérobade de l’amitié qu’insipidement tu me proposes comme seule alternative à notre ... relation. Ordinairement, c’est plutôt le joint et la bière des exclus de l’OMC, une boîte de nuits Chartraine, qui polluent l’endroit. Nous sommes ici et maintenant sur le barreau intermédiaire de l’échelle du renoncement Je reviens vers eux cherchant dans le souvenir que tu m’as laissé un peu de ton courage, de ta lucidité et de ta pédagogie car... … Il était une fois… … J’ai connu une femme vivant une vie, de mère et d’épouse, qu’il fallut choisir avec très peu de place pour être celle "mise à nue en quête d'un homme qui l'aime comme on se doit d'aimer une belle femme". La mère PMA sans patos, ni pater réduit au rôle de géniteur, mais pas monogame pour autant, curieuse de savoir le goût de ce mystérieux liquide à l’étonnant pouvoir dans l’éprouvette. La parturiente qui mit 24 heures à accoucher parce que, le jour d’après, rien ne sera plus comme avant.
La lectrice vivante encore un peu femme et inquiète de conserver une place dans l’alcôve des mots et de ses cris "Et moi alors, je te servirai à quoi ? Je me nourris de toi, je me caresse en pensant à toi, je te lis toute humide et avide.... En espérant bientôt sentir ton membre fort au creux de moi en vas-et-viens délicats… Surtout viens, d'ailleurs... En espérant boire ta semence comme je bois tes écrits, jouir comme je te lis et m'abandonner là, prête à recommencer quand tu voudras"
Le blanc baisse les poings, content du répit que mon intrusion provoque. Le beur continue de filmer avec son portable orienté sur moi et le black réfléchit à l’usage qu’il pourrait faire de ces gants de boxes connement attachés au bout de ces énormes bras. Je tire un trait sur le béton entre eux et moi en prenant soin de lui donner la largeur que m’autorise la craie, la surface et l’usure. Je jette en l’air le contenu de mes poches après avoir énoncé dans le temps suspendu de leur étonnement la parabole de Momo, le rebeu du cours Victor Hugo: " - Les pièces qui tomberont à droite de la ligne, c’est l’expérience, le passé et sa valeur. Celles qui tomberont à gauche, celles du travail, des conséquences, de l’avenir. Celles qui resteront en équilibre sur la tranche dans l’épaisseur du trait, celles de la chance, de l’espoir et de la réussite. " Nous sommes là et ailleurs « ma chérie » dans l’épaisseur du trait. Parce que « je t’aime très beaucoup » comme disent les mômes qui veulent en faire trop