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Peintures des lointains. La colonisation, usine à rêves

Par Balndorn

Peintures des lointains. La colonisation, usine à rêves

 « La colonisation a été une formidable fabrique à images, qui en apprend plus sur nous que sur les peuples colonisés. » Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac a toujours le mérite de clarifier les situations.Avec l’exposition Peintures des lointains, dédiée au fonds pictural de l’établissement, l’ancien musée ethnologique porte un regard critique sur sa propre histoire.
La peinture, outil de propagande coloniale
Bien avant Hollywood, il existait déjà une première « usine à rêves » : la colonisation européenne. L’entreprise de conquête du monde s’appuyait autant sur les fusils, le commerce que sur les images. Après la conquête des terres et celle des corps, il fallait conquérir les âmes. Y compris dans la métropole, en embrigadant des populations peu portées sur l’expansion extra-européenne avec une propagande massive et multi-supports.De telles expositions, qui entendent déconstruire le regard du colonisateur, ne sont pas une nouveauté, et le musée du Quai Branly – Jacques Chirac en a monté plus d’une de ce genre. En parallèle de Peintures des lointains, se tenait jusqu’au 7 octobre l’exposition Le Magasin des petits explorateurs, consacrée à la propagande coloniale à destination des enfants, sujet plusieurs fois traité mais toujours aussi étonnant.En s’attaquant à la peinture, ce qu’il n’a guère fait jusqu’à présent, le musée rencontre un obstacle de taille : le préjugé selon lequel la peinture, l’Art par excellence, échapperait aux déterminations socio-politico-économiques de son temps. Certains artistes se hisseraient, par la seule force de leur génie, au-dessus des bassesses coloniales. Le musée a l’intelligence de ne pas céder à ce préjugé. La scénographie de l’exposition confond volontairement « grands » et « petits » artistes. Il n’y a ni bon grain, ni ivraie, mais un seul et même panier, au fond duquel chacun vient puiser son lot d’inspirations, confirmant par ce geste l’entreprise coloniale.

Ce que l’art moderne doit à la colonisation
À sa manière, le musée du Quai Branly – Jacques Chirac dés-auteurise la peinture des XIXe et XXesiècles, la ramène aux codes des genres artistiques. En choisissant comme grille d’analyse les grands thèmes structurant ses fonds picturaux (la mer, la ville coloniale, l’Afrique du Nord, les femmes indigènes…), le musée écarte d’emblée une hiérarchisation subjective des artistes. Dans l’usine à rêves coloniale, c’est le genre, soit la production et la reproduction d’un ensemble de motifs stéréotypés, qui préexiste, et non l’artiste.Certes, l’exposition laisse la part belle à des hommes aussi reconnus que Paul Gauguin et ses aventures aux Marquises et à Tahiti ou Émile Bernard fasciné par les couleurs de l’Afrique du Nord. Mais ceux-ci, ainsi que d’autres peintres oubliés désormais (tel Maxime Noiré fasciné par l’immensité du Sahara), loin de transcender et de neutraliser politiquement l’aventure coloniale, la confirment de facto en l’emmenant vers un nouvel horizon : l’exploration formelle.C’est peut-être la thèse la plus forte, en même temps que la plus discrète, à laquelle parvient Peintures des lointains. Une grande partie de la « révolution moderne » de l’art européen tire son inspiration des images fournies par l’entreprise coloniale, qui décloisonna le Vieux Monde et le sortit de ses codes artistiques surannés. Sans « art nègre », Picasso aurait-il à ce point marqué le cubisme ? Sans l’annexion de Tahiti, Gauguin aurait-il autant mystifié la peinture ? Et sans la conquête de l’Algérie, Émile Bernard aurait-il autant travaillé les couleurs ?En un mot : sans la colonisation brutale du reste du monde, l’art européen aurait-il vécu de la même manière sa révolution moderne ? 
Peintures des lointains. La colonisation, usine à rêvesPeintures des lointains, au musée du Quai Branly – Jacques Chirac jusqu’au 6 janvier 2019
Maxime
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