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Les polémiques sur le retrait de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2019 au Cameroun par la Confédération Africaine de Football (CAF)

Publié le 07 janvier 2019 par Infoguerre

Les polémiques sur le retrait de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2019 au Cameroun par la Confédération Africaine de Football (CAF)

Le 30 novembre 2018, une déflagration venue d’Accra au terme d’une réunion du comité d’exécutif de la Confédération Africaine de Football (CAF), est venue confirmer une rumeur persistante : le retrait de la coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2019 au Cameroun suite à la compilation de plusieurs rapports d’inspection défavorables. Motivée par le retard pris dans la construction des infrastructures et les considérations sécuritaires, cette décision lourde de conséquences a plongé le Cameroun entier dans un psychodrame national compte tenu de la place du football dans ce pays champion d’Afrique en titre, des assurances répétées de la plus haute autorité de l’Etat et des assurances du président de la CAF deux mois avant. Pour regrettable soit-il pour les parties prenantes, cet aboutissement logique ne pouvait objectivement surprendre tellement il a été précédé de polémiques stériles, d’amateurisme, d’incompétence et de désordre.

Le contexte

En guise de rappel, la coupe d’Afrique des Nations de football est sans doute le plus grand événement sportif organisé tous les deux ans sur le continent africain, compte tenu de l’importance et de l’impact de ce sport en Afrique. Le 20 septembre 2014, le comité exécutif de la CAF alors dirigée par Issa HAYATOU (1988 à 2017), attribuait l’organisation des coupes d’Afrique 2019 au Cameroun, 2021 à la Côte d’Ivoire et 2021 à la Guinée, le tout sur la base de dossiers alors présentés comme solides et de cahiers de charges prévoyant une compétition réunissant 16 pays participants. Au passage et conformément aux nouveaux usages, le Cameroun doit d’abord organiser une CAN féminine à 8 participants en 2016, ce qu’il parvient à faire tant bien que mal.

Le 16 mars 2017, le Malgache Ahmad devient président de la CAF au terme d’une élection remportée face au Camerounais Issa Hayatou qui aura passé près de 30 ans de règne sans partage à la tête de l’organisation. Dans l’euphorie et la foulée de sa victoire, le nouveau président, voulant impulser un changement immédiat, organise un symposium y relatif qui aboutit entre autres, à la décision de porter le nombre de participants de 16 à 24, et de décaler la compétition de janvier à juin 2019, soit 6 mois « offerts » au Cameroun pour s’arrimer à la nouvelle donne, modifiant ainsi le cahier des charges initial, 15 mois avant la compétition. Déjà engagé (voire embourbé) financièrement et surtout face à la ferme volonté du président BiyaI d’organiser cet important événement, le Cameroun (5 fois champion continental) ne proteste pas, certainement par fierté et ferveur patriotiques du tenant du titre.

La violence verbale ayant marqué ce processus électoral, les changements à grande vitesse portés par le nouvel exécutif et les déclarations intempestives voire hostiles du nouveau président, vont installer un climat de suspicion, d’animosité et de polémiques entre la CAF et le Cameroun. Le 30 novembre 2018 est donc l’aboutissement d’un complot ourdi de longue date pour les uns, ou une conséquence logique de l’impréparation pour les autres, avec de lourdes conséquences sur les plans économique, politique et stratégie de développement.

Les acteurs impliqués dans la polémique

L’ambiance de guérilla informationnelle permanente qui aura donc marqué les préparatifs de la CAN 2019, impliquant une pluralité d’acteurs ayant des motivations et une appréciation variable de l’éthique, a montré le fossé qui sépare encore l’Afrique qui regorge de talents en football, des autres continents. On peut évoquer de manière non exhaustive deux camps :

  • La Confédération Africaine de Football. Sans planification stratégique, cette organisation a fait passer le nombre de participants de 16 à 24 à un an d’un événement dont l’ambition était de rivaliser avec la confédération asiatique qui pour la même compétition, perçoit des droits télé de près 1,5 milliard de dollars là où la CAF n’atteint même pas le milliard malgré le potentiel démographique et de développement et une ferveur énorme : il est donc évident que sans pays organisateur à 6 mois de la compétition, cet objectif ne peut être raisonnablement atteint. En outre sur le plan éthique, les dirigeants de la CAF en plus d’un amateurisme évident sur le plan gouvernance et communication, ont entretenu des relations douteuses avec des intermédiaires camerounais n’ayant aucun sens de l’intérêt général.
  • La partie camerounaise constituée d’une nébuleuse d’acteurs aux intérêts divergents.
  • Côté gouvernemental, une cacophonie générale avec une « Task force » logée à la présidence de la République détenant la réalité du pouvoir décisionnel et s’occupant y compris des problèmes d’intendance, un comité national d’organisation impliquant pas moins de 17 ministères, des comités régionaux pléthoriques dirigés par les gouverneurs de régions.
  • A la Fédération Camerounaise de Football dirigée par un exécutif provisoire depuis près de 4 ans du fait du désordre qui y règne, cette instance incapable d’organiser de manière harmonieuse le championnat national, est le symbole même de la mal gouvernance et de l’inertie avec pour conséquence des résultats en dents de scie depuis le quart de finale du mondial 1990, et une dispersion des énergies et des talents à travers le monde.
  • En arrière-plan, le Maroc ; débouté de la CAN 2015 par Issa HAYATOU à cause de son refus d’abriter la compétition par précaution face à l’épidémie EBOLA en Afrique de l’Ouest, le Royaume chérifien est soupçonné d’avoir orchestré sa chute et d’influencer les rapports des différentes missions d’inspection et ainsi récupérer l’organisation de la compétition comme lot de consolation, après son échec pour la coupe du monde face au trio Etats-Unis, Canada et Mexique.

L’infosphère ; la déception des Camerounais s’est très vite transformée en colère légitime, tellement les attentes étaient grandes par rapport aux retombées supposées de l’événement. Depuis le 30 novembre, et malgré la promesse de la CAF de confier l’édition 2021 au Cameroun, des débats enflammés, passionnés et violents animés par la société civile et la presse, réclament des sanctions exemplaires contre les responsables déjà identifiés et jugés par le tribunal de l’opinion publique. Sans doute que dans un très proche avenir, l’agenda politique intégrera cette colère aux conséquences insoupçonnées.

Les conditions décrites ci-dessus n’auront pas permis un débat constructif, loyal et équitable avant la décision fatidique, tellement l’atmosphère était polluée par le déficit de transparence et de professionnalisme de la CAF, face aux procès d’intention et thèse du complot côté camerounais, masquant mal le désordre managérial ambiant avec des conflits d’intérêt, de gros soupçons d’enrichissement illicite et un endettement gigantesque sans contrepartie immédiate.

Dans cette ambiance délétère de polémique permanente, le président de la CAF, entre deux déclarations sur l’incapacité du Cameroun et la neutralité de son organisation, trouvera opportun de s’y rendre en jet privé en compagnie du footballeur Samuel ETO’O Fils pour une audience avec le Chef de l’Etat, quelques semaines avant l’élection présidentielle du 7 octobre 2018.

Des stratégie perdantes 

Finalement à la communication intempestive et incoordonnée des officiels de la CAF, à sa navigation à vue au mépris du développement de cette véritable source de croissance économique qu’est le football en Afrique, le Cameroun n’affiche aucune stratégie pour la défense des intérêts du pays, avec la multiplication des pôles de décision concurrents : la seule stratégie va être la volonté sans cesse affirmée du Chef de l’Etat, manifestement seul soucieux d’accueillir l’événement.

Pour illustrer ce cafouillage inédit qui n’honore ni l’Afrique ni son football, la CAF, tout en retirant l’organisation de la CAN 2019 au Cameroun (une sanction !), décide de lui attribuer (visiblement sans concertation malgré les allégations de Constant OMARI 1er vice président de la CAF) l’édition suivante en 2021 initialement dévolue à la Côte – d’Ivoire, l’édition ivoirienne quant à elle repoussée à 2023. Le recours de la fédération ivoirienne au tribunal arbitral du sport (TAS) pour contester cette décision semble alors une démarche de bon sens.

De manière évidente, le Cameroun est le grand perdant de ce gâchis au triple plan politique, économique et médiatique et cet échec est loin d’avoir déjà produit toutes les conséquences néfastes pour ce grand pays de football : le chiffre colossal de près de 1000 milliards de francs CFA est déjà avancé comme minima de la note, sans compter la gabégie à ciel ouvert des responsables publics du fait des dysfonctionnements sciemment entretenus pour avoir le privilège des procédures d’urgence pour les déblocages de fonds. La colère qui s’est emparée de l’opinion aura sans doute des conséquences sur l’échiquier politique dans les jours et semaines à venir. Pour transformer cet échec majeur et cette honte nationale en opportunité, au-delà de l’indispensable saut qualitatif de la gouvernance, il faudrait que l’intérêt général redevienne à tout prix, à tous les prix et même à n’importe quel prix,

La Confédération Africaine de Football est la seconde perdante par son amateurisme, l’absence de stratégie véritable de développement, la complaisance dans le suivi et les évaluations. A 6 mois de l’événement, l’absence de visibilité (ni dates ni pays organisateur) entâche gravement l’image de la CAF et la crédibilité du football africain, là où l’objectif était d’égaler la confédération asiatique de football. Des efforts colossaux de formation pourraient être utiles aux nouveaux dirigeants de la CAF, et une vraie réforme de la gouvernance visant la transparence, la rigueur, et la promotion de l’éthique nécessaire espérer rivaliser avec les autres confédérations.

Le Football africain en général sort perdant de cette confrontation : les annonceurs et les pays qualifiés attendent toujours les dates et le pays organisateur de la compétition et ne peuvent donc pas encore faire de planification. De surcroît la Côte d’Ivoire ayant saisi le TAS pour contester le glissement du calendrier qui la renverrait en 2023, l’horizon est flou avec des conséquences néfastes et multiformes. En dehors des résultats qui stagnent depuis le quart de finale du Cameroun en 1990, l’indicateur le plus visible est l’exil des talents qui vont faire fortune ailleurs et contribuent à la notoriété d’autres pays.

Simon Etonde

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