C'est la contre-offensive. Emmanuel Macron publie sa "Lettre aux Français" sur les réseaux sociaux puis entame une tournée de réunions en province devant des élus. Voici le Grand Débat, une gigantesque diversion et une belle arnaque. Comme Sarkozy 10 ans avant, Macron fait sa campagne européenne et joue son rôle de bouclier des riches.
La lettre du monarqueLe courrier d'Emmanuel Macron aux Français était attendu, il est décevant: aucune annonce, aucune reconnaissance, aucun bilan. C'est un courrier pour rien. Macron ressasse. Ce caprice présidentiel est d'abord un stratagème de plus de tenter de stopper l'attention médiatique sur le mouvement des Gilets Jaunes.
Lundi 14 janvier, le jeune monarque publie donc son courrier sur les réseaux sociaux. Il répète des évidences - "En France, le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte." Il rappelle sa fermeté. - "Je n’accepte pas la pression et l’insulte, (...) Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait !" Il tait la violence sociale de ses contre-réformes. Il répète ce que l'on sait déjà - "je lance aujourd’hui un grand débat national qui se déroulera jusqu’au 15 mars prochain." Deux mois de show présidentiel et 500 micro-rencontres organisées "près de chez vous" autour de 4 thèmes sélectionnés par l’Élysée pour canaliser les émotions populaires. L'été dernier, le mouvement macroniste, à l'époque présidé par Christophe Castaner, avait lancé une grande "marche" partout en France, "à l'écoute des Français". Le flop fut total, le fiasco rapidement caché. Cette fois-ci, voici le "Grand Débat", lancé par Manu 1er lui-même.
Les maires, nouveaux interlocuteurs du monarque, sont d'ailleurs en attente de reconnaissance et d'apaisement. Ce Grand Débat, tous les sbires présidentiels ont prévenu: on parlera de tout, mais rien ne changera. Le premier objectif du "Grand Débat" est de faire parler et de divertir. Macron remplace, Macron répare. Il remplace le changement de politique par du bavardage médiatisé. Il répare sa relation abimée avec les maires à qui il a supprimé des centaines de milliers d'emplois aidés, déstabilisé leur financements locaux via la suppression partielle de la taxe d’habitation.
Dans sa lettre aux Français(e)s, Macron réitère un argument incompréhensible, un argument qu'il n'a pas compris les fractures du pays: "Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle." Cette affirmation est fausse, il faut le répéter semaine après semaine, chaque semaine de ce quinquennat. Il a été qualifié avec moins de suffrages exprimés au premier tour que ses prédécesseurs Sarkozy et Hollande, puis au second sur un référendum anti-Le Pen. Puis ses candidat(e)s godillots l'ont emporté aux législatives sur fond d'abstention inédite grâce au scrutin majoritaire. Ne pas comprendre ces fractures de départ, béantes, est faire preuve d'une ignorance suspecte. Macron n'a pas été élu pour casser le statut des cheminots, augmenter les taxes sur le plus grand nombre, préserver les ultra-riches, ni même abimer le code du travail (les détails de cette dernière réforme n'ayant été dévoilés que durant l'été 2017 lors d'un cache-cache politique honteux).
Son courrier est sans surprise. Il répète des convictions qu'il trahit quotidiennement dans les actes ("repenser notre modèle de développement" ... LOL) ou bien au contraire qu'il applique avec le zèle rare de serviteur du clan des ultra-riches (alléger l'impôt des plus riches).
Les Sarko-shows
Le Grand Débat d'Emmanuel Macron singe une vieille démarche sarkozyste. Il y a 10 ans, l'ancien monarque s'était lancé dans une tournée en province. Pour entamer sa campagne de reconquête d'une opinion qui l'avait abandonnée, paraître plus proche des Français(es), et corriger son image Bling Bling de Président des Riches, Nicolas Sarkozy avait multiplié les débats thématiques: fin 2009, il avait lancé ce fumeux débat sur l'identité nationale avec l'aide de son fidèle Eric Besson (qui se souvient d'Eric Besson ?). L'occasion d'un vomi national xénophobe et raciste qui a vite été stoppé dès le mois de janvier. Puis, en 2010, Nicolas Sarkozy lui-même avait pris le relais , Corse.
En 2010, il s'agissait d'abord d'une campagne dans les territoires avant le scrutin régional de mars (qui fut néanmoins une débâcle). Les déplacements du Monarque en région ciblaient des zones à fort enjeu pour l'UMP; à chaque fois, les candidats UMP locaux étaient mis en avant par le président, et une réunion de militants UMP étaient discrètement organisée en marge des rencontres officielles. Bien avant le scandale Bigmalion, l’UMP se faisait ainsi financer ces meetings "présidentiels" (équipes de sécurité, transports, etc) par l'Elysée.
Puis, après les élections régionales et l'affaire Bettencourt, Sarkozy repart sur le terrain, une pré-campagne pour le scrutin présidentiel de 2012 que l'ancien monarque avait déjà en ligne de mire. Cette fois-ci les débats sont thématiques, avec une dizaine de tables rondes sur des sujets aussi variés que la rénovation du logement (septembre), l'agriculture (novembre) la médecine de proximité (décembre), ou l'industrie spatiale (le même mois).
Ce dispositif sarkozyste est quasiment identique à celui adopté par Macron une décennie plus tard: une assistance triée sur le volet, un public majoritairement silencieux à qui l'on confie le micro avec parcimonie, pour des questions encadrées, le tout dans des lieux filtrés et sur-sécurisés. A l'époque, chaque show sarkozyste coutait environ 200 000 euros aux finances publiques. Sarkozy était en campagne, avec deux ans d'avance.
Emmanuel Macron emboite ainsi les pas de son mentor. Il gave les médias, il sature les ondes. Les ex-socialistes ralliés à l'opportunisme pragmatique macroniste applaudissent avec autant de ferveur qu'ils dénonçaient dix ans avant le cirque agité de Nicolas Sarkozy.
L'Histoire sait être cruelle.
Le Macron-thon
Mardi 15 janvier, Emmanuel est en terre normande, enfermé dans un gymnase à Grand Bourgtheroulde (Eure), avec 600 maires. Les caméras filment en continu. La mise en scène est élyséenne, la retransmission garantie par les quatre chaînes d'information. Les uns après les autres, quelques élus déroulent les doléances de leurs administrés - pouvoir d’achat, justice fiscale, niveau des retraites, affaiblissement des services publics en milieu rural (telle la fermeture de la maternité de Bernay). Il persiste et signe avec ses formules maladroites et méprisantes: "Moi, là où j'habite, en traversant la rue, je peux vous dire, on en trouve du travail, mais c'est pas vrai partout." Il justifie aussi sa réduction des aides au logement - 800 millions d’euros d'économie en 2018 puis à nouveau en 2019, puis 1,6 milliards en 2020.
Vendredi 18 janvier, Emmanuel Macron est à Souillac, 3 750 habitants. Le village est vidé de ses passants. Même les habitants doivent réclamer un laisser-passer spécial. Les rues sont nettoyées, les manifestations interdites. Souillac vit en état d'urgence, en "suspension provisoire" de la démocratie car le monarque est en visite. Macron rejoue son rôle. Il tombe la veste. L'assistance est globalement conquise. Quand un maire, Christian Venries, président de l’association des maires ruraux du Lot, prend le micro, la voix tremblante par l'émotion, pour interpeller le monarque sur l'impact de ses mesures sur les bénéficiaires du RSA qui vivent avec 40 euros par semaine, les caméras de LCI dévoilent Macron qui sourit, puis rit d'un rire franc.
Le mépris présidentiel, en plein silence dans la salle.
Triste sire.
Le show présidentiel dérape modestement dès la seconde édition. L'ennui est manifeste. Les sujets sont cadrés, les maires triés sur le volet n'ont droit à aucun droit de suite, Macron monopolise la parole. Ce Grand Débat est aussi une dépense de campagne au frais des contribuables pour l'équipe macroniste en vue des élections européennes.
Le sourire en coin, Macron braille qu'il est là pour écouter, mais en parallèle ses député(e)s godillots continuent leur travail de sape au Parlement. Cette semaine, la fusion entre les tribunaux d'instance et les TGI est votée (à 15 voix contre 7...). La Justice est submergée mais l'on réduit le nombre de tribunaux. Le gouvernement obtient également la possibilité de procéder par ordonnances, sans vote, pour "préparer" le pays à la mise en oeuvre du Breixit dans deux mois. Tout aussi discrètement, la réforme de l'assurance chômage a été passée, elle durcit les sanctions contre les chômeurs et supprime la référence au salaire dans la définition de l'offre "raisonnable" qu'un chômeur ne doit pas refuser. Sur l'estrade de son second débat, Macron lâche une nouvelle salve contre les chômeurs: "certains ont plus intérêt à travailler quatre à six mois, se remettre au chômage et trouver des combines à côté."
Le mépris, encore le mépris.
Le bouclier des riches
Emmanuel Macron est en campagne. Le Grand débat est une diversion contre les Gilets Jaunes, un "bouclier des riches" pour éloigner le spectre d'un référendum voire d'une révision constitutionnelle et d'un changement de politique fiscale et sociale.
Prenez l'ISF: "ce n'est pas un tabou ni un totem" explique-t-il en Normandie. "Mais est-ce qu'on vivait mieux avant (sa suppression) ?" Et d'enchaîner: ce n'est pas en rétablissant l'ISF que la situation d'un seul 'gilet jaune' s'améliorera". La suppression de l'ISF, non seulement fiscalement peu solidaire, est économiquement contre-productive (elle prive l’État de recettes fiscales) et socialement injuste (Pourquoi par exemple réclamer aux hôpitaux publics des économies d'un milliard d'euros en 2018 puis à nouveau en 2019 au nom des déficits publics ?). Macron lui-même, dans son courrier, fait très justement le lien entre les baisses d'impôts et la réduction des services publics: "Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique." Mais bizarrement, les 6 milliards de baisse d'impôts pour les plus riches (ISF, flat tax, etc) semblent épargnés de ce raisonnement.
A chaque "débat", pendant 6 ou 7 heures, Macron chantonne sa petite musique libérale - laissons les riches s'enrichir, responsabilisons les pauvres "qui déconnent". Mardi, juste avant le débat, il est enregistré lors d'une rencontre à huit-clos au conseil municipal de Gasny; fustigeant une nouvelle fois les pauvres: "On va davantage responsabiliser parce qu'il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent." On sait ce que "davantage responsabiliser" signifie en novlangue macronienne: renforcer les tracas administratifs et les contrôles.
Responsabiliser les riches et les grandes entreprises, il n'en est pas question. Pas de bilan officiel du CICE initié sous Hollande et amplifié par Macron, pas de conditions d'investissement à la suppression de l'ISF. Les ultra-riches, dont le taux d'imposition est plus bas que la totalité des 95% restants du pays, sont peinards et soutenus.
Macron se fiche des symboles. Lundi 21 janvier, il rassemble à Versailles, en ce jour anniversaire de la décapitation de Louis XVI, le gotha du patronat français et européen pour louer l'attractivité retrouvée de la France. Une loi Travail qui asservit, la baisse des impôts pour les entreprises, la défiscalisation des heures supplémentaires aux détriments des comptes publics, Macron a fait beaucoup. Il veut rassurer le patronat que la "jacquerie" des Gilets jaunes ne changera rien à sa contre-révolution libérale. Les seules entreprises devraient bénéficier cette année du doublement du CICE - 40 milliards d'euros en une seule année ! -, entre autres avantages."Les investisseurs étrangers, eux, craignent que le mouvement bloque les réformes" s'inquiète un éditocrate macroniste, Nicolas Bouzou. "Ils considèrent que le gouvernement a fait de bonnes réformes, sur le marché du travail notamment, et la grande crainte est que ça s’arrête." Fichtre ! Au secours ! L'association ATTAC rappelle justement la grande efficacité du ruissèlement: "entre 2010 et 2017, les impôts versés par les entreprises du CAC 40 ont baissé de 6,4 % en valeur absolue, alors que leurs bénéfices cumulés ont augmenté de 9,3 % et les dividendes versés aux actionnaires de 44 % en valeur absolue également sur la même période, tandis que leurs effectifs en France ont baissé de 20 %."
Trois quinquennats complaisants, et voici un résultat qui ne semble pas gêner la Macronista.
A cette hypocrisie libérale, soutenue par d'anciens socialistes désormais supporteurs zélés de ce fiasco économique, s'ajoute la violence d’État, celle qui blesse et mutile pour décourager la gronde et la révolte.
Violence d’État
Samedi 19 janvier, n'en déplaise à Macron, les Gilets Jaunes ont repris le pavé avec succès, une mobilisation soutenue, majoritaire calme mais forcément minorée par le gouvernement. Les chaînes d'info reprennent vite leur focalisation sur les quelques dérapages de fin de cortège. La police est renforcée de curieux effectifs en civil, déguisés en Black-blocs, surarmés, masqués et casqués.
Paris, 19 janvier 2018, près des Invalides.
Les violences policières, inouïes depuis le début des manifestations, font enfin surface dans l'actualité telle qu'elle traitée par les médias dominants. Le silence médiatique sur les "gueules cassées" au lanceur de balle de défense (LBD) est étouffant: 4 sujets dans les JT de 20 heures de TF1 et France 2 entre le 17 novembre et le 13 janvier. Officiellement, les violences n'existent que du côté des manifestants. Davantage d'attention fut portée à salir deux Gilets Jaunes - Eric Drouet et Maxime Nicolle, que le Parti Mediatique désigna à tort comme leaders des Gilets Jaunes. Le complotisme macroniste, effrayé, n'a pas de limite.
Puis, grâce aux médias alternatifs tels le Media, aux vidéos et photos citoyennes publiées en continue sur les réseaux sociaux, et l'obstination d'un journaliste, David Dufresne, qui recense et publie sur Twitter les traces de violences et de leurs victimes, le Parti médiatique a été forcé de traiter enfin le sujet, et de relayer ces interrogations posées depuis des mois par des aossciations humanitaires telle Amnesty International: la police est-elle trop violente ? Quand la France interdira-t-elle l'usage des grenades ? On apprend avec retard que le 12 janvier, les forces de l'ordre avaient même été formellement autorisés à emmener des fusils d'assaut sur le terrain des manifestations.
Les 9 actes des manifestations des Gilets Jaunes ont fait près de 3000 blessés, dont 1000 chez les forces de l'ordre (sans blessé grave) et 1700 chez les civils (dont 94 blessés graves et mutilés au 14 janvier d'après le décompte de Libération: "nous avons considéré comme blessures «graves», les membres arrachés, les organes ayant perdu leur fonction principale, les fractures, les pieds et jambes incrustés de bouts de grenades, les brûlures graves, mais aussi toutes plaies ouvertes au niveau de la tête.") La Justice a été saisie de près d'une centaine de cas, et 200 autres cas d'abus ont été signalés à l'IGPN.
Un portrait de Christophe Castaner, ce sinistre ministre de l'intérieur qui déclarait voici peu que "quand j'entends parler de brutalité inouïe et illégitime, je suis sidéré, et c'est le mot le plus poli que je trouve", a été dessiné avec comme pixels les portraits défigurés des victimes de balles et grenades policières. Même Amnesty International s'indigne. "Je ne connais aucun policier, aucun gendarme, qui ait attaqué des gilets jaunes" rétorque Christophe Castaner.
Cet homme mérite la prison.
***
Mépris social, inefficacité économique, violence d'Etat, quelle est la suite ?
Ami macroniste, où es-tu ?