Les femmes, le feu
C’est l’hiver, il gèle fort, conversation à bâtons rompus devant la cheminée. Elle, elle a travaillé toute sa vie en gériatrie. Elle en a vu passer des pensionnaires âgés, des femmes surtout.
« – Quand je vois une cheminée, même si elle n’est pas allumée, je pense presque toujours à ces femmes, dans les années 1980, les années 1990, et encore après, qui avaient les jambes marquées par le feu. Le devant de la jambe, comme cela, (elle dessine un ovale très long sur sa jambe), un peu au-dessous des genoux, et jusqu’au-dessus des chevilles, les socquettes sans doute.
Elles avaient la peau de la jambe comme brûlée de soleil, très hâlée, un vieux hâle de vieux, un coup de soleil très ancien et tenace, cuivré, avec une peau desséchée, fine comme du papier à cigarettes. Il fallait faire très attention en les soignant à ne pas écorcher une peau si fragile. La jambe restait ainsi brûlée tout le temps, des années, cela ne partait pas, non, de toute façon une peau âgée ne se renouvelle que si peu.
C’était de vieilles dames qui avaient passé du temps très près de leur cheminée. Les personnes âgées ont toujours froid. Et elles étaient si mal chauffées. Avec de si petits feux qu’on devait se mettre dessus pour avoir un peu chaud. La pauvreté, la difficulté d’alimenter en bûches, l’inconfort des maisons passoire…
Les hommes ? Non, jamais, eux ils avaient les pantalons ».
La pauvreté marque les corps on le sait, mais qui connaît ce genre de marques.
Moi je les ignorais.
29 /12/2018
Thérèse Marsan