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CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU 2018, par Mariella Villasante

Publié le 23 janvier 2019 par Slal


Janvier 2019
CHRONIQUE POLITIQUE DU PEROU 2018

UNE ANNEE CHAOTIQUE SAUVEE PAR LE PRESIDENT VIZCARRA, DES JOURNALISTES ET DES JUGES INCORRUPTIBLES, ET PAR LA SOCIETE CIVILE

Mariella Villasante Cervello

Jamais le pays n'avait connu une période aussi chaotique et désordonnée que celle qui vient de s'achever. Elle a été marquée, d'une part, par les attaques du parti fujimoriste Fuerza Popular contre l'ordre constitutionnel, en cherchant à gouverner à la place du pouvoir exécutif. Et, d'autre part, par la découverte de vastes réseaux de corruption qui ont impliqué non seulement des anciens présidents, mais aussi des hauts fonctionnaires de la justice, dont le Procureur de la Nation, en collusion avec des politiciens fujimoristes et apristes [du parti Apra] qui tentaient d'échapper aux enquêtes.

L'année 2018 a été cependant sauvée, si l'on peut dire, par trois faits majeurs : d'abord, par l'administration compétente de l'ancien vice-président Martín Vizcarra, investi à la présidence du pays le 23 mars, à la suite de la démission du président élu Pedro Pablo Kuczynski, conséquence de la grâce présidentielle accordée à Alberto Fujimori et de ses tentatives pour éviter sa destitution [voir la note d'avril 2018]. Cette grâce a été annulée par la Cour Interaméricaine des droits humains en août, et Fujimori doit retourner en prison, même s'il a obtenu un répit en se déclarant « malade », et qu'il est depuis lors confiné dans une clinique. Les médecins l'ont déclaré « stable » à la mi janvier et il est actuellement en attente de son transfert vers une prison ordinaire.

Le gouvernement du président Martin Vizcarra

Le deuxième fait majeur de l'année a été la révélation publique des scandales de corruption impliquant des personnalités jusque-là perçues comme « intouchables » (notamment Keiko Fujimori). Ces informations, que l'on doit au travail exemplaire d'un groupe de journalistes dirigés par Gustavo Gorriti de l'Institut de défense légale (IDL Reporteros), ont conduit à l'ouverture d'enquêtes par un groupe de juges dont Richard Concepción Carhuancho et Roque Huamancóndor, et de procureurs, dont José Domingo Pérez, Rafael Vela et Rocío Sánchez. Il s'agissait en particulier de pratiques de corruption associées aux réseaux criminels nationaux ( Cuellos blancos del puerto ) et internationaux ( Lava Jato ), impliquant des ex-présidents (Toledo, García et Humala), plus récemment la présidente du parti Fuerza Popular, Keiko Fujimori [actuellement en détention préventive], et des hauts fonctionnaires, dont le Procureur de la Nation Pedro Chávarry. Après deux semaines de tensions, au cours desquelles le président Vizcarra a dû intervenir directement, Chávarry a finalement démissionné le 7 janvier 2019. Une grande réforme du système de justice vient de débuter avec la nomination de la nouvelle Procureure de la Nation, Zoraida Avalos, soutenue par le pouvoir exécutif, qui a décidé de restructurer l'ensemble de l'appareil judiciaire, gangréné par des réseaux de corruption politique et criminelle qui se sont construits lors du régime de l'ex-dictateur Fujimori, c'est-à-dire depuis les années 1990.

Le troisième fait positif est sans doute le retour de la société civile sur la scène politique. Constant depuis la fin 2017 et tout au long de 2018, ce retour s'est exprimé dans des manifestations et des marches nationales qui se sont opposées fermement aux fujimoristes prétendant gouverner le pays à partir du Congrès où ils détiennent la majorité. Par ces manifestations, la société civile a également montré son adhésion à la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi que son rejet de la corruption politique qui règne depuis près de 30 ans. La situation économique a été plutôt bonne en 2018, avec une croissance de 4% à 5%, grâce aux bons résultats de la pêche (qui a augmenté de 188%), du secteur minier et de la construction. En 2019 l'économie péruvienne devrait connaître une croissance de 3,7% grâce à la demande interne et aux investissements publics (Gestion du 11 janvier 2019).

Enfin, l'année qui vient de se terminer a été émaillée de nombreux rebondissements et coups de théâtre. En ce début 2019, le pays s'achemine lentement vers une amélioration globale de ses institutions qui n'avaient surtout de « démocratiques » que le nom. Les défis pour le président Vizcarra et pour tous ceux qui soutiennent sa politique anti-corruption restent cependant immenses.
LE TRAVAIL DU PRESIDENT VIZCARRA ET LES DEFIS A VENIR

Après sa prise de fonction, on pensait que Martín Vizcarra, ex-gouverneur de la province de Moquegua, et vice-président de Pedro Pablo Kuczynski, allait suivre les traces de son prédécesseur et se soumettre au pouvoir de la majorité fujimoriste du Congrès. On se trompait. Le 28 juillet 2018, dans son message à la nation, le président Vizcarra annonça la tenue d'un référendum sur plusieurs réformes constitutionnelles. Ce référendum était soumis à l'approbation du Congrès, mais le président précisa que sans approbation de ce dernier dans un délai déterminé, il demanderait un vote de confiance ouvrant la porte à sa dissolution. Le référendum a eu lieu le 8 décembre, et les résultats ont été largement positifs : 90% des Péruviens ont voté pour la réalisation des 4 réformes proposées par l'exécutif (El Comercio du 10 décembre 2018).
• Approbation de la réforme constitutionnelle sur les fonctions de la Junta nacional de Justicia : Oui (79%), Non (12%)
• Approbation de la réforme constitutionnelle que régule le financement des organisations politiques : Oui (78%), Non (13%)
• Approbation de la réforme constitutionnelle qui interdit la réélection immédiate des parlementaires de la République : Oui (77%), Non (13)
• Approbation de la réforme constitutionnelle qui établit un Congrès bicaméral : Oui (8%), Non (79%). Le rejet était associé aux modifications introduites par le Congrès sur le vote de confiance. La question sera probablement remise à référendum lors des élections de 2021.

Le président Martín Vizcarra (Andina)

Actuellement, le président bénéficie de 66% d'opinions favorables. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire républicaine, il dispose d'un réel soutien populaire et d'une légitimité politique qui lui permettent de s'imposer face à un Congrès aux mains de politiciens fujimoristes et apristes.

Ces réformes touchent d'abord à la restructuration complète du système judiciaire qui a été touché par des affaires de « méga-corruption » organisée et entretenue par des fujimoristes de tout bord, et dans laquelle sont tombés des juges, des procureurs, des avocats, et même de simples agents judiciaires. Il s'agissait dans ces affaires d'empêcher les plaintes et les actions en justice contre des délits perpétrés par des personnalités affiliées au régime institué par Alberto Fujimori et réorganisé par sa fille Keiko dès 2005. On y reviendra un peu plus loin. Les autres réformes concernent la réforme du système du travail, les investissements miniers et la gestion des conflits sociaux associés à l'exploitation des ressources naturelles (mines, bois, pétrole, gaz). Les autres grands chantiers touchent à l'éducation, à la santé et à la sécurité.

LE DECLIN DU FUJIMORISME, LA CHUTE DE KUCZYNSKI ET LA CORRUPTION D'OLLANTA HUMALA, D'ALAN GARCIA, D'ALEJANDRO TOLEDO ET DE KEIKO FUJIMORI

Rappelons que Keiko Fujimori n'a perdu les élections présidentielles de 2016 qu'avec 40 000 voix d'écart au second tour. A cette occasion, les citoyens péruviens ont dû choisir entre deux maux et c'est finalement le candidat de la droite traditionnelle, Pedro Pablo Kuczynski, qui a remporté l'élection. Reste que près de la moitié des électeurs avaient été convaincus par le discours populiste de droite de l'héritière du régime fujimoriste. Ils ont cru, ici comme ailleurs [notamment au Brésil, où Jair Bolsonaro, un ex-militaire d'extrême droite a remporté les élections], aux promesses de campagne de cette femme qui occupait la place de « première dame » aux côtés de son père, lorsque celui-ci décida de divorcer de son épouse Susana Higuchi [qui avait dénoncé les détournements des dons venus du Japon pour soutenir les populations pauvres du pays].

Keiko Fujimori avait promis d'être « implacable dans la lutte contre la corruption et de ne pas utiliser le pouvoir politique au bénéfice des membres de sa famille », de « respecter l'ordre démocratique, la liberté d'expression » et d'approfondir le travail de la Commission de la vérité et la réconciliation, ainsi que les réparations des victimes de la violence [un euphémisme pour parler de la guerre interne]. Aux classes populaires, elle promit d'appliquer la « mano dura » (une main de fer) dans la lutte contre la criminalité de plus en plus répandue dans le pays, de « reprendre l'essor économique » du pays en exploitant les ressources naturelles dans l'ensemble du territoire.

Keiko Fujimori se trouve aujourd'hui en détention préventive sous l'accusation de corruption et de blanchiment d'argent (La República du 12 octobre 2018). Plusieurs membres de son parti sont également mis en examen et/ou en détention préventive. La cote d'impopularité de Keiko est de 81%, à peine inférieure à celle de l'ex-président Alan García (87%).

Keiko Fujimori en prison préventive pour 18 mois depuis le 31 octobre 2018 (ABC Internacional)

Le déclin des fujimoristes commença par une lutte intestine entre deux factions, l'une dirigée par Keiko, l'autre par son frère cadet Kenji. En décembre 2017, on découvrit que Kenji Fujimori avait conclu un accord avec le président Kuczynski : échanger la grâce présidentielle en faveur de son père [accordée le 24 décembre 2017] contre les voix de son groupe de neuf fidèles congressistes [les « Avengers »], pour éviter au président d'être démis de ses fonctions par le Congrès —à majorité pro Keiko Fujimori— qui l'accusait de corruption dans l'affaire Lava Jato. De fait, l'entreprise Odebrecht avait envoyé au Congrès des documents prouvant le transfert de plus de 700 000 dollars à l'entreprise Westfield Capital dirigée par Kuczynski entre 2004 et 2007. [Voir la Chronique 2017].
• Dans ce contexte, la chute de Kuczynski fut précipitée, d'une part, par Jorge Barata, administrateur d'Odebrecht au Pérou, qui, le 8 février 2018 déclara aux procureurs péruviens et brésiliens avoir remis d'importantes sommes d'argent aux candidats lors des élections présidentielles (Toledo, Garcia, Humala) et récemment à Kuczynski afin de faciliter l'obtention de marchés de travaux publics (comme ailleurs en Amérique latine). Et, d'autre part, par la divulgation du marché que l'ex-président avait passé avec la faction de Kenji Fujimori, dénoncée par sa sœur Keiko le 20 mars. Ce jour-là, en pleine crise gouvernementale, le groupe parlementaire de Keiko présenta en conférence de presse une vidéo dans laquelle on voyait Kenji et deux autres personnes faire des offres financières à un congressiste de la faction de Keiko (Moisés Mamani) pour obtenir son adhésion à leur propre faction. Dans cette vidéo, Kenji affirmait compter sur le soutien de la première ministre Mercedes Aráoz. Le lendemain, 21 mars, Kuczynski présenta sa démission [voir la note du 3 avril 2018]. Suite à cette affaire, Kenji Fujimori a été suspendu du Congrès, expulsé du parti Fuerza Popular, et mis en examen par le ministère Public.
• La grâce présidentielle accordée à Alberto Fujimori fut critiquée par la société civile, par plusieurs partis et syndicats et par de nombreuses personnalités démocratiques du pays. Finalement la Cour interaméricaine des droits humains se saisit de l'affaire le 2 février 2018 à la demande des avocats des victimes des massacres de La Cantuta et Barrios Altos. Le 15 juin 2018, la Cour IDH prononça une sentence affirmant que la justice péruvienne devait réviser la grâce, demandant que le Tribunal constitutionnel se prononce au plus tard le 29 octobre 2018. Si la Cour IDH n'a pas « annulé » la grâce, elle l'a remise en question, appelant le système péruvien à tenir compte de la Convention américaine sur les droits humains (IDEHPUCP, le 26 juin 2018).

Kenji Fujimori et son père Alberto Fujimori, à la Clinique Centenario, le 26 décembre 2018 (Panamericana TV)

• Le 3 octobre 2018, le pouvoir judiciaire, représenté par le juge Hugo Nuñez Julca, déclara la « non application » de la grâce présidentielle et ordonna à la DIROES l'arrestation et l'emprisonnement de Fujimori. Le pouvoir exécutif ne fit pas obstacle à ce jugement (France 24 América Latina du 3 octobre 2018). Le même jour, Fujimori déclaré « malade », quitta sa luxueuse demeure de La Molina pour être transféré à la Clinique Centenario (Pueblo Libre). Selon toute vraisemblance, il s'agit de manœuvres dilatoires organisées par des médecins à sa solde : une vidéo du 31 octobre le montre en train de marcher normalement dans sa chambre d'hôpital (Latina TV du 4 novembre 2018). L'avocat des victimes a demandé au pouvoir judiciaire un diagnostic officiel sur la santé réelle de Fujimori (Andina du 11 novembre). Le 17 janvier 2019, la Junta médica du ministère Public a déclaré qu'après l'examen médical réalisé sur Alberto Fujimori, ce dernier se trouvait dans un « état stable » et pouvait être renvoyé en prison où il sera suivi médicalement. La Cour Suprême a annoncé que l'institution qui administre les prisons du pays devra indiquer le lundi 21 janvier dans un délai de 48 heures le lieu de sa future détention (La República du 19 janvier 2019).
• Au début du mois de janvier 2019, le procureur anti-corruption Amado Enco a annoncé que l'ex-président Fujimori n'avait rien payé de sa dette de réparation civile pour ses condamnations pour corruption. Il fait partie de la liste de 15 débiteurs de l'État, dont son ex-bras droit et homme de main Vladimiro Montesinos. Fujimori devait 27 millions de soles, mais avec les intérêts la somme actuelle se monte à 51 millions de soles. La grâce présidentielle n'a pas effacé cette dette mais les biens enregistrés par Fujimori n'en couvrent malheureusement pas le montant (RPP du 9 janvier 2019).
• Actuellement, la situation des fujimoristes au Congrès est catastrophique. Non seulement leur dirigeante historique est en prison, mais plusieurs congressistes ont quitté le groupe parlementaire et/ou le parti Fuerza Popular, dont le président du Congrès, Daniel Salaverry, qui vient de démissionner du parti pour dénoncer l'autoritarisme des « leaders ». Sur un total de 73 congressistes fujimoristes, il n'en reste que 56, et le parti pourrait encore en perdre 10 autres prochainement. Ainsi, après avoir été le parti majoritaire (sur les 130 du Congrès), les fujimoristes sont aujourd'hui en minorité et sans aucun parti allié (La República du 10 janvier 2019).

Évolution de la composition du Congrès après la débandade des fujimoristes (La República)

Après tous ces bouleversements politiques liés à la corruption, le secteur anti-fujimoriste de la société civile est passé de 29% au début 2018 à 54% actuellement. Le parti fondé par Alberto Fujimori est en train de se décomposer et l'objectif de ses dirigeants n'est plus de préparer les élections de 2021, mais d'éviter d'aller en prison.

Les affaires de corruption « Java Jato » et le rôle des procureurs Domingo Perez et Rafael Vela et du juge Richard Concepción Carhuancho

Le méga scandale lié à l'affaire de corruption brésilienne Lava Jato a continué à peser sur la vie politique du Pérou tout au long de l'année 2018. Après la démission de l'ex-président Kuczynski le 21 mars, le procureur Germán Juarez a déclaré le 3 avril 2018 avoir des preuves suffisantes pour ouvrir le procès d'Ollanta Humala et de son épouse Nadine Heredia, condamnés le 13 juillet 2017 à une peine de prison préventive par le juge Richard Concepción Carhuancho [qui préside le Juzgado nacional de Investigacion Preparatoria]. Ils étaient accusés d'avoir reçu près de 3 millions de dollars de l'entreprise Odebrecht pour la campagne présidentielle de 2011. Finalement, le 27 avril 2018, ils ont été libérés sur décision du Tribunal Constitutionnel composé de sept magistrats et présidé par Ernesto Blume. Leur procès continue (La República du 27 avril 2018).

Les procureurs de l'affaire Lava Jato, [de g. à d.] José Domingo Pérez et Rafael Vela (El Comercio)

Les affaires de corruption et de blanchiment d'argent liées à Lava Jato sont examinées par deux instances : d'une part, le pouvoir judiciaire, en particulier la Sala penal nacional présidée par la juge Inés Villa Bonilla et le juge Richard Concepción Carhuancho ; d'autre part, une équipe spéciale du ministère Public, composée de deux procureurs qui sont devenus des héros nationaux pour leur acharnement dans la recherche de la vérité : José Domingo Pérez et Rafael Vela. Ces personnalités ont fait preuve d'une redoutable habilité pour négocier des accords de « collaboration efficace » avec l'entreprise Odebrecht, permettant à la justice péruvienne d'accéder à toutes les informations concernant les liens de corruption établis au Pérou. Cependant, comme on pouvait s'y attendre, ces procureurs et juges qui sont devenus une menace pour les principaux responsables des crimes de corruption (les ex-présidents García, Toledo et Kuczynski, et des hauts fonctionnaires) et leurs affiliés qui travaillent au sein de l'institution judiciaire, font face à des dénonciations calomnieuses et à des opérations hostiles. Il s'agit en particulier de trois affaires qui touchent l'ex-président García, Keiko Fujimori et l'ex-Procureur de la Nation Pedro Chavarry.
• L'ex-président García avait été mis en examen pour trafic d'influence, blanchiment d'argent et collusion. Le 15 novembre 2018, à son retour d'Espagne, où il séjourne fréquemment, Garcia fut interrogé par le procureur José Domingo Pérez. Le même jour, IDL Reporteros publia des documents qui prouvaient qu'Odebrecht avait payé une somme exagérée (100 000 dollars) pour une « conférence » donnée le 25 mai 2012 à São Paulo. Pérez émit alors un ordre d'interdiction de sortie du pays de 18 mois à son encontre pour garantir sa participation aux procédures de justice. García déclara que « cela ne posait aucun problème », mais le 17 novembre il se présenta à la résidence de l'ambassadeur d'Uruguay, Carlos Barros, pour demander l'asile politique arguant être « persécuté ». Le président Vizcarra dénonça cette manœuvre en affirmant que tous les Péruviens devaient accepter la justice sans aucune exception. Pendant plusieurs jours, une forte tension se manifesta entre les deux pays. Finalement, le 3 décembre, le président de l'Uruguay, Tavaré Vázquez, déclara que son gouvernement n'accorderait pas l'asile politique à l'ex-président Garcia au motif que « les trois pouvoirs de l'État fonctionnent normalement » au Pérou (El Comercio du 3 décembre 2018).
• On savait, depuis novembre 2017, que Keiko Fujimori avait reçu de l'argent d'Odebrecht pour financer sa campagne présidentielle en 2016. Les enquêtes avaient commencé à cette époque sous la conduite des procureurs Pérez et Vela. Le 10 octobre 2018, le juge Richard Concepción Carhuancho ordonna la détention préliminaire de Keiko Fujimori dans le cadre d'un procès pour corruption. Keiko sortit pourtant de prison le 17 octobre. Mais quelques jours plus tard, le 31 octobre, alors qu'elle était entendue par le juge Carhuancho, celui-ci décida de son emprisonnement préventif immédiat pour 36 mois, ainsi que pour onze de ses proches collaborateurs du parti Fuerza Popular. Le juge déclara que Keiko Fujimori était soupçonnée d'être la dirigeante d'une vaste organisation criminelle de blanchiment d'argent [1,2 million de dollars reçus d'Odebrecht] au sein de son parti, qu'elle avait menacé des témoins, et fait obstruction à la justice depuis le début de l'enquête judiciaire. Le procureur Pérez avait obtenu des preuves de ces délits grâce aux « collaborateurs efficaces » appartenant au parti Fuerza Popular. Il découvrit également des preuves d'un complot le visant organisé par les congressistes fujimoristes aux ordres de Keiko Fujimori (ABC Internacional du 1er novembre 2018).

Procès contre Keiko Fujimori, le procureur Domingo Pérez [à g.] et le juge Carhuancho (Caretas, le 16 octobre 2018)

• Le dernier grand scandale de corruption a eu comme acteur central le Procureur de la Nation, Pedro Chávary, qui vient de démissionner de ses fonctions. Quelques précisions avant d'expliquer sa chute. Il avait été élu à son poste par la Junta de Fiscales Supremos du ministère Public le 7 juin 2018 pour la période 2018-2021. Cependant, dès le mois de juillet, Chávarry avait été mentionné dans le rapport de la procureure sur le crime organisé, Sandra Castro, comme faisant partie de l'organisation criminelle « Los Cuellos Blancos del Puerto », avec treize autres magistrats du Conseil national de la magistrature, du pouvoir Judiciaire et du ministère Public.

« Los Cuellos Blancos del Puerto » était une organisation de malfaiteurs composée d'une dizaine de membres dont une partie travaillait au sein de la Corte Superior de Justicia del Callao [principal port péruvien]. En juillet 2018, la Police nationale et des agents du ministère Public ont capturé 11 membres de cette bande, dont l'ex-président de la Cour Supérieure de Justice du Callao, Walter Ríos [en prison préventive pour 36 mois], et des hommes d'affaires. Ils sont accusés des délits de corruption de fonctionnaires, de trafic d'influence et de blanchiment d'argent ; ils opéraient depuis 2010. L'affaire a été placée sous la responsabilité de la procureure Rocío Sanchez, spécialiste de la criminalité au port du Callao. L'affaire suit son cours (El Comercio du 13 août 2018).

Le 7 juillet 2018, IDL Reporteros avait diffusé une conversation téléphonique entre Chávarry et le juge suprême César Hinostroza, au cours de laquelle les deux personnages échangeaient des faveurs illégales. Chávarry sollicitait le soutien d'Hinostroza pour renvoyer le magistrat José Luis Salas, et Hinostroza demandait l'aide de Chávarry pour contrer les dénonciations à son encontre pour enrichissement illicite et blanchiment d'argent. Hinostroza poursuivait en réclamant la « disparition » des dossiers compromettant pour obtenir une attestation de « casier judiciaire vierge », indispensable pour un visa pour les États-Unis. Finalement, le Procureur de la Nation accepta de l'aider (IDL-Reporteros du 19 juillet et du 9 août, RPP du 19 juillet 2018). Le 7 octobre 2018, Hinostroza s'enfuit du pays via l'Équateur, d'où il prit un vol pour Madrid. Il demanda l'asile politique en Espagne, mais ne l'obtint pas. Il a finalement été arrêté le 19 octobre et placé en détention par le gouvernement espagnol ; les démarches pour son extradition au Pérou devraient se préciser en janvier 2019.

L'ex-juge suprême César Hinostroza (à g.) et l'ex-Procureur de la Nation Pedro Chávary (RPP)

Malgré la crise profonde du système de justice péruvien qui a suivi les dénonciations d'IDL Reporteros, Pedro Chávarry fut ratifié comme Procureur de la Nation par le Conseil national de la Magistrature (le 3 juillet). Il prit ses fonctions officielles le 20 juillet, alors qu'on connaissait ses liens étroits avec le juge Hinostroza. Les critiques et les mises en garde à son égard se multiplièrent. Finalement, le 31 décembre 2018, Chávarry tenta un coup de poker en annonçant en conférence de presse le renvoi des procureurs José Domingo Pérez et Rafael Vela, chargés des affaires de corruption Lava Jato, notamment des dossiers de l'ex-président Alan García et de Keiko Fujimori. Il « justifiait » sa décision en affirmant que le procureur Pérez « avait agi contre la hiérarchie institutionnelle et qu'il avait violé le secret de l'enquête » et enfin que « ces agissements avaient été avalisés par le procureur Rafael Vela, coordonnateur de l'équipe spéciale du cas Lava Jato ». De fait, quelques jours auparavant, le procureur Pérez avait accusé Chávarry d'obstruction à la justice dans le « cas cocktails » [destinés à recueillir de l'argent de contribuables fantômes pour le parti Fuerza popular]. Le président Martín Vizcarra rentra précipitamment de Brasilia, où il devait assister à la prise de fonction de Jair Bolsonaro pour s'occuper personnellement de cette affaire. A son retour à Lima, le président déclara le ministère Public « en état d'urgence ».

La grande majorité de la classe politique du pays, y compris Keiko Fujimori, ont demandé à Chávarry de démissionner de son poste. Des manifestations ont eu lieu dans les grandes villes du pays pour exiger sa démission. Mais Chávarry s'y refusa. En revanche, deux jours plus tard, il annula le renvoi des deux procureurs. Ces derniers avaient déclaré qu'ils comptaient bien mettre à l'abri les dossiers de leurs enquêtes sur l'affaire Lava Jato car ils n'accordaient aucune confiance au Procureur de la Nation et à ses associés. Le 5 janvier, José Domingo Pérez effectua une perquisition dans les bureaux de Chávarry et de son conseiller Manuel Duarte pour récupérer des dossiers sensibles et mit les bureaux sous scellés. Le 7 janvier, l'Ordre des avocats de Lima (Colegio de abogados) suspendit Chávarry pendant quatre mois « pour fautes éthiques graves dans l'exercice de sa fonction ». Finalement, le 8 janvier, sous la pression de la société civile, du pouvoir exécutif et de la classe politique tout entière, Chávarry démissionna de sa fonction de Procureur de la Nation, mais il reste, du moins pour le moment, membre du groupe de sept Procureurs suprêmes. Parallèlement, le même jour, lui-même et trois de ses conseillers, aidés par trois policiers, ont violé les bureaux scellés le 5 janvier et ont emporté trois cartons de documents. Le procureur Rafael Vela a révélé les vidéos des caméras de surveillance qui montrent l'acte délictueux. L'enquête a commencé pour déterminer les responsabilités de tous ceux qui ont participé à ces agissements. Le 8 janvier, la seule femme du groupe des sept Procureurs Suprêmes a été nommée Procureure de la Nation par intérim ; il s'agit de Zoraida Avalos, magistrate de longue expérience et respectée. Déclarant immédiatement le ministère Public en état d'urgence, elle offrit son soutien aux procureurs accusés par Chávarry, et promit une vaste réforme de l'institution, suivant la proposition du pouvoir exécutif.

Nouvelle Procureure de la Nation, Zoraida Avalos (Andina.pe)

Le feuilleton de l'ex-Procureur de la Nation occupe le devant de la scène politique actuelle. On espère que le Congrès examinera enfin les plaintes contre ses agissements, des plaintes déposées depuis 6 mois et qui avaient été enterrées sans autre explication. La procédure devrait se terminer par le retrait de sa protection juridique et son renvoi définitif. Enfin, les cinq membres du groupe « libéral » du Congrès ont déposé une plainte à la présidence du Congrès en demandant sa destitution de la magistrature et son inéligibilité pendant dix ans pour les délits d'infraction de plusieurs articles de la Constitution (RPP du 9 et du 10 janvier 2019).

• La situation de l'ex-président Alejandro Toledo reste inchangée, il est déclaré en fuite aux États-Unis, et sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Le 17 février 2017, le juge Carhuancho a ordonné par contumace sa mise en prison préventive pour 18 mois pour des délits de corruption et blanchiment d'argent ; il est accusé d'avoir reçu 20 millions de dollars de l'entreprise Odebrecht pour le marché de la route Interocéanica entre 2001 et 2006. Le 13 février 2017, l'ancien Procureur de la Nation Pablo Sanchez annonça que le Pérou demanderait l'extradition de Toledo aux États-Unis. Le 21 mars, le ministère Public accusa Toledo et son épouse Eliane Karp des délits de blanchiment d'argent et de corruption et il requit 18 mois de prison préventive pour les deux dans l'affaire Ecoteva [achats immobiliers frauduleux avec la complicité de trois autres personnes proches d'Eliane Karp, dont sa mère]. Les États-Unis n'aident pas l'État péruvien à extrader Toledo : le 23 mai 2018, ce dernier donnait une conférence dans un forum de l'ONU à New York sans être inquiété. Peu après, il accorda un entretien à une chaine de télévision nord-américaine affirmant être « victime de persécution politique ». Le 23 mars le pouvoir judiciaire péruvien a approuvé l'extradition. Le 16 mars Jorge Barata déclara qu'Odebrecht lui avait donné 700 000 dollars pour sa campagne de 2011. En mai, la Commission Lava Jato du Congrès décida d'inclure Toledo dans la liste des personnes mises en examen. Le 8 novembre, le président Vizcarra s'est engagé à ce que Toledo soit extradé des États-Unis avant la fin de son mandat pour qu'il soit jugé au Pérou (El Comercio du 9 novembre 2018).

Ex président Alejandro Toledo et son épouse Eliane Karp en fuite aux États-Unis (NDTV, février 2017)

LE REGAIN D'ACTIVITE TERRORISTE AU VRAEM ET LE NEO-SENDERISME POLITIQUE

La région des Vallées des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (VRAEM) est le dernier repaire des groupes terroristes installés par le Parti communiste du Pérou-Sentier Lumineux. Dans ces zones de l'Amazonie centrale, isolées et d'accès difficile, couvrant près de 6 millions d'hectares, on a recensé 444 553 personnes, dont 88% vivent sous le seuil de pauvreté (30%) et d'extrême pauvreté (58%). La majorité de cette population est d'origine native [Ashaninka et Nomatsiguenga] et dans une moindre mesure d'origine andine [Quechua] (MIDIS, Andina du 24 septembre 2018).

L'isolement et l'absence d'État ont favorisé le trafic de drogue [cocaïne] et l'alliance établie entre les narcotrafiquants et les terroristes, dirigés par les frères Quispe Palomino, depuis 1999 sous les noms de Sendero Rojo et Militarizado partido comunista del Perú, et depuis juin : Fuerzas armadas revolucionarias del Perú, probablement pour imiter les Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia (FARC), avec qui ils ont développé des liens importants (y compris le trafic d'armes). Actuellement, les principaux dirigeants sont « José », Víctor Quispe et « Raul », Jorge Quispe. D'autres groupes narcoterroristes continuent à agir dans la région du Huallaga et plus récemment sur le fleuve Putumayo, près de la frontière avec la Colombie. Selon les données trouvées dans leurs archives digitales, ils revendiquent 446 morts entre 1999 et 2017. Les pics de violence (affrontements, séquestrations, assassinats ciblés) ont eu lieu en 1999, en 2008, en 2009, en 2012, en 2013, en 2015, en 2016, et finalement en 2018. L'organisation terroriste dispose toujours de ses « bases de soutien », des camps totalitaires où ils ont installé des « écoles populaires » pour l'endoctrinement et la formation militaire des enfants-soldats et des adolescents-soldats (parfois nés dans ces camps ou séquestrés). Plusieurs opérations militaires ont pu récupérer des personnes captives dans ces camps ; en 2012 (22), en 2014 (14), en 2015 (54) et en 2016 (26), soit au total 116 personnes dont 77 enfants et adolescents (El Comercio du 28 juin 2018, Villasante 2016).

Groupe de terroristes du Militarizado partido comunista del Perú (La República, 2017)

• Après une période de relative accalmie, plusieurs attentats ont été perpétrés entre juin et septembre 2018. Le 7 juin, quatre soldats ont trouvé la mort dans une embuscade dans la zone d'Anco (Huancavelica) ; le 11 juin, les terroristes attaquèrent la Base Nueva Libertad et blessèrent six soldats. Entre le 4 et le 9 août il y eut une opération militaire importante pour exfiltrer 47 soldats tombés dans une embuscade à Llochegua (Ayacucho) ; un soldat et trois terroristes furent tués dans les affrontements.

Le 19 septembre, le terroriste « Basilio », fils de la sanguinaire « camarade Olga », Tarcela Loya Vilches (50 ans), a été abattu dans une opération militaire à Huanta (Ayacucho). Le président Martín Vizcarra a ordonné la réorganisation de la lutte anti-terroriste, augmentant notamment les opérations de renseignements et la coopération entre les forces de police et l'armée. Actuellement, 5 800 hommes ont été déployés dans cette vaste région qui couvre 5% du territoire national. Les programmes de développement ont augmenté considérablement ; ils concernent aujourd'hui les 69 districts du VRAEM situés dans les départements de Junín, Ayacucho et Cusco, des régions placées en état d'urgence depuis 1999 (La República du 10 juin 2018, Caretas du 16 août).

• Parallèlement et sans lien direct, deux groupuscules néo-senderistes, qui revendiquent l'héritage idéologique du sanguinaire chef historique de Sendero Luminoso, Abimael Guzman [toujours en prison de haute sécurité à la Base Navale du Callao], continuent leurs actions de propagande. D'abord, le Movimiento por la amnistía y los derechos fundamentales (MOVADEF), créé en 2009, et qui a tenté de s'inscrire comme parti politique en 2011. En décembre 2017, 43 membres de cette organisation furent accusés d'apologie du terrorisme, mais en novembre 2018, ils ont finalement été acquittés pour « manque de preuves ».

D'autre part, au début 2015, les avocats de Guzman ont créé un nouveau groupe de façade, le Frente de unidad y defensa del pueblo peruano (FUDEPP), et ils ont essayé d'entrer vainement dans le système politique légal. A l'instar du MOVADEF, ils revendiquent l'amnistie et l'impunité pour les senderistes en prison et continuent à recruter des jeunes qui ignorent tout de la guerre interne en leur vendant une idéologie « révolutionnaire ».

FEMINICIDE AU PEROU : LA VIOLENCE DOMESTIQUE BANALISEE

Malgré les mesures adoptées par le gouvernement pour durcir les peines de prison contre les assassins de femmes [20 ans, selon la dernière modification du Code pénal du mois de mai 2018], et les facilités apportées pour dénoncer les cas de violence sexuelle, ces assassinats restent très importants au Pérou. Selon le ministère de la Femme, depuis 2008, on a rapporté 1 122 cas de féminicides. Au cours des dix dernières années, près de la moitié des meurtres (48%) ont eu lieu en zone urbaine, dans les départements d'Arequipa (83), Junín (63), Cusco (56), Ayacucho (54), Puno (55), mais surtout dans la ville de Lima (347). La plupart de femmes avaient entre 18 et 59 ans et elles ont été tuées par leurs conjoints (28%) ou par des parents proches. Près de la moitié des assassins (45%) ont été capturés après leur crime (El Comercio du 5 décembre 2018).

A la fin décembre, la Defensoría del Pueblo a publié un rapport qui consigne 143 meurtres de femmes au cours de l'année 2018, contre 109 en 2017.

Femmes assassinées au cours de l'année 2018 (Exitosa, novembre 2018)

• Six cas ont choqué fortement la société civile péruvienne. Le 24 avril 2018, Eyvi Agreda (22 ans) fut brûlée vive par son conjoint, Carlos Hualpa Vacas, qui l'arrosa d'essence à l'intérieur d'un bus de Lima, blessant une dizaine de passagers. Eyvi succomba à ses blessures malgré un mois de traitement.
— Le 29 juin 2018, Juana Mendoza (31 ans) fut attaquée dans la ville de Cajamarca par un ex-conjoint de sa sœur ; elle fut entièrement brûlée avec de l'essence ; elle mourut sept jours après.
— Le 4 décembre 2018, le corps de Marisol Estela Alva (25 ans) fut trouvé dans un cylindre rempli de chaux à Villa El Salvador, un quartier populaire de Lima. L'enquête de police a déterminé que son ancien conjoint, Luis Estebes Rodriguez (32 ans), sous-officier de l'armée, était l'assassin. Il se trouve toujours en fuite et le ministère de l'Intérieur offre 20 000 soles (5 000€) pour obtenir des informations aidant à sa capture.
— Le 16 décembre 2018, une jeune Vénézuélienne, Helen Michell Hernandez Zavaleta (20 ans), et ses deux enfants de 3 et 4 ans furent assassinés avec une arme blanche par son conjoint, également vénézuélien, Jimmy Manfreddy García Castillo « parce qu'elle avait refusé de l'épouser ».
— Le 19 décembre 2018, Julia Asunción Reyner Valenzuela (40 ans) fut tuée par balles devant sa maison d'un quartier populaire (San Juan de Lurigancho) ; l'assassin présumé est son ancien conjoint et père de leurs trois enfants, un ex-lieutenant de la police, Julio César Ganoza Ríos. Le corps de celui-ci a été découvert le lendemain dans un lieu isolé, il s'était suicidé avec le même pistolet utilisé pour assassiner la mère de ses enfants.
— Le 26 décembre 2018, Estefanny Torres Miller (25 ans), mère d'une fillette de 4 ans, fut assassinée dans une maison du sud de Lima (Cañete) ; son corps fut trouvé dans un puits (Peru21 du 26 décembre 2018. Voir aussi l'information d'América TV).

Péruviennes manifestant à Paris le 8 mars 2018 (La República)

• Le 3 décembre 2018, le Defensor del Pueblo, Walter Gutierrez, a déclaré que les Centres d'urgence des femmes (CEM), créés pour la défense des femmes victimes de violence de genre, sont passés de 13 en 1999 à 339 actuellement. Cependant, malgré les efforts de l'État pour lutter contre les meurtres des femmes, ceux-ci continuent d'augmenter. En faisant le bilan de ces Centres, Gutierrez a souligné l'importance de mieux former les agents de Police pour recevoir les plaintes des femmes agressées, dont celles qui ont fait l'objet d'une tentative de meurtre.

D'autre part, un rapport récent de la Defensoría a révélé que seulement 20% des 339 Centres fonctionnent 24 heures par jour et 7 jours sur 7. De son côté, la Ministre de la Femme, Ana María Mendieta, a annoncé que les commissariats de police auront désormais un bureau équivalent aux Centres d'urgence des femmes ; et qu'en 2019 cinquante nouveaux services associés à la Police ont été créés (Exitosa du 3 décembre 2018).

• Depuis le début de cette année, on a registré cinq meurtres de femmes. Le 1er janvier 2019, Clorinda Laura Bonifacio (49 ans) fut tuée à coups de poing par son conjoint à Tacna ; et Daniela Torres (22 ans) fut tuée par son ex-conjoint à Huancayo. Le 6 janvier, Magdalena Suaña (29 ans), mère de trois enfants, fut trouvée morte dans sa maison de Puno ; elle aurait été tuée par un homme connu la veille. Le 7 janvier, Roxana Mendoza (23 ans) fut trouvée morte dans sa maison d'Ayacucho, l'assassin présumé est Yoel Parhuana. Le 9 janvier, Ingrid Arizaga (37 ans) fut tuée au port du Callao par son ex-conjoint, un agent de sécurité du ministère de la Femme, Sandro Villegas (América TV du 11 janvier 2019).
• Le 13 janvier, le ministère de l'Intérieur a annoncé que les policiers qui ne reçoivent pas des plaintes de violence contre les femmes seront dénoncés pénalement et seront expulsés de la Police. De son côté, la ministre du Développement et de l'Inclusion Sociale, Liliana La Rosa, a annoncé le 12 janvier la création d'un Fonds d'environ 10 millions de soles pour affronter le machisme et le féminicide dans le pays. La congressiste de gauche Tania Pariona a demandé au président Vizcarra la promulgation d'un Plan national d'égalité des genres pour combattre efficacement les violences et les meurtres des femmes [voir La República du 13 janvier].
• La société civile péruvienne a continué à organiser des marches de protestation contre la violence faite aux femmes, en particulier à l'appel des collectifs associés au mouvement international #MeToo (#NiUnaMenos), qui a débuté ses actions le 13 août 2016. Elles ont eu lieu également le 12 août 2017, après le viol de Micaela de Osma ; puis le 25 novembre 2017, Journée internationale contre la violence de genre. En 2018, un collectif créé à Paris a participé à la marche pour l'égalité féminine du 8 mars à Paris.

D'autres cas atroces ont conduit des milliers de personnes à manifester dans les rues : le 8 avril, dans la ville de Chincha (au sud de Lima), après le viol d'une petite fille de 3 ans par le directeur de son école, Pablo Machado.

Le 11 août 2018, des milliers de manifestants ont marché du centre de Lima vers le Conseil national de la magistrature, qualifié de « machiste », pour protester contre la corruption et pour exiger que la défense des femmes et des fillettes soit incluse dans les futures réformes du système judiciaire du pays (La República du 11 août 2018).

Marche #MujeresxJusticia, Lima, le 11 août 2018 (La República)

LA MIGRATION DES VENEZUELIENS AU PEROU

L'ONU estime que 2,3 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays pour s'installer dans les pays voisins : Brésil, Colombie, Équateur, Pérou, mais aussi Chili et Argentine, ou l'Amérique centrale et les États-Unis. Cet exode massif, jamais enregistré dans l'histoire sud-américaine, est dû à la pire crise politique, économique et sociale du Venezuela. Les Vénézuéliens émigrent pour manger, pour se soigner correctement et pour gagner des salaires dont une partie importante est destinée à leurs proches restés au pays. La grande majorité des émigrants traversait les frontières sans documents en règle, et sans permis de séjour. Progressivement, les pays les plus concernés, dont la Colombie et le Pérou, ont commencé à exiger des passeports depuis le mois d'août. De son côté, le gouvernement de Maduro refuse de reconnaître qu'il existe une crise humanitaire aigüe dans son pays, et cela freine l'organisation d'une aide humanitaire internationale d'urgence. Chaque pays réagit de manière isolée et s'attache à calmer les populations locales sur l'inexistence d'un « danger » de la migration massive de ressortissants d'un pays frère (El Universo du 24 août 2018).

La situation de cet exode massif est complexe, mais elle suscite déjà des mouvements de xénophobie et de racisme, notamment parmi les classes populaires qui craignent de ne plus trouver de travail non qualifié en raison de l'offre au-dessous des prix du marché de nombreux Vénézuéliens.

Routes des migrations des Vénézuéliens, ACNUR, BBC Mundo)

En août, le ministre adjoint de Justice et droits humains, Daniel Sánchez, a annoncé le lancement d'une campagne nationale contre la discrimination et la xénophobie au Pérou centrée sur les bénéfices de la migration des Vénézuéliens, dont la majorité possède une qualification. Sánchez a rappelé également que des millions de Péruviens étaient sortis du pays pour trouver des emplois dans un grand nombre de pays au monde, où ils ont contribué à leur croissance et au développement (El Comercio du 25 août 2018). On précisera cependant que les Péruviens étaient et restent discriminés dans des pays voisins, dont le Chili et l'Argentine, où, avec les Boliviens, ils sont traités « d'Indiens » ; l'ancien racisme anti-indigène de nos pays reste prégnant.

A la fin de l'année 2018, on estimait que plus de 550 000 Vénézuéliens étaient entrés au Pérou par la route, à la frontière avec l'Équateur, dans le département de Tumbes. Parmi eux, 130 000 ont reçu un Permis temporaire de permanence (PTP), et 200 000 avaient commencé les démarches pour l'obtenir. Le délai pour commencer cette démarche a été fixé au 31 octobre 2018. Depuis lors les migrants peuvent entrer au Pérou comme touristes, avec un document de séjour de courte durée. Le PTP est un document de migration régulière qui permet de résider, de travailler et d'accéder aux services sociaux dont la santé et l'éducation. Les bénéficiaires doivent avoir un casier judiciaire vierge ; et ils peuvent obtenir aussi un document d'inscription au Registre unique de contribuables pour payer des impôts selon leurs activités économiques. Le PTP a une durée d'un an et il peut être renouvelé automatiquement en attendant la nouvelle Loi de migrations ; cependant, il perd sa validité lorsque le bénéficiaire voyage à l'extérieur pour une durée de plus de 183 jours consécutifs sans autorisation du bureau de Migrations (El Comercio du 3 novembre 2018).

Selon le ministère du Travail, près de la moitié des migrants sont employés dans des entreprises privées en tant que travailleurs qualifiés (57%), avec un contrat à durée déterminée (87%), surtout à Lima (82%). A la fin octobre, le Premier ministre, César Villanueva, a annoncé que le Pérou constitue le second pays d'accueil de Vénézuéliens après la Colombie, et que cela nécessite la participation d'une coopération internationale car la région du nord est débordée par le manque de services publics. Cependant, le Pérou reste ouvert aux migrants et solidaire avec eux (El Comercio du 31 octobre 2018).

Migrants vénézuéliens à Lima (América TV)

REFLEXIONS FINALES

• En 2018, on a pu constater de manière évidente que la corruption construite et développée par Alberto Fujimori dès les années 1990 est restée forte et active au Pérou. Tous les présidents élus après 2001 y ont participé, ainsi que les fonctionnaires de tout rang des ministères, des régions et des mairies. Tout était resté en place jusqu'à la découverte de l'affaire Lava Jato. Cependant, l'édifice a commencé à tomber au cours des derniers mois, même si la reconstruction d'un système judiciaire, politique et social non corrompu prendra de longues années.

• La nouvelle période qui s'installe est caractérisée par trois facteurs de changement : tout d'abord, le rôle du président Martín Vizcarra, qui a démontré qu'un ingénieur de formation, sans expérience politique, mais avec une grande volonté est tout à fait capable de faire avancer les programmes de réformes structurelles, trop longtemps phagocytées par les congressistes fujimoristes. En deuxième lieu, on observe que la volonté de changement des juges et des procureurs, engagés personnellement dans la lutte contre la corruption est décisive en cette période. En troisième lieu, la société civile est également en train d'assumer un rôle politique plus direct, avec des marches et des manifestations soutenant les enquêtes judiciaires et les investigations des journalistes. Le processus a commencé il y a deux ans environ, lorsque les Péruviens se sont aperçus qu'ils avaient attendu trop longtemps sans réagir face à la montée des partisans du populisme de droite, et de ses représentants, tous issus de la famille et des réseaux maffieux et criminels de l'ère Fujimori.

• Les défis restent énormes. La lutte contre la corruption s'accompagne de problèmes importants, citons ici la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de drogue dans le VRAEM et les campagnes contre les violences faites aux femmes qui ont acquis des contours tragiques ces dernières années. Mais également l'arrivée de plus d'un demi-million de Vénézuéliens qui fuient leur pays malmené et ruiné par les dictateurs Hugo Chávez et Nicolás Maduro. Les réactions de xénophobie initiales, favorisées par les discours haineux et racistes de certains politiciens populistes, ont beaucoup diminué. Cependant, la situation reste sensible et incomprise dans un pays dont la population est habituée à migrer pour améliorer ses conditions de vie (notamment pendant la guerre interne), mais pas du tout habituée à recevoir des « étrangers », même s'il s'agit de latino-américains.

• Le Pérou débute une période de changement important dont l'issue dépend, en grande mesure, des nouveaux acteurs politiques. L'ère de la mainmise des fujimoristes dans les affaires de la nation semble s'achever. Excellente nouvelle en ce début de nouvelle année !

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Principales sources citées

VILLASANTE Mariella, 2017, Los campos de concentración senderistas y los niños soldados en el Perú : desafíos para el derecho humanitario peruano, Revista Ideele n° 275, 15 de noviembre.
La República du 27 avril 2018 : https://larepublica.pe/politica/1233569-ollanta-humala-nadine-hoy-recuperan-libertad-seguir-proceso
Doris Aguirre, La República del 10 de junio : https://larepublica.pe/politica/1258375-terrorista-jose-amenaza-ataques-fuerzas-orden
IDEHPUCP, le 26 juin 2018/ http://idehpucp.pucp.edu.pe/analisis/corte-idh-y-el-indulto-a-fujimori-puntos-clave-para-comprender-la-decision-del-tribunal-por-valeria-reyes/
El Comercio del 27 de junio de 2018 : https://elcomercio.pe/politica/terroristas-vraem-cometieron-446-asesinatos-noticia-531052
El Comercio del 28 de junio de 2018 : https://elcomercio.pe/politica/terroristas-vraem-marcar-distancia-sendero-luminoso-tactica-noticia-531351
IDL-Reporteros du 19 juillet 2018 : https://idl-reporteros.pe/favores-entre-colegas/
IDL-Reporteros du 9 août 2018 : https://idl-reporteros.pe/los-audios-de-julio/
RPP du 19 juillet 2018 : https://rpp.pe/politica/judiciales/audio-revela-intercambio-de-favores-entre-fiscal-de-la-nacion-electo-y-juez-hinostroza-noticia-1137885
Wuaynakuna, 6 de agosto de 2017 : http://waynakuna.blogspot.com/2017/08/denunciamos-los-diarios-terroristas-del.html
La República du 11 août 2018 : https://larepublica.pe/sociedad/1296064-marcha-vivo-hora-lugar-ruta-movilizacion-corrupcion-mujeresxjusticia-11a-audios-cnm
— https://larepublica.pe/sociedad/1296064-marcha-vivo-hora-lugar-ruta-movilizacion-corrupcion-mujeresxjusticia-11a-audios-cnm/6 ?ref=notagaleria
El Comercio du 13 août 2018 : https://elcomercio.pe/politica/cuellos-blancos-puerto-organigrama-presunta-organizacion-criminal-incluye-antonio-camayo-noticia-541302
Caretas n° 2552 del 16 de agosto de 2018 : https://caretas.pe/politica/83811-vraem_nuevo_mapa
El Universo [Ecuador] du 24 août 2018 : https://www.eluniverso.com/noticias/2018/08/24/nota/6921038/crisis-venezuela-exodo-venezolanos-es-mayor-latinoamerica-ultimos
El Comercio du 25 août de 2018 : https://elcomercio.pe/peru/venezolanos-peru-ministerio-justicia-prepara-campana-luchar-xenofobia-noticia-550529
El Comercio du 20 septembre de 2018 : https://elcomercio.pe/peru/vraem/operacion-vraem-escondite-terrorista-video-noticia-559597
France 24 América Latina du 3 octobre 2018 : https://www.france24.com/es/20181003-indulto-alberto-fujimori-corte-peru
La República du 12 octobre 2018 : https://larepublica.pe/politica/1307318-keiko-fujimori-7-promesas-hizo-campana-rompio-2-anos
Caretas, le 16 octobre 2018 : http://caretas.pe/politica/84706-a_pocas_horas_del_fallo_de_prision_preventiva_contra_keiko
ABC Internacional du 1er novembre 2018 : https://www.abc.es/internacional/abci-keiko-fujimori-condenada-tres-anos-carcel-201811010307_noticia.html
El Comercio du 3 novembre 2018 : https://elcomercio.pe/peru/son-cifras-migracion-venezolana-ultimos-dias-noticia-573587
El Comercio du 9 novembre 2018 : https://elcomercio.pe/politica/alejandro-toledo-profugo-cronologia-situacion-noticia-575830
Andina du 11 novembre : https://andina.pe/agencia/noticia-piden-al-pj-exigir-a-clinica-informe-sobre-salud-alberto-fujimori-732392.aspx
El Comercio du 3 décembre 2018 : https://elcomercio.pe/politica/alan-garcia-cronologia-solicitud-rechazo-asilo-diplomatico-uruguay-noticia-583733
Latina TV du 31 octobre 2018 : (https://www.latina.pe/noticias/punto-final/portada/alberto-fujimori-video-muestra-cual-es-su-estado-de-salud-y-como-siguio-el-fallo-contra-keiko).
El Comercio du 5 décembre 2018 : https://elcomercio.pe/peru/feminicidios-peru-magnitud-delito-supera-300-casos-noticia-584445
RPP du 9 janvier 2019 : https://rpp.pe/politica/judiciales/pedro-chavarry-nuevos-aires-en-la-fiscalia-tras-la-eleccion-de-zoraida-avalos-columna-noticia-1174158
RPP du 10 janvier 2019 : https://rpp.pe/politica/judiciales/pedro-chavarry-bancada-liberal-presenta-denuncia-constitucional-su-contra-por-encubrimiento-noticia-1174494
La República du 10 janvier 2019 : https://larepublica.pe/politica/1391397-fuerza-popular-desploma-perderia-15-congresistas-total/4 ?ref=notagaleria

— Sur le féminicide :
La República du 13 janvier : https://larepublica.pe/tag/feminicidio Peru21 du 26 décembre 2018 : https://peru21.pe/peru/feminicidios-cinco-crimenes-conmocionaron-2018-nndc-449004
America TV : https://www.americatv.com.pe/noticias/actualidad/feminicidios-peru-2018-uno-uno-registro-asesinadas-hasta-hoy-n333946
América TV du 11 janvier 2019 : https://www.americatv.com.pe/noticias/actualidad/feminicidios-2019-uno-uno-crimenes-contra-mujeres-n353912 ?ref=irela

— Sur #niunamenos : https://larepublica.pe/tag/niunamenos

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