Mac Macron, moins président qu’énarco-technicien…
Com. Alors c’est donc cela, un chef de l’État? Ceux qui eurent la (mal)chance ou le devoir (professionnel) de regarder Mac Macron lors de ses deux premières prestations publiques restent incrédules quant à la nature du « grand débat » et, singulièrement, quant à la posture présidentielle dont l’incarnation jupitérienne absolutiste n’aura échappé à personne. À la faveur du premier round, Grand-Bourgtheroulde est ainsi devenue le nouveau lieu fétiche de toute la Macronie, comme s’il y avait désormais un «avant» et fatalement un «après», comme si, par sa seule ultraprésence, il avait aidé à redonner le moral à des troupes désabusées. Pour beaucoup, Mac Macron a réussi ce jour-là, durant six heures de rang, une «performance» capable de retourner bon nombre d’observateurs blasés – au point de la réitérer à l’identique trois jours plus tard, à Souillac. Entendons-nous bien. Le bloc-noteur ne niera pas la teneur de la «performance» susnommée, la maîtrise des dossiers comme leur amplitude en un temps record, par sa durée extrême, et pour tout dire, car n’ayons pas peur des mots, son incroyable faculté à avoir réponse à tout, mais vraiment à tout. Pour un peu, nous aurions voulu l’interroger sur nos cas personnels, nos déroutes intimes, nos problèmes de plomberie, nos ennuis de voisinage et même, tant qu’on y était, sur nos addictions et autres pathologies psychologiques… S’agissait-il de «savoir-faire», de «bonne préparation» ou de l’«excellence» de sa formation, ce qui lui octroie assez naturellement une aisance dans la repartie, sinon une dialectique qu’on pourrait presque lui envier? Qu’importe au fond: laissons la fascination à ceux qui ne s’interrogent pas sur les ressorts de la communication de groupe et se montreront toujours réceptifs aux spectacles de l’hypnotiseur Messmer. Comme l’écrivait cette semaine dans le Figaro Guillaume Tabard (une fois n’est pas coutume), ce à quoi nous avons assisté ressemble à s’y méprendre, en effet, au «syndrome Questions pour un champion». À admirer la prouesse, il restera toujours l’admiration. Avec Mac Macron, écoutons «aie confiance!», chantons les louanges de «l’économie pour les nuls» et laissons-nous avaler par Kaa.
Désillusion. À moins de se réveiller! Et les yeux grands ouverts, attentifs, que voyons-nous, qu’entendons-nous? Un énarco-technicien taillé pour cela. Rien de plus, rien de moins. Mac Macron prétend à lui seul relier tout, par la simple verticalité de son aplomb – et il peut se le permettre, d’ailleurs. Le problème, c’est qu’il nous récite de la technique quand nous voudrions qu’il parle politique. Or, la politique, elle, est à peu près reliée à tout: aux zones sombres, aux zones lumineuses, aux zones intermédiaires et intercalées. L’économie avec lui, puisqu’il n’a que cela à la bouche, n’est reliée à presque plus rien, qu’à ce qu’il y a de plus machinal, de plus prévisible, de plus mécanique chez l’être humain. Non seulement ce n’est pas une science, mais ce n’est pas un art non plus, encore moins de la politique, c’est en définitive à peu près rien du tout…
Piégé. Nous n’attendons pas d’un président de la République qu’il ait réponse à tout et que ses réponses soient assimilées à l’écoute d’une parole du sommet dévalé à la vitesse d’un skieur à Kitzbühel. Non, nous attendons d’un président – dans le cadre, pour l’instant, de ces institutions-là – qu’il fixe un cap, avec courage et audace en tant qu’horizon. Sachons-le définitivement : Mac Macron ne s’exprime pas en président, mais en représentant de l’entreprise France, avec les risques encourus. Car le «grand débat» est piégé, chacun le sait. La sous-évaluation de la question sociale en témoigne; elle est pourtant à l’origine et au cœur du mouvement des gilets jaunes. Dans peu de temps, la «performance» laissera place à la désillusion. Et bien d’autres se demanderont: c’est cela, un chef d’État?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité 25 janvier 2019.]