Magazine

Le Dieu des internautes

Publié le 11 juillet 2008 par Caulfield

Trouvée sur Internet, une petite histoire racontée sous forme de parabole biblique, reprenant tous les clichés possibles et existants sur la religion et la foi, ainsi que sur les paradoxes liés au concept même de Dieu (le Dieu des monothéistes, du moins), que la philosophie traite depuis la nuit des temps à coups de fables, de contes, de mythes, d'essais, de "Pourquoi" et de "Pourquoi pas".
En réalité, la religion n'est pas le thème central de ce petit texte, dont la version originale est anglaise; la véritable concernée est la foi.
L'auteur n'a pas semblé porter une attention particulière à cette nuance, et elle est pourtant plus que capitale.
Le Dieu de cette nouvelle présente énormément de caractéristiques très humaines. Il a un esprit de contradiction encore plus marqué que celui des petits enfants lorsqu'ils boudent, il juge en fonction des faits et non des intentions (et n'adopte donc pas l'adage selon lequel la fin justifie les moyens comme l'affirme Eve), il joue avec le concept d'intelligence indépendante mais pas avec celui de liberté.
Difficile pour un être humain de considérer Dieu comme un être non anthropomorphe, voire même peut-être comme une substance qui fusionne avec la Nature (l'idée de 'mort naturelle' prendrait alors un sens autrement différent) et qui est dénuée de toute volonté. C'est le Dieu qu'imagine Spinoza dans son Ethique.
A ce propos, le tout premier geste à effectuer si l'on veut éviter de concevoir indéfiniment Dieu comme un être anthropomorphe, c'est de faire un grand autodafé des livres de Bernard Werber.
Mais fi de bavardages. Lisez donc.


Une athée au jour du Jugement Dernier

La ligne semblait s'étirer à l'infini. Des centaines de millions d'âmes attendant patiemment leur tour pour passer devant le trône. La date... Eh bien, il s'agit du jour du Jugement Dernier, vous ne le trouverez sur aucun calendrier. La file de gens serpentait au pied de la montagne, s'étendait sur toute la vallée et s'évanouissait au loin. Chacun, dans la file, peut apercevoir la destination finale au sommet de la montagne. A une centaine de miles de distance, ils peuvent la voir très clairement. Et ils attendent, gagnant deux pas à chaque avancée. Vers Dieu, et la Décision.
En tête de file se trouve un jeune Chrétien arborant une expression de joie et d'émerveillement. Derrière lui, une athée, semblant quelque peu étonnée, examinant une feuille qu'elle a cueillie sur un buisson à proximité, tentant de décider si celle-ci est réelle ou non. Le Ciel, pense-t-elle, devrait être plus blanc, avec plus de flocons tourbillonnants; pas ressembler à un coteau gallois par une chaude journée.
Le Chrétien fait un pas en direction du jugement.
"Bonjour, Martin." La voix de Dieu est calme est douce quand Il parle.
"Euh... Bonjour. Seigneur." La voix de Martin est nerveuse; une douzaine d'émotions se disputent la place dans son esprit.
"Voilà. C'est ici que Je décide ce qui va t'arriver, Martin. De ton vivant, tu étais Chrétien." C'était une déclaration, pas une question.
"Je l'étais, Seigneur. Je le suis encore. Je l'ai été toute ma vie. J'étais votre serviteur."
"Dis-moi, Martin. Pourquoi étais-tu Chrétien? Pourquoi croyais-tu en moi?" "Pourquoi? Eh bien... Parce que vous êtes Dieu! J'ai toujours cru en vous." "Ce n'est pas ce que j'ai demandé. Pourquoi croyais-tu?"
"Parce que je savais que c'était vrai. Vous étiez toujours là pour moi. Vous m'avez secouru lorsque j'avais besoin d'aide. Vous avez répondu à mes prières. Vous m'avez donné la force et le courage de vivre. Je sentais votre présence à chaque instant."

"Non."

"Pardon, Seigneur?"

"J'ai dit non, Martin. Je ne t'ai jamais aidé. Tu semblais savoir te débrouiller parfaitement seul. J'ai entendu toutes tes prières, mais je n'ai jamais répondu à aucune. Ta croyance en moi t'a aidé à certaines occasions, mais je ne suis jamais intervenu dans ta vie. Bien sûr, tu m'as attribué tout le mérite des bons moments, mais c'était toi qui les provoquais, pas moi. Tu ne sentais pas ma présence, parce qu'elle ne peut pas être sentie. La seule et unique preuve que tu as de mon existence est ici et maintenant. Alors, encore une fois, dis-moi pourquoi tu croyais."

"Je... J'avais la foi, Seigneur. Depuis mon enfance je vais à l'église, je prie et je chante tous les dimanches. Ma foi en vous n'a jamais vacillé. Même quand ma mère est morte, je savais que c'était votre Volonté, que c'était votre Voeu qu'elle parte en paix. J'ai été élevé dans la foi, et quand j'ai grandi j'ai lu la Bible, et y ai appris vos miracles, et tous les saints et les martyrs, et le Bien fait en votre Nom. J'ai lu les ouvrages de grands philosophes, et leur foi n'était jamais aussi forte que la mienne. Je savais que c'était vrai. "

"Non, Martin. Ta mère est morte de causes naturelles, et elle est partie en paix grâce aux techniques médicales des hôpitaux. J'ai regardé et j'ai vu, mais c'est tout. Quant au reste - les saints, martyrs et philosophes avaient les mêmes raisons de croire en moi, tout comme les dictateurs et les meurtriers. Les gens ont fait beaucoup de bien et beaucoup de mal en mon nom, et au nom de tous les faux dieux. La Bible a été écrite à propos de moi, pas par moi, et a été écrite par des gens qui avaient les mêmes raisons que toi de croire, de la même façon que des milliers d'autres Livres Sacrés ont été écrits sur les faux dieux, ou sur différentes versions de moi. Je le demande pour la troisième et dernière fois. Pourquoi croyais-tu en moi?"

Martin semblait choqué et réduit en cendres, mais se reprit. Son Seigneur le testait, et il avait vécu toute sa vie en attendant cet instant-là.

"Je croyais parce que je sentais, en mon coeur, que cela était vrai. Vous avez envoyé votre Fils mourir pour nous, et je l'ai volontiers accepté comme notre Sauveur. Je... Je savais tout simplement que cela était vrai, et maintenant que je vous vois, ma foi est récompensée. Je n'ai plus besoin de croire - je vois de moi-même la vérité et la majesté de ma religion."

Dieu reprit la parole, calmement. "Martin, tu m'as impressionné". Il fit une pause.

"Mais... Pas assez. Tu crois parce que l'on t'a appris à croire. Tu crois parce que tu m'as faussement attribué tout ce qui t'est arrivé de positif dans ta vie, et tu m'as discrédité de tout ce qu'elle avait de négatif. Tu crois parce qu'il est confortable de croire, et parce que tu as peur des conséquences de ma non existence. Tu crois parce que... tu crois. Je suis désolé, Martin, mais il n'y a pas de place pour toi ici."

Dieu fit un geste furtif de la main, et Martin disparut. Son ombre s'attarda un instant à l'endroit où il se tenait auparavant, puis s'évanouit dans le néant.

L'athée, légèrement secouée par ce qui venait de se passer, fit un pas en avant.

"Bonjour Eve. J'aime ce nom."

"Ah. Bonjour, Dieu. Merci", dit Eve, incertaine de la façon dont il fallait s'adresser à un être qu'elle avait jusqu'à présent considéré comme fictif.

"Oui, tu peux m'appeler Dieu. Eve, de ton vivant, tu étais athée. Tu doutais de mon existence, et tu protestais même contre ce concept". A nouveau, une affirmation, pas une question.

"C'est vrai. Je me trompais."

"En effet. Dis-moi, es-tu toujours athée?"

"Je suppose que non. Je ne suis pas Chrétienne, Juive ou quoi que ce soit d'autre. Je suppose qu'on devrait m'appeler une théiste involontaire. Ha ha ha." Eve rit nerveusement, espérant que la très-réelle et très-consistante divinité devant elle ait un bon sens de l'humour.

"Mmm... Dis-moi, Eve. Pourquoi ne croyais-tu pas en moi?" La voix de Dieu était à nouveau douce et bienveillante.

"Il fut un temps où je croyais. J'ai été élevée en tant que Chrétienne, j'allais souvent à l'église, je priais chaque nuit avant d'aller dormir. Quand j'allais mal je lisais la Bible. Le fait de la lire semblait me réconforter, même si les mots eux-mêmes n'aidaient pas réellement. Je crois, comme Martin, que je croyais parce que je croyais."

"Et ensuite, tu as perdu la foi? Tu as décidé que je n'existais pas, et que tes opinions étaient meilleures que celles de ton entourage? Meilleures que celles de ton pasteur et de ta famille?" La voix perdait un peu de son ton caressant.

"C'est une façon de voir les choses, oui. Ce en quoi je croyais ne concordait pas avec les autres choses que je savais. La Bible ne pouvait décidément pas dire la vérité à chaque mot. Je savais, grâce à la biologie et la paléontologie, que les êtres humains ont évolué comme toutes les autres espèces, et qu'ils n'étaient pas une création à part. Comment l'Univers ou la vie sont-ils nés, je n'en sais encore rien, mais je ne pouvais raisonnablement pas accepter "C'est Dieu qui l'a fait" comme explication. Je me suis renseignée sur d'autres religions, et sur la façon dont elles faisaient de la vérité, du bonheur et de la morale des monopoles inébranlables. J'ai vu le bien fait en votre nom, mais j'ai aussi vu l'oppression, le génocide et les guerres. J'ai vu que lorsque les gens étaient dans le besoin, c'était à nous seuls de les aider à en sortir, et pas à une aide divine inopinée." Eve ressentit une impression de bravoure, mais s'attendait à tout moment à entendre le traditionnel coup de tonnerre. Derrière elle, les gens faisaient de lents pas en arrière, essayant de ne pas attirer l'attention sur eux.

"Maintenant te voilà, devant ton Dieu, pour le Jugement Dernier. Pourquoi devrais-je t'autoriser à entrer - une hérétique, une incroyante, une infidèle - alors que ton prédécesseur, dévoué et croyant, empli d'amour pour moi, a été condamné à l'oubli? Dis-moi pourquoi. Justifie ton entrée dans mon Paradis."

Eve se redressa, fixant Dieu. "Pourquoi devriez-vous me laisser entrer? Parce que je suis une meilleure personne que vous."

Si Eve avait regardé autour d'elle, elle y aurait vu la file entière d'âmes parfaitement immobiles et les yeux grand ouverts, qui la fixaient avec une expression choquée.

"Qu'as-tu dit?", s'enquit Dieu. Sa voix, bien qu'à peine audible, secoua la montagne.

Surprise d'être encore en vie, la bouche sèche, Eve continua. "J'ai dit, parce que je suis une meilleure personne que vous. Vous l'avez déjà montré vous-mêmes. Vous avez dit à Martin que vous avez regardé sa mère tomber malade et mourir. Vous l'avez recalé pour avoir cru sans bonne raison, alors que sa vie entière a été guidée par sa foi. Vos pasteurs sur Terre encouragent une foi sans questionnements, néanmoins vous ne nous dites pas que ce n'est pas ce que vous voulez. Vous ne donnez aux gens aucune base rationnelle à la croyance, et lorsqu'ils constituent eux-mêmes les propres bases de leur croyance, ce n'est pas suffisant pour vous. Vous écoutez nos prières, mais vous n'y répondez pas, laissant les gens rationaliser les événements par eux-mêmes. Les gens tuent et massacrent au nom de triviales différences de doctrines, et vous regardez. Dans les églises et les temples érigés à votre gloire, les enfants sont mentalement et physiquement abusés - dans votre soi-disant Maison! Partout dans le monde, à travers l'Histoire, les gens se sont tués les uns les autres sous prétexte de croire en de fausses caractéristiques divines, ou de croire en un mauvais Dieu, ou de ne croire en aucun Dieu. Les gens les plus pauvres et les plus démunis sont pris pour cibles avec acharnement, persuadés qu'en donnant le peu qu'ils ont aujourd'hui, ils gagneront le bonheur éternel plus tard. Quand une personne atteint les bas-fonds de l'existence, surgissent les missionnaires souriants, sachant que sa vie sera probablement meilleure naturellement, et ils peuvent vous en attribuer le crédit. En votre nom, la fin justifie les moyens tant que les âmes sont sauvées." Eve fit une pause pour respirer, et reprit.

"Et vous? Tout-puissant, tout-amour, omniscient? Vous êtes juste assis ici et vous regardez tout... Chaque personne dans cette file, si elle avait votre pouvoir, montrerait plus de compassion et de moralité. Vous êtes peut-être Dieu, mais vous êtes loin de la Divinité."

Dieu sourit. "As-tu terminé? Bien. Eve, tu m'as impressionné." Il s'arrêta. Eve reprit son souffle, épaules tendues.

"Tu m'as réellement beaucoup impressionné. Tu as peut-être cru en moi pour de mauvaises raisons, mais tu as arrêté de croire pour les bonnes raisons. Tu as mené une bonne vie, tu t'es bien servie de l'intelligence que j'ai donné à chacun. Et même si tu es parvenue à une conclusion à mon propos qui est désespérément fausse, tu y es parvenue par un chemin qui n'est pas blâmable. Tu peux entrer au paradis, Eve, avec ma bénédiction."

Eve n'avança pas. Au lieu de cela, elle parla à nouveau. "Non, je n'irai pas".

"Non? Tu refuses le Ciel? Tu défies ma Volonté?" Dieu avait perdu son sourire.

"Pensez-vous que je veux passer encore une minute, et ne parlons même pas d'éternité, en votre compagnie? Vous permettez aux gens de souffrir, parfois durant toute leur vie, sans aucune raison, et ensuite vous les jugez sur leur réaction. Vous vous cachez du monde et permettez à vos créations de se persécuter les unes les autres sous prétexte de différences d'interprétations sur ce qui n'a pas d'évidence. Vous voyez toute la peine et l'ignorance causées en votre nom, et vous restez simplement assis là pendant que la file grandit jour après jour? Et vous avez ensuite l'audace de punir les bonnes gens parce qu'ils croient en vous 'pour les mauvaises raisons'?"

"Eve. Assez. Les portes du Paradis te sont ouvertes. Tais-toi, à présent, et entre."

"Non. S'il y a un choix entre l'oubli et un éternité avec un monstre tel que vous, je choisis avec plaisir l'oubli. Je demande seulement une chose, avant que vous ne me détruisiez."

"Et qu'est-ce que c'est?" demanda Dieu, impatient.

"Que, si vous le pouvez, vous me regardiez dans les yeux en le faisant."

- - -

Peu de temps après, la personne suivante dans la file fit un pas en avant vers le sommet de la montagne, et vers le Jugement.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossier Paperblog