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Glass. Shyamalan en son miroir

Par Balndorn

Glass. Shyamalan en son miroir
Résumé : Peu de temps après les événements relatés dans Split, David Dunn - l’homme incassable - poursuit sa traque de La Bête, surnom donné à Kevin Crumb depuis qu’on le sait capable d’endosser 23 personnalités différentes. De son côté, le mystérieux homme souffrant du syndrome des os de verre Elijah Price suscite à nouveau l’intérêt des forces de l’ordre en affirmant détenir des informations capitales sur les deux hommes…

Comme son titre l’indique, Glass parle essentiellement de verre. Dans tous ses aspects. Aussi bien ses formes merveilleuses que la vacuité de ses reflets.

Une œuvre-limite
Si Roland Barthes vivait encore, et s’il eût connu (et apprécié) M. Night Shyamalan, il aurait qualifié sa dernière œuvre, Glass, de « limite ». Une production ultime (à ce jour), en laquelle s’agrègent l’ensemble des désirs et des peurs, des vertus et des vices d’un auteur. Ici, M. Night Shyamalan.Fin 2017, après Split donc, la belle revue Éclipsesconsacrait à ce cinéaste une monographie, à laquelle votre loyal serviteur contribua, intitulée : « Derrière les images ». Un joli titre qui résumé bien son œuvre. L’ombre du marionnettiste prenant plaisir à duper personnages comme spectateurs, à tramer des labyrinthes scénaristiques et formels, plane sur sa filmographie. Et le spectre du vide, de l’inexorable machinerie cinématographique opérant dans le néant du contenu, la hante de même. Il semblerait qu’avec Glass, Shyamalan ait franchi le pas de trop. Celui qui l’a précipité du haut du fil où il se livrait à son périlleux exercice d’équilibriste. Le concept d’une « trilogie » montée sur le tard, dix-neuf ans après la sortie du premier volet, Incassable, film parfaitement autonome, sentait le roussi. Aussi fascinant soit ce film, Split, second volet, frôlait déjà les abysses de la forme pure. Fort heureusement, Shyamalan introduisait dans sa mise en scène un élément nouveau dans sa palette artistique : le corps. L’an dernier, à la fin de ma rétrospective consacrée à ce réalisateur, je terminais ainsi ma critique de Split, évoquant ce que pourrait donner Glass : « Qui de l’incassable ou du brisé prendra le pas sur l’autre ? Shyamalan retournera-t-il à la mise en scène académique de ses débuts ou se laissera-t-il emporter par les démons charnels qui hantent son dernier film ? »Verdict : les « démons charnels » ont laissé place à des démons formels. Le verre, figé et réflexif, a chassé le corps, puissance insaisissable. Le verre, miroir égocentrique
Le verre sert d’élément matriciel. On le retrouve dans le générique en forme d’éclats de miroir brisé, dans des rétroviseurs de voiture, dans des glaces, dans des vitrines, dans des écrans de caméra… On comprend aisément la fascination qu’exerce le verre sur un artiste plasticien. Doté du trouble pouvoir de réflexion, le matériau renvoie au monde et aux êtres qui le peuplent une image, réelle ou non (là est la question que ne cessent de se poser la Horde, David Dunn et Elijah Price). Le monde étant verre, il se réfléchit en tant que monde, c’est-à-dire comme une production artistique définie par un créateur. On le voit venir. Dans les innombrables miroirs qui parsèment Glass, se réfléchit la figure du cinéaste-démiurge : M. Night Shyamalan.Glass est « œuvre-limite » en ce sens qu’elle passe son temps à regarder derrière soi, à l’image des personnages ressassant leur passé. Et derrière, c’est toute la filmographie de Shyamalan qui se rejoue sur le mode de l’autocélébration. Bien sûr, on renvoie à Incassable et Split ; mais aussi, par son questionnement sur la foi, à Signes, pour sa crise de la représentation, à Sixième sens, pour l’illusion que procurent les contes, au Village et à La Jeune fille de l’eau… À l’instar des personnalités de la Horde (James McAvoy), de David Dunn (Bruce Willis) et d’Elijah Price (Samuel L. Jackson), le cinéaste se construit une mythologie personnelle, avec ses héros, ses obsessions et ses réponses toutes faites.
Déconstruire pour reconstruire à l’identique
On mesure la différence entre la mythologie que bâtit pour lui Shyamalan et celle, à laquelle il rêve, patiemment sculptée film après film par les univers super-héroïques. Ces derniers ont depuis longtemps dépassé la question de l’identité personnelle : depuis Batman vs Superman et Civil War au moins (sinon Watchmen), les super-héros cessent de se torturer sur leur nature singulière (qui ne croit pas en avoir une ?) pour s’interroger sur leur rôle social et politique. Une maturation intellectuelle dont Glass est à des années-lumière, obnubilé par des questionnements adolescents : que suis-je ? pourquoi suis-je différent ? pourquoi ne m’accepte-t-on pas ?Dans sa prétention à vouloir déconstruire le genre super-héroïque, Shyamalan en vient à le caricaturer. Il se fourvoie de la même manière qu’Elijah : s’obstiner à chercher « la Vérité » dans les comic books, à déceler un sens caché dans des images scintillantes, conduit à négliger tous les détails graphiques, scénaristiques, thématiques… qui en font tout le sel. Posture d’initié qui, s’abîmant au plus profond des œuvres, sacrifie la richesse de leurs ramifications.À être trop mystique, on oublie de vivre. Glass. Shyamalan en son miroir
Glass, M. Night Shyamalan, 2h10, 2019
Maxime
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