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Les risques d’un référendum couplé aux européennes

Publié le 04 février 2019 par Sylvainrakotoarison

" Il n'y a au fond que deux écoles en philosophie et en politique : l'une qui part de l'autorité seule, et avec elle et sur elle éclaire et façonne l'humanité ; l'autre qui part de l'homme et y appuie toute autorité humaine. " (Victor Cousin, 1851).
Les risques d’un référendum couplé aux européennes
Faisant d'une indiscrétion son titre de Une, le "Journal du dimanche" du 3 février 2019 a annoncé que le Président Emmanuel Macron aurait l'intention d'organiser un référendum à questions multiples le même jour que les élections européennes du 26 mai 2019.
On comprend vaguement l'intérêt politique d'Emmanuel Macron. D'une part, personne ne peut être contre le principe d'un référendum. D'autre part, les questions multiples éviteraient de personnaliser le référendum et le transformer en plébiscite pour ou contre la politique d'Emmanuel Macron (s'il y avait à certaines questions des "oui" et à d'autres des "non", difficile de dire que ce serait un vote sanction). Enfin, cela éviterait le service après-vente des élections européennes qui ne seraient pas fameuses de toute façon pour LREM : la majorité présidentielle ne peut guère compter sur la moitié des électeurs, pas plus que sur le tiers et s'il atteignait le quart, ce qui serait déjà un exploit selon les sondages actuels, mais ce serait trop faible pour gouverner quand même avec une légitimité très établie. En clair, un tel référendum serait un moyen de réinitialiser la double séquence des " gilets jaunes"/" débat national" et (on n'y est pas encore) la séquence des "européennes".
Quand on apprend ce genre de nouvelle (évidemment, en week-end, histoire qu'elle ne soit pas à diffusion trop parfaite), on a le vague (toujours ce vague à l'âme) sentiment que l'on se moque des Français. Et on a aussi deux questions importantes sur la capacité à gouverner d'Emmanuel Macron.
La première question qui vient à l'esprit est grave car elle concerne la construction européenne. Quand on observe le paysage politique européen quasiment en ruine, il n'y a aujourd'hui qu'un seul "leader" européen capable de volontarisme pour faire redémarrer la construction européenne et lui redonner du sens : Emmanuel Macron. Parce qu'il est convaincu, parce qu'il a présenté sa conception dès la première année de son mandat avec le fameux discours de la Sorbonne le 26 septembre 2017 (qui n'a été suivi d'aucune initiative particulière depuis un an et demi, on attend en principe un prochain discours de mise à jour dans quelques semaines), parce que c'est aussi dans son intérêt politique immédiat d'être un pro-européen enthousiaste, d'être le seul en France à l'être, ce qui lui permettrait de rassembler le centre droit au-delà de LREM, d'autant plus que le choix audacieux de François-Xavier Bellamy comme tête de liste LR (qu'il faudrait appeler plutôt la "liste Dati-Hortefeux-Morano" malgré ce petit maquillage de jeunesse et d'idéologie) va dans ce même sens tactique.
Les risques d’un référendum couplé aux européennes
Cette question, c'est : Emmanuel Macron serait-il finalement aussi euro-fade et euro-mou que son prédécesseur François Hollande ? C'est-à-dire qu'il y a les paroles ("On va relancer l'Europe") et les faits. C'est vrai qu'on ne construit pas l'Europe tout seul, et comme les principaux alliés sont au feu rouge (Italie) ou feu orange (Allemagne, Belgique, Espagne), la paralysie est actuellement complète. Rappelons néanmoins que sans le volontarisme de Nicolas Sarkozy, qui a apporté le Traité de Lisbonne et la réponse européenne à la crise financière de 2008, il y aurait eu une paralysie gravissime de l'Europe il y a une dizaine d'années.
Or, Emmanuel Macron est-il si pro-européen que cela ? Quand, au cours d'un débat, il admet que la parole des Français a été trahie avec l'adoption du Traité de Lisbonne, non seulement il trompe les Français mais il contribue à casser l'Europe elle-même. Pourquoi ? Parce que dès lors que l'Europe était à vingt-sept (puis vingt-huit puis vingt-sept) membres, il fallait bien revoir les règles décisionnelles, l'unanimité signifiait paralysie, il fallait bien concevoir des majorités qualifiées dans la prise de décision. De plus, Nicolas Sarkozy, qui a été élu Président de la République en 2007, avait largement annoncé qu'il souhaitait faire adopter ce qui fut le Traité de Lisbonne, ses électeurs n'ont donc pas été pris par traîtrise (et c'est même l'argument que lui-même donne pour la suppression de l'ISF). Enfin, le référendum a eu lieu il y a quatorze ans, presque une génération, et ne concernait pas l'Europe mais seulement certains points institutionnels sur l'Europe et ne remettait en rien en cause notamment la monnaie unique européenne, l'euro, qui a, elle, rappelons-le, insistons encore, été adoptée démocratiquement par le référendum sur le Traité de Maastricht le 20 septembre 1992. En donnant raison aux europhobes de tous poils, par simple démagogie ou pour se faire (inutilement) bien voir des gilets jaunes, Emmanuel Macron n'aide pas l'Europe, contribue même à la saper.
Pire encore. Si Emmanuel Macron, pour des raisons de politique intérieure, veut organiser un référendum le même jour que les élections européennes, alors, c'est simple, il n'y a pas d'autre moyen de détruire complètement l'idée européenne. Pourquoi ? Parce que les élections européennes sont le seul moment, et rare moment, tous les cinq ans, où l'on peut espérer avoir un semblant de débat politique portant sur les enjeux européens. C'est déjà très faible, c'est assez rare, tant les élections européennes ont été préemptées, en France comme dans tous les autres pays européens, par des préoccupations de politique intérieure, mais justement, Emmanuel Macron aurait pu vouloir ramener le débat sur le plan européen et initier pendant deux ou trois mois, le temps de la campagne électorale, un débat public qui aurait été très utile sur : quelle Europe les Français voudraient-ils ?
Au lieu de cela, ce débat est pollué par le grand débat national. Au lieu de discuter d'Europe, on discute de mille choses sauf de l'Europe. Je ne dis pas l'intérêt de ce débat national, je dis seulement qu'il n'est pas dans le bon calendrier. D'ailleurs, saviez-vous qu'il y a eu un grand débat, une consultation publique sur l'Europe en 2017 ? On voit à quel point cela peut intéresser non seulement les médias mais aussi la classe politique et même, le gouvernement qui a peu communiqué à l'époque sur le sujet.
Une autre question vient assez rapidement à l'esprit, au-delà des doutes sur la capacité d'Emmanuel Macron à relancer l'Europe. Le pouvoir est-il incompétent ou négligent ? Ou alors trop inexpérimenté ? Parce que la procédure constitutionnelle pour organiser un référendum est assez précise (article 11 et article 89 de la Constitution) et il n'est pas possible, a priori, d'organiser un référendum à questions multiples (la plupart des constitutionnalistes ont déjà répondu par la négative à cette possibilité). Je rappelle le référendum du 27 avril 1969 qui contenait une question et deux réformes (régions et Sénat) et donc, une réponse unique. Vouloir multiplier les réponses serait un principe de pouvoir qui méconnaît la Constitution mais aussi qui croit que les institutions sont comme les sondages qui demandent la couleur de la voiture rêvée.
Or, gouverner, c'est avoir déjà une idée précise de ce qu'est bon pour la France. Demander l'approbation populaire n'est pas anodin. Il ne s'agit pas de demander : dans quelle voie faut-il que j'aille pour le bien de la France ? Mais plutôt de dire aux Français : je vous propose une voie, la voici, elle me semble la meilleure pour le pays et je vous demande de l'approuver car j'ai besoin de vous pour réussir ensemble.
Proposer des questions multiples démontrerait que le pouvoir n'aurait aucune voie à proposer aux Français. Car cette voie doit garder sa cohérence. Et si cette cohérence doit avoir trois éléments, par exemple, mettre aux voix ces trois éléments individuellement, c'est prendre le risque qu'ils ne soient pas adoptés tous les trois simultanément et donc, casser la cohérence interne initiale du projet, et c'est pire, un projet incohérent, que pas de projet du tout. Cela signifierait que plus personne ne maîtriserait la direction où irait la France, ce qui serait grave.
Au-delà de la multiplicité annoncée des questions, il y a évidemment la Constitution elle-même : on ne soumet pas ainsi n'importe quoi ni n'importe comment au référendum. Il faut généralement (ce fut le cas pour les quatre derniers référendums : la Nouvelle-Calédonie le 6 novembre 1988, le Traité de Maastricht le 20 septembre 1992, le quinquennat le 24 septembre 2000 et le TCE le 29 mai 2005) faire d'abord adopter par le Parlement le texte soumis au référendum, c'est-à-dire par l'Assemblée Nationale (contrôlée par la majorité présidentielle) mais aussi par le Sénat (contrôlée par l'opposition LR). Concrètement, en termes de calendrier, cela ne semblerait pas possible, au mieux entre le 15 mars et le 26 mai 2019, de préparer un tel référendum.
Les risques d’un référendum couplé aux européennes
Enfin, sur quels sujets le référendum porterait ? Là encore, l'idée que le gouvernement se moquerait des Français pourrait se renforcer. Car si l'idée, ce serait, dit-on, de soumettre des questions purement institutionnelles ( proportionnelle et nombre des parlementaires), ce serait un véritable court-circuitage du Parlement et surtout, cela ne résoudrait rien à la crise des gilets jaunes qui est partie avant tout du pouvoir d'achat. La réforme des institutions a été initiée plus de sept mois auparavant, en mai 2018, et elle n'a pas semblé empêcher le déclenchement du mouvement des gilets jaunes, pourquoi, si jamais (par malheur) elle était adoptée, l'éteindrait-elle ? Les critiques de "foutage de gueule" seraient alors assez justifiées.
Par ailleurs, petite cerise sur le gâteau de la duperie, annoncer dès le 3 février 2019 qu'on ferait un référendum sur les institutions alors que les Français sont encore en plein débat national et qu'on prétend attendre la fin de ce grand débat (15 mars 2019) pour en tirer les conséquences est une ficelle un peu grosse : les conséquences peuvent-elles être tirer avant de lire et d'analyser les centaines de milliers de contributions et de comptes-rendus de débat locaux ? N'a-t-on pas l'impression qu'on se moque un tantinet des Français ?
Les risques d’un référendum couplé aux européennes
Bref, l'annonce informelle en forme de sonde d'un éventuel référendum à questions multiples d'ordre institutionnel organisé le même jour que les élections européennes montre qu'il y a beaucoup de légèreté prise non seulement avec la gouvernance, mais aussi avec la Constitution et même avec l'idée européenne. Mais que se passe-t-il donc à l'Élysée ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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Quatre idées reçues du Président Macron.
Grand débat national : un état des lieux plutôt que des opinions.
Emmanuel Macron face aux citoyens : Marianne en gilet jaune sans filtre.
Grand débat avec Emmanuel Macron le 24 janvier 2019 à Bourg-de-Péage (vidéo intégrale).
Les leçons du Traité d'Aix-la-Chapelle.
Texte intégral du Traité franco-allemand signé le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle (Aachen).
Débat citoyen avec Emmanuel Macron et Angela Merkel le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle (vidéo intégrale).
Grand débat avec Emmanuel Macron le 18 janvier 2019 à Souillac (vidéo intégrale).
L'incroyable prestation d'Emmanuel Macron à Grand-Bourgtheroulde.
Grand débat avec Emmanuel Macron le 15 janvier 2019 à Grand-Bourgtheroulde (vidéo intégrale).
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Audit de la Cour des Comptes du quinquennat Hollande (29 juin 2017).
Pourquoi voter Bayrou ?
Les élections sénatoriales de 2017.
La XVe législature de la Ve République.
Les Langoliers.
Forza Francia.
Les risques d’un référendum couplé aux européennes
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190203-referendum-europeennes.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/04/37075000.html


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