Le "Manifeste cyborg" est un texte génial de Donna Haraway paru aux États-Unis en 1991 dont je viens de trouver une traduction en français! Loin des alarmes technophobes dont je suis accoutumé, ce texte conçoit le cyborg, la fusion homme-machine comme une possibilité de dépassement des anciens clivages de genre et de pouvoir. Loin de considérer, comme Ellul a pu le faire, la technique comme une entité autonome et excluante se développant en système, D. Haraway postule que les machines ne sont qu'une excroissance de nous-mêmes et, à ce titre, profondément et avant tout humaines.
Juste un extrait pour vous mettre l'eau à la bouche :
" Dans l’imagination occidentale, les monstres ont toujours défini les limites de la communauté. Les Centaures et les Amazones de la Grèce antique ont établi les limites de polis au centre du mâle grec humain en interrompant le mariage et les pollutions de la frontière du guerrier avec l’animalité et la femme. Les frères siamois et les hermaphrodites en France fondèrent le discours sur le naturel et le surnaturel, le médical et le légal, les prodiges et les maladies - tous importants pour établir une identité moderne. Les sciences de l’évolution et du comportement des singes et des gorilles ont marqué les multiples frontières des identités industrielles de cette fin de siècle. Les monstres cyborgs dans la science-fiction féministe définissent des possibilités politiques et des limites bien différentes de celles proposées par la fiction banale de l’Homme et de la Femme.
Prendre au sérieux l’image des cyborgs et les considérer autrement que comme nos ennemis a d’autres conséquences. Nos corps, nous-mêmes ; les corps sont les cartes du pouvoir et de l’identité. Ces cyborgs ne sont pas des exceptions. Un corps cyborg n’est pas innocent ; il n’est pas né dans le jardin ; il ne cherche pas l’identité unitaire et donc ne génère pas des dualismes antagonistes illimités (ou jusqu’à la fin du monde) ; pour lui, l’ironie va de soi. Un est trop peu, et deux n’est qu’une possibilité. Le plaisir intense dans la technique, la machine, cesse d’être un péché, mais il devient un aspect de l’incarnation. La machine n’est pas ce qu’on doit animer, vénérer et dominer. La machine est « nous », nos processus, un aspect de notre incarnation. On peut être responsables de machines ; elles ne nous dominent pas, elles ne nous menacent pas. Nous sommes responsables des frontières, nous sommes elles."Le texte original anglais se trouve ici
et la traduction française, assurée par Multitudes, ici
Bonne lecture!