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Orwellien(s)

Publié le 07 février 2019 par Jean-Emmanuel Ducoin
Orwellien(s)Mac Macron, la presse et la "vérité"... 
Happy few. Ainsi donc, Mac Macron rencontre, dans le plus grand secret, des journalistes – du moins ceux qu’il choisit. La scénette se déroula la semaine passée, et sans les confidences publiques d’un journaliste du Point (Emmanuel Berretta), qui a brisé l’embargo (non-dit) et le off (plus ou moins réclamé), personne n’aurait jamais eu connaissance de ces happy few à carte de presse dans le principal bureau du Palais. Nous appelons cela, dans notre jargon, un «échange informel». Celui-ci, singulièrement, illustre-t-il le journalisme de cour qui prend ses aises sous les lambris? Ce serait un peu vite dit – mais tout de même. La vérité nous oblige à admettre que l’intéressant de cette rencontre, le plus «illustratif» en quelque sorte, ne fut pas uniquement le procédé (encore que) mais bien son contenu. Imaginez un instant le bloc-noteur embarqué dans l’aventure et ce qu’il n’aurait pas manqué de faire savoir à qui de droit, surtout quand, devant cet aréopage, Mac Macron sembla réfléchir à haute voix afin d’exprimer sa vision toute personnelle de l’information et, plus avant, de son analyse des médias. Un autre témoin (dont nous tairons le nom) ne nous le cache pas: «C’était sur le ton de la confidence, certes, mais il ne pouvait ignorer qu’il parlait devant des journalistes, donc, par extension, un plus large public...» Et l’homme, qui n’osa néanmoins moufter durant cet instant privilégié, ajoute: «À un moment – j’exagère, bien sûr –, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un livre d’Orwell…» Que le chef de l’État ait une pensée sur les médias, c’est bien le moins. Pourquoi le tairait-il d’ailleurs, lui si prompt à répondre à tout-sur-tout dans ses séances du «grand débat», transformé en cénacle pour le plus doué des énarques – lui. S’il y aurait de quoi dire, en effet, sur la question des médias en général et de leur rôle fondamental dans une France plus ou moins mise sous cloche par les puissants, il y eut néanmoins plus ennuyeux dans sa bouche. Mac Macron déclara ceci, et il convient de bien lire jusqu’au bout pour le croire: «Le bien public, c’est l’information. Et peut-être que c’est ce que l’État doit financer. Le bien public, ce n’est pas le cameraman de France 3. Le bien public, c’est l’information sur BFM, sur LCI, sur TF1 et partout. Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. Que pour cette part-là, la vérification de l’information, il y ait une forme de subvention publique assumée, avec des garants qui soient des journalistes. Cette rémunération doit être dénuée de tout intérêt. Mais quelque part, cela doit aussi venir de la profession.»

Tutelle. Il fallut quelques minutes pour que le bloc-noteur comprenne. Mac Macron propose-t-il que l’État rémunère certains journalistes dans les rédactions? Pense-t-il à une sorte de «tutelle» de l’État destinée à la «vérification»? L’affaire paraît tellement délirante qu’il n’est pas inutile de se demander s’il a pris la mesure de cette «confession» à certains «professionnels de la profession». Comprenons-bien l’enjeu: placés sous la tutelle de «garants qui soient aussi des journalistes» (dixit), les journaux décideraient spontanément de confier à cette «tutelle» la définition de la vérité sur une information, via un système financé par l’État, le tout au profit du bien-commun, cela va sans dire… Paré du «nouveau monde», Mac Macron rêve de réordonner le nôtre. Il ne prétend pas «chercher la vérité» et «la dire», comme Jaurès dans son premier éditorial de l’Humanité. Il entend plutôt redresser la vérité là où il se trouve, c’est-à-dire aux commandes de l’État. Stupéfiant! Primo: la liberté de la presse est sacrée, en dépit d’elle-même. Secundo: la presse garantit un pan de la démocratie républicaine, la liberté d’informer, même si les médias dominants détenus par les milliardaires persistent à nous abêtir et à nous endormir collectivement. Tertio: l’aspiration au journalisme de cour conduit la politique à son insignifiance, sinon sa médiocrité. Quarto: réfléchir dans le moment présent à l’à-venir de nos métiers, oui, mille fois oui, mais tenter de les avilir encore plus jusqu’à la mise au pas… Jamais les journalistes ne se sont à ce point interrogés sur eux-mêmes, sur le sens de leur travail, sur leur fonction, et pas dans n’importe quel contexte: exposés désormais aux regards désabusés que leur portent souvent les citoyens. Ne l’oublions jamais.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 février 2019.]

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