Elle aime beaucoup François-René, elle se tourne régulièrement vers lui, le garde dans ses mains quelques jours, pas plus, pas trop, faut pas en abuser me dit-elle.
Elle a donc approché une chaise solide de la bibliothèque car elle l'avait repéré sur la dernière étagère du haut - comme par hasard - a posé une petite caisse en bois sur la chaise, a déplié un petit escabeau à deux marches tout contre la chaise, est montée sur l'escabeau, puis passage vers la chaise, à la caisse en bois et en se haussant sur la pointe des pieds elle a pu choper François-René.
C'est une vieille édition de 1936 qui porte sur des textes choisis. Elle le trouve trop triste, trop romantique mais elle a une grande tendresse pour lui. C'est pas évident de pénétrer l'univers de Chateaubriand, personne n'écrit plus comme ça, pourtant, à moments elle est comblée par cette écriture puissante, absconse, triste, mélancolique et parfois lumineuse. François-René est "tempête". Il naît à Saint-Malo un jour de puissante tempête, il reviendra d'Amérique en essuyant sur mer une tempête monstrueuse. Son enfance pitoyable est tempête, sa vie est tempête.
Il n'y a pas que François-René, mom peut tout lire, à quatre-vingt-quinze piges elle n'est contre rien, elle est partante pour tout, parallèlement à son cher François-René elle a en ce moment entre les mains le dernier bouquin de David Diop "Frère d'âme". C'est une vraie liseuse ma mère. Elle est émue quand elle lit toute la tristesse de François-René quand il apprend et écrit que son frère cadet, Jean-Baptiste, est mort. Ils l'ont guillotiné, ainsi que sa jeune femme Aline. Il avait 34 ans, elle, 23. Pour faire bonne mesure le monstre révolutionnaire enverra ce même jour à l'échafaud le grand monsieur de Malesherbes qui était le grand-père d'Aline, mom, dépitée, me raconte tout ça...
Je hais ce "genre" de révolution et leurs maudits révolutionnaires, ça, ce n'est pas mom qui me le dit, c'est moi qui l'écrit... Je lui dis alors qu'il n'y a pas si longtemps que ça je suis allé sur sa tombe à Saint-Malo, il y avait un vent à décorner les boeufs sur le rocher du Grand Bé ce jour-là, si le ciel était bleu et parcouru de nuages échevelés la mer était bien noire. Puis j'ai pris un bateau qui longeait les côtes déchirées pour visiter les colonies de macareux et de fous qui nichent sur des falaises abruptes, effroyablement vertigineuses. J'aime Saint-Malo...
François-René restera François-René me dit mom en me demandant de remettre en place le vieux livre dans la bibli.
On peut lire autre chose que Télé Z dans une vie, mom en est un exemple vivant, elle n'a jamais été à l'école ou si peu, a tenu une modeste épicerie de campagne toute sa vie, a eu ses mains enfouies dans la terre de son jardin à ses moments de "repos", mais depuis toujours elle a eu le réflexe de pousser le bouton de son "poste radio" pour écouter France Musique, Jacques Chancel ou Ève Ruggiéri, depuis toujours elle a ouvert le moindre bouquin qui passait par là et elle me confirme aujourd'hui que François-René a été une belle rencontre dans sa vie...