Vivre de ses revenus ou consommer son capital – présentation de scénarios possibles

Publié le 13 février 2019 par Chroom

Cet article fait suite à l’excellent article de Jérôme "Vivre exclusivement des dividendes ou bouffer son capital ?" et à la question très pertinente posée dernièrement par Laurent Martin:

"Lorsque vous estimerez venu le temps de devenir rentier (et donc d’abandonner un emploi salarié), lorsque vous jugerez les investissements effectués jusqu’à présent suffisant, comptez-vous vivre uniquement sur les revenus de ces investissements (dividendes) ou également sur le capital en entamant celui-ci? Cette seconde hypothèse est sans doute plus délicate à gérer, mais permet de se considérer comme indépendant financièrement plus tôt".

Cette question passionnante a beaucoup occupé mon esprit ces derniers jours et m’a poussé à développer ici mes réflexions en me basant sur différents scénarios envisageables.

A titre illustratif, je baserai mes exemples sur la situation de base volontairement simplifiée et les hypothèses suivantes:

  • Personne (ou couple) habituée depuis longtemps à un mode de vie frugal et qui n'a besoin que de 5’000 fr par mois (60’000 fr par année).
  • Les enfants ne vivent plus à la maison.
  • Le portefeuille d’actions offre un rendement moyen des dividendes de 4% (une valeur élevée mais réalisable, surtout avec des titres acquis plusieurs années auparavant et qui augmentent régulièrement leurs distributions).

Version "sur le tard" et en vivant uniquement de ses dividendes

On arrête par exemple de travailler à 58 ans. Pour des raisons fiscales, le 2e et 3e pilier sont retirés entièrement sous forme de capital sur 3 ans (à chaque fois environ un tiers à 58, 59 et 60 ans) et investis en actions

A ce moment, les économies (750’000 fr) + le capital de la caisse de pension (500’000 fr) + le 3e pilier (250’000 fr) donnent une fortune totale (portefeuille) de 1.5 mio.

Toute la fortune est investie en actions, soit une rente annuelle de 60’000 fr.

Commentaire: cette version est très alléchante en termes de revenus et de sécurité, mais elle implique de travailler jusqu’à un âge assez avancé. De plus, elle offre au final "inutilement" trop de revenus, car après quelques années les dividendes auront inexorablement augmenté et la rente AVS viendra bientôt s’ajouter à ces revenus passifs déjà devenus trop élevés!

En effet, à partir de 65 ans vient s’ajouter la rente AVS de 2’370 fr (pour une personne seule) ou 3’555 fr par mois (pour un couple).

Version plus soft

A partir de la même situation de départ, on investit par exemple 1.3 mio en actions (rente annuelle 52’000 fr). Les 200’000 fr restant sont gardés de façon beaucoup plus liquide (cash, fonds monétaires, obligations de caisse,...) et servent à compléter le "salaire" si besoin ou couvrir occasionnellement des grosses dépenses (achat d’une nouvelle voiture, frais médicaux importants,...).

La partir "liquide" du portefeuille sert de coussin de sécurité, d’airbag contre les imprévus financiers.

Version "vivre uniquement de la consommation de son capital"

Fonctionnement type: consommation de 4% de son capital chaque année, sur une durée de 25 ans (par exemple un capital de départ de 1.5 mio permet de retirer 60’000 fr par année pendant 25 ans).

C’est la version proposée par de nombreux conseillers financiers et que je ne retiendrai pas ici, non seulement parce qu’elle risque de ne pas fonctionner si vous vivez encore plus de 25 ans ("risque de longévité"), mais aussi parce qu’elle n’utilise pas les possibilités fantastiques offertes par la bourse et les dividendes.

Version "diminuer son temps de travail"

Il existe ici plein de variantes possibles, par exemple diminuer son temps de travail à 50% une fois que le revenu passif de ses dividendes parvient à combler ce manque à gagner, ou diminuer son activité professionnelle petit à petit, par exemple par tranches de 20% tous les 5 ans.

Version mixte

Du genre placer la moitié de sa fortune en actions et ponctionner chaque année le reste sur son capital.

Version semi-retraite à 50 ans avec une petite activité lucrative annexe

Notre bonhomme se déclare indépendant et retire son 2e et 3e pilier. Il dispose alors de: économies 500’000 fr, 2e pilier 325’000 fr, 3e pilier 175’000 fr, soit une fortune totale de 1 mio. Ce capital est investi en actions et offre une rente annuelle de 40’000 fr.

De 50 à 65 ans, cette personne travaille quelques heures par semaine afin de gagner ce qui lui manque (environ 1’700 fr par mois dans notre exemple).

Il s’agit idéalement d’une petite activité qui lui plaît et ne l’occupe pas plus de 2 jours par semaine (par exemple du genre: aide à la vente dans une boulangerie les samedis, vendre ses confitures maison sur Internet,...).

A 65 ans vient s’ajouter la rente AVS (je ne conseille pas de l’anticiper: la réduction est en effet de 13.6% si on l’anticipe de 2 ans).

Version plus risquée mais permettant d’atteindre l’indépendance financière plus tôt

Ce scénario pourrait par exemple consister à quitter son travail à 50 ans avec une fortune de 1.1 mio. 1 mio est placé à 4% (rente annuelle est de 40’000 fr), le reste est gardé en cash.

Les 20’000 fr annuels manquant sont obtenus en vendant quelques actions de temps en temps en cas de bonne performance boursière. Le cas échéant (les mauvaises années boursières), en prélevant ce montant sur la réserve de cash.

Après quelques années déjà, l’augmentation annuelle des dividendes devrait permettre de compenser l’influence négative de la vente de cette petite part du portefeuille et de vivre uniquement de ses dividendes.

En résumé, dans ce scénario:

  • Les mauvaises années boursières, on vit de ses dividendes et en puisant dans son cash.
  • Les années où notre portefeuille gagne 2 ou 5%, on vend 2 ou 5% de ses actions.

Et enfin, de temps en temps, on connaîtra une année boursière exceptionnelle, au cours de laquelle notre portefeuille gagnera par exemple 20%. Ces 200’000 fr peuvent servir à remplumer notre matelas de liquidités pour de nombreuses années. Ils peuvent également être réinvestis dans des actions distribuant des dividendes de 4%, faisant passer notre rente annuelle de 40’000 à 48’000 fr.

Ce que je veux illustrer avec cet exemple, c’est que les chiffres de départ ne doivent pas être pris trop à la lettre. Les actions ne sont pas des entités statiques et l’histoire boursière nous apprend qu’autant notre portefeuille que nos dividendes sont condamnés à augmenter avec le temps

Conclusion

En voulant à tout prix attendre d’avoir atteint les revenus passifs nécessaires (60’000 fr par an dans mon exemple) pour vivre son rêve d’indépendance financière, on se condamne à attendre plus longtemps que nécessaire pour se lancer dans cette magnifique aventure.

Qui plus est, on se retrouvera après quelques années avec une rente bien plus élevée que ce qu’il nous faut pour vivre (augmentation des dividendes, rente AVS). Autrement dit, on aura travaillé toutes ces années supplémentaires pour rien.

En osant se lancer dans l’aventure assez tôt (par exemple à 50 ans) avant d’avoir atteint la rente nécessaire pour vivre (par exemple déjà une fois qu’on touche 40’000 fr de dividendes) et en mettant un peu de cash de côté pour compléter notre rente les premières années (en cas de mauvaises performances boursières), l’histoire nous montre qu’on a toutes les chances de très bien s’en sortir.

Après déjà 5 ou 10 ans, l’augmentation de la taille du portefeuille et des dividendes devraient nous permettre de bien vivre sans plus avoir besoin de puiser dans ses réserves de cash (ou en vendant une fraction de son portefeuille). Sans oublier que la rente AVS viendra s’ajouter à nos dividendes à partir de 65 ans.

La bourse est imprévisible sur le court terme, mais sa tendance est clairement haussière sur un horizon de temps supérieur. Ne laissons pas ses dérèglements hormonaux à court terme mettre des bâtons dans les roues dans nos objectifs et nos rêves à long terme.

Pourquoi se tuer au travail jusqu’à 60 ans, alors qu’en planifiant soigneusement les choses et en acceptant si besoin de ne pas vivre dès le premier jour de notre indépendance financière que de ses dividendes (c’est-à-dire en puisant au besoin dans son capital ou sa réserve de cash les premières années), on peut regagner cette liberté qui n’a pas de prix déjà 10 ans plus tôt?