Si l'on est républicain et un tant soit peu jacobin, on ne peut que se réjouir de cette décision qui réaffirme non seulement la séparation de la sphère privée et de l'espace public (on ne se présente pas voilée lorsque l'on a affaire à des agents de l'Etat), principe à la base de la laïcité, mais distingue ce qui relève du rite religieux et du prosélytisme politique. Le Conseil d'Etat, de surcroît, rappelle la primauté des idéaux républicains, notamment l'égalité entre hommes et femmes, sur les valeurs d'inspiration religieuse, surtout lorsque celles-ci conduisent à la sujétion de la femme. Mais la portée de cette décision est peut-être encore plus grande.
En confirmant le décret de 2005 qui faisait état d'un "défaut d'assimilation" de la demandeuse, le Conseil d'Etat réitère ainsi le principe assimilationniste à la base du modèle d'intégration français. Incompatible avec les valeurs fondamentales de la société française, le port d'un signe excessivement distinctif - le défi sera donc, lorsque des cas similaires se présenteront à l'avenir, de déterminer une frontière entre l'acceptable et l'inacceptable - interdit logiquement l'accès à la nationalité. Cette décision est ainsi de mise à rassurer ceux - dont je suis - qui s'inquiètent de l'abandon du modèle français d'intégration traditionnel au profit d'un nouveau modèle, s'inspirant du multiculturalisme britannique, du communautarisme américain ou du "pilarisme" néerlandais. Ces modèles, qui prévoient des accomodements dérogatoires au droit commun pour les minorités ethnico-religieuses, sont incompatibles avec l'universalisme français qui, s'il a parfois le tort de ne pas toujours tenir compte des complexités de la société française, a le grand mérite de traiter de manière véritablement égalitaire les citoyens français. Et, sur le long terme, de vraiment travailler à l'intégration des minorités, en les forçant à se défausser de tout ce qui pourrait être susceptible de les en empêcher. Comme la loi sur les signes religieux à l'école massivement votée par le Parlement en 2004, elle repose, certes, sur une contrainte de départ : obliger un individu à renoncer à une pratique qu'il croit essentielle à son identité. Mais la liberté, et, osons-le, l'affranchissement qu'une interdiction du voile permet sont de mise à favoriser l'épanouissement de cet individu bien plus que l'accession à une revendication identitaire, très souvent formulée par des hommes soucieux de conserver leur mainmise sur les membres de leur communauté, en premier lieu sur les femmes.
Pourquoi, dans cet esprit, ne pas interdire purement et simplement le voile dans les lieux publics, ce que Kemal avait hésité à faire en Turquie, et que Reza Shah avait osé faire en Iran ? Les bénéfices seraient plus grands que les risques potentiels.
Roman Bernard

Criticus est membre du Réseau LHC.