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La Mule. Breaking good ?

Par Balndorn
La Mule. Breaking good ?
Résumé : À plus de 80 ans, Earl Stone est aux abois. Il est non seulement fauché et seul, mais son entreprise risque d'être saisie. Il accepte alors un boulot qui – en apparence – ne lui demande que de faire le chauffeur. Sauf que, sans le savoir, il s'est engagé à être passeur de drogue pour un cartel mexicain.Extrêmement performant, il transporte des cargaisons de plus en plus importantes. Ce qui pousse les chefs du cartel, toujours méfiants, à lui imposer un « supérieur » chargé de le surveiller. Mais ils ne sont pas les seuls à s'intéresser à lui : l'agent de la DEA Colin Bates est plus qu'intrigué par cette nouvelle « mule ».
On dit d’un vin qu’il bonifie en vieillissant. Peut-on dire pareil de Clint Eastwood, du haut de ses 88 ans, et de son dernier film, La Mule ?
Portrait de l’artiste en vieil homme
À n’en pas douter, Clint filme sa propre vieillesse à travers celle d’Earl Stone. Depuis les années 2000, ses rares apparitions devant la caméra témoignaient de la déliquescence physique et morale qui affectait peu à peu l’une des icônes du cinéma hollywoodien. La vieillesse changeait son emploi traditionnel. Dans Million Dollar Baby (2004), Clint jouait le rôle d’un mentor ronchon aux prises avec la mort ; dans Gran Torino (2009), celui d’un vétéran de Corée aigri mais doué d’un sens aigu de la justice ; et dans Une nouvelle chance (Gus Lobel, 2012), celui d’un vieux con(servateur) qui sait toujours mieux que les autres. Sept ans après Une nouvelle chance, comment évolue Clint ? Vieux, il l’est toujours et plus encore, indubitablement. Con ? Non, la rancœur a passé. C’est une autre forme de la vieillesse qui prend le pas sur l’aigreur : la sénilité. Earl Jones est un doux vieillard qui se lance presque sans le savoir dans le transport de drogues pour le Cartel mexicain. Et pourquoi ? Tel Walter White dans Breaking Bad, « pour la famille ».Breaking Bad. Voilà une référence envers laquelle Clint semble à tout prix vouloir garder ses distances. Car au vu du sujet, on ne peut pas feindre d’ignorer la série de Vince Gilligan. Mais Breaking Bad sent le soufre pour le très républicain Clint Eastwood. Quand le vin bonifie en vieillissant, Clint, lui, s’engonce davantage dans les antiques traditions qu’il défend. Et en premier lieu, la famille, sérieusement mise à mal dans Breaking Bad. Après des années passées sur la route, soit disant « pour sa famille », le vieil Earl Jones se repent d’avoir délaissé sa femme, sa fille et sa petite-fille au cours de tant de réunions horticoles, et décide de consacrer l’argent qu’il gagne par son travail de mule à réparer ses manquements familiaux. La morale est simple et assénée à longueur de temps : « La famille, c’est l’essentiel. J’avais cru que c’était le travail, mais je me trompais ».
Une photographie mise au point
Une vision aussi binaire du monde laisse songeur quand on connaît la filmographie récente de Clint Eastwood. Ses réalisations baignaient toujours dans une atmosphère en clair-obscur, magnifiée depuis une vingtaine d’années par la photographie aux tons grisâtres de Tom Stern. Qu’on songe à l’impitoyable vengeance d’Impitoyable, à la pénible exécution du criminel de L’Échange, à la douce-amère chanson que Frankie Valli dédie à sa fille dans Jersey Boys ou encore à la paranoïa qui gangrène Chris Kyle (Bradley Cooper, présent dans La Mule), héros de la guerre en Irak, dans American Sniper. On l’aura compris : Clint cultivait un art de l’ambivalence morale. Rien n’était blanc, rien n’était noir : tout était gris.L’une des conséquences les plus visibles de ce regain de manichéisme se ressent dans la photographie. Le Québécois Yves Bélanger remplace Tom Stern, chef opérateur de Clint Eastwood depuis Un monde parfait (1993), collaborateur régulier pour chacun de ses films à partir de Créance de sang (2002). Son remarquable travail donnait une couleur au regard rétrospectif que Clint posait sur l’Amérique de sa jeunesse : une nostalgie critique qui teintait de gris l’épopée états-unienne du XXesiècle. A contrario, Yves Bélanger fait un usage nettement plus lumineux de la photographie. Il existe certes des tâches d’ombres dans le jeu des couleurs, reflets de la vieillesse du cinéaste-acteur, mais dorénavant dominent les tons chauds : le rouge et le jaune des lys que cultive Earl, l’ocre des tuiles et le bleu de la piscine de la hacienda du boss du cartel, la lumière crue du soleil sur le bitume noir de jais de la route et du SUV flambant neuf…
Pick-up ou SUV ?
À ce titre, le remplacement du vieux pick-up aux tons tristement bruns par ce gros SUV dernier cri est tout un programme. Par ce geste, Earl Jones/Clint Eastwood choisit délibérément de tourner le dos au passé pour se consacrer pleinement à l’avenir. Et quel avenir ! Une grosse voiture pour la frime, digne du pouvoir patriarcal que le personnage (voire l’auteur) souhaite reconquérir.Sur ce point, La Mule poursuit l’idéologie développée dans le précédent film de Clint, le catastrophique Le 15h17 pour Paris. Si l’on peut se réjouir que le bon vieil Eastwood passe à un autre registre après avoir décortiqué une décennie durant les mythes patriotiques construits par Hollywood, on doit se méfier de l’itinéraire que semble désormais emprunter le vétéran du cinéma. Car pour aller de l’avant, faut-il se conformer aux antiques traditions ?
La Mule. Breaking good ?
La Mule, Clint Eastwood, 2019, 1h56
Maxime
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