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Charitable

Publié le 24 février 2019 par Alexcessif
Charitable H : 4.00 Dimanche. Chartres. Grand Faubourg - Vous avez du feu ?
- Non
- T’as du feu ?
Quel mot n’a-t-il pas compris dans la phrase : « non ! » ?
Dans une heure "Paris s’éveille"et j’ai oublié le point d’exclamation de mon "Non" histoire de ne pas l’envoyer chier trop sèchement. Prudence ou psychologie : une alerte rouge clignote au fond à droite dans le couloir de ma conscience.
- Désolé je ne fume pas !
Quelque chose me touche dans ce petit homme vieux, chauve, pantoufles, tee shirt crade, les pendantes mal rangées dans un short trop large de surfeur qui n’a pas vu la mer, ni l’eau, ni la lessive depuis 16 gilets jaunes minimun.
Comme il n’avait pas plus de clopes que je n’avais de briquet, c’était la chaleur humaine qui manquait probablement plus que le feu et je lui ai proposé de le déposer quelque part. Faut dire que la charité et moi, on ne s’entend pas des masses. Comme tout le monde, j’ai acheté du muguet à des gamins en rajoutant quelques euros pour le brin en plus et la rose du temps des cerises mais le 1er Mai 2001 en rentrant d’une réunion tardive qui s’appelait Edith, j’ai vu un enfoiré en Mercédès dernier modèle déposer des mômes ensommeillés, puisqu’il était cinq heures, pour se garantir les bons emplacements sur l’Avenue Thiers en saluant les flics qui n’avaient sans doute pas pour mission la protection de l’enfance mal fagotée au petit matin frisquet. Comme tout le monde, j’ai été ému par la dame agée vêtue à la mode abribus de la place Maran à la saison automne /hiver 2012 à Bacalan. Après concertation avec la femem de mon autre vie, nous avions renoncé à l’héberger craignant d’être accusé de maltraitance dans cette reclassification de fait de notre atelier vétuste du jardin en logement gratuit mais insalubre. Nous avons délégué au SAMU social comme tout lâche qui craint pour son petit confort une fois, deux fois , trois fois puis nous avons changé d’itinéraire pour la promenade du clébard autant que pour ne plus voir ce putain d’abribus. Comme tout le monde, j’ai payé un sandwich au gars qui affirmait sur une pancarte "Gé fin 1 € pour mengé SVP ". Erreur ! Le gars préférait le cash si j’en crois son retour du Panini dans ma gueule et de son"va te faire enQler" en fond sonore. Bon, j’ai décliné sa suggestion mais le 19 Avril 2014 à 17.58 Parvis du Montparnasse, croyant bien faire, j’avais humilié cet homme fier et démuni, le suspectant de vouloir boire mon liquide. Cette façon, ma façon, de répandre la charité avait quelque chose d’indécent et de supérieur. Elle pouvait vouloir signifier que je le jugeais incapable de faire bon usage de mon obole. Ce n’est pas parce que l’on a des faiblesses en orthographe que l’on est nul en investissement. Comme tout le monde, j’ai lâché ma piécette dans la main du Syrien le 23 juin à 16.30 h du métro de la station Place des Fêtes parce que la femme qui m’accompagnait m’avait témoigné de la sympathie. Quatre cavaliers de l’Apocalypse, quatre versions de la charité archivées dans la vie de Thomas Benjamin Du Nid qui en déduisit que l’assistance sociale était affaire de pros.
Sinon, chez l’autodidacte, elle est souvent la forme travestie de toutes les peurs. La valeur minorée et minable de l’empathie. La morgue de l’ingérence. La rassurante et illusoire supériorité de celui qui possède peu en direction de celui qui ne dispose de rien. La négociation discrète entre le pardon et l’amnésie. L’échange foireux des saloperies commises dans un paradis perdu contre un enfer promis. Le pouvoir d’achat de biens matériels sacrifié sur l’autel du rachat d’une âme à taux zéro.
Quand Tom lui a demandé un point de chute, le gars s’est mis a chialé en avouant qu’il était à la rue.
- Si vous voulez, vous pouvez m’accompagner sur ma tournée jusqu’à 9 heures avec un café à la station Schell que j’aime de Fresnay-L’Evèque vers 6 heures.
- …
Le gars gamberge. Il pèse dans sa balance du désespoir les 4 plombes au chaud dans la bagnole et cherche la contre partie qu’il va devoir dans ce monde où tout est stratégique et aucun acte désintéressé.
- Je livre des journaux pour l’Echo Républicain sur la ville et la région ajoute Tom pour meubler le vestibule de ce silence gênant dans l’appartement de la résidence "On s’connait pas"
Connement je lui "vends" le truc et le rassure avec l'institution que représente ce journal sachant très bien que je n’ai pas le droit de prendre des passagers étrangers à la boite et que je risque ma place. Dans cette ville pleine de camera, sa présence sera vite repérée et la géolocalisation dénonce chaque changement de parcours et le moindre arrêt non justifié.
Alors quoi ?
La semaine a été dure :
Lundi à Dreux, j’ai vu, par un temps et à une heure à ne pas mettre un retraité dehors, un vieux qui mériterait une retraite paisible plutôt que de livrer des pub dans les boites à lettres pour un mi-temps payé à la fronde.
Mardi à Vilvorde prés de Bruxelles, des grappes d’immigrés se jetèrent sur mon véhicule pour demander du boulot ainsi qu’à chaque véhicule utilitaire ralentissant à l’entrée de la zone industrielle.
Mercredi, à Romorantin le vigile du Carrefour Market lâche son molosse, juste pour rire, sur un SDF qui faisait les poubelles.
Jeudi, entre chien et loup sur la route d’Abondant vers Cherisy un routard qui ne doit pas faire de tourisme sur un vieux biclou sans lumière dans le brouillard avec un chariot de supermarché transformé en remorque et attelé à son vélo. La nuit va être longue.
Vendredi, Karl Lagerfeld, mort d’un gilet jaune ! Une dame entre deux âges tient seule, élégante et irréductible, le rond point entre deux routes, celle de Chateaudun et de Blois.
Samedi, rien !
Sans doute la charité trouve-t-elle tout simplement son origine dans cette synchronicité improbable qui fait de nous là, ensemble, au même endroit, au même moment, des humains en quête du groupe.
Pour le coup de foudre, c’est pareil avec un bémol : au delà de deux personnes, c’est le bordel !
Il est monté à la place du mort en me racontant sa vie. On est tous pareil, nous croyons à l’aventure et dans cette attente, on cumule les choix par défaut. Il a dû croire au miracle du mec qui va lui offrir une nuit au Grand Monarque, le quatre étoiles de la place Marceau et il se retrouve à écouter France Musique dans une vieille Clio. Accrochant sa ceinture de sécurité il se marre :
- C’est marrant, mon ex était veuve quand je l’ai rencontré
- …
- La place du mort, quoi !
Il est passée assez vite sur une enfance vernie de la famille idéale papa/maman, un garçon/une fille. En sourdine il y avait les violons de la Suite nº1 en sol majeur de JSB le prélude avec Janos Starker à l’instrument
Tom et son mutisme devait lui suggérer tacitement cette intimité des gens qui ne se reverrons jamais car "il en avait gros" à confier et peu lui importait dans quels sillons il allait semer ses confidences.
Un jour, il s’était pris pour Zorro quand papa dérouillait maman de plus en plus souvent. Ce jour là, il sut qu’une ceinture ne servait pas uniquement qu’à tenir un pantalon mais la colère était détournée et il y gagnât un surnom : le batard. Il lui fallut un peu de temps pour comprendre qu’il y avait piballe sous caillou dans l’histoire de ses origines.
J’ai baissé le son qui le dérangeait. Dommage pour Felix Mendelssohn et sa symphonie n°5 en ré majeur. Lui était en si bémol car pendant qu’il réfléchissait sur l’identité de son paternel, le virtuose de la ceinture avait eu le temps de faire une petite sœur et deux frangins histoire d’occuper maman.
Nous étions bien partis vers Nogent Le Phaye en compagnie de Gustav Holst, les planètes opus 32 Neptune avec chœur de femmes et j’ai eu droit à des descriptions classées X
Son adolescence, la scolarité écourtée, les petits boulots d’été pour acheter une moto et se casser pendant que sa daronne pétait les plombs, que la cadette s’occupait des frangins entre deux concerts au Jimmy et que le géniteur dressait des bourrins dans une vie toute neuve de cavalier dans le Lot, après avoir fait interner cette maman violente en HP.
La chevauchée des Walkyrie aurait bien fait l’affaire mais il était 6.11 h et France musique nous offrait, excusez du peu, Camille Saint Saens et son carnaval des animaux.
Sortis de la ville, nous étions en plein cœur de Beauce. Le ciel hésitait entre un rose pastel et un rouge prometteur d’une belle journée. Un bleu nuit persistait encore sur la plaine vide seulement habitée par quelques lapinoux. Un vieux moulin à vent n’avait plus rien à moudre et les éoliennes attendaient un coup de vent.
Notre pause café approchait en sortant de Levesville-la-Chenard quand il me confiât la suite de l’histoire pas piqué des hannetons. Son père supposé voyant sa réussite professionnelle, sa maison et sa disponibilité, lui annonça son départ définitif de Bordeaux avec pour souhait ultime de lui confier, condition siné qua non pour son départ, la garde et l’éducation des frangins. Ils discutèrent de la vie campagnarde, là bas du coté de Pailloles et il était assez fier que ce "père" réussissent sa vie de randonneur parti de rien et parvenu au titre de vice champion de France de cavalier catégorie endurance. Une discipline où l’on ménage sa monture ! En effet, c’est l’état physique du cheval qui conditionne la suite de l’épreuve. Il était fier que ce paternel lui marque aussi sa confiance au point de lui confier cette famille et de libérer cette sœur qui pourrait enfin vivre sa vie.
Tom, auditeur attentif comme jamais, s’abstint de lui rappeler ce surnom de batard qui semblait n’avoir plus cours dans ce virage stratégique. Il remarqua, sans l’exprimer, l’étrange besoin des enfants battus à trouver de la fierté dans la reconnaissance de la filiation, de l’héritage et des racines.
Ne pouvant attendre le sanitaire de la station service, il est parti vomir entre deux lapins au moment où j’allais lui suggérer de tirer la chasse sur cette vie de merde.
Opportunément, Franz Liszt et les jeux d’eau à la villa d’Este assurait la bande son.
Il allait mieux !
Bon ! Dans la bagnole ça daubait grave et nous avons roulé les vitres ouvertes.
Une pneumonie plus tard, je l’ai lâché sur le trottoir où je l’avais trouvé en lui conseillant d’écrire un roman.
Normalement, ça occupe !

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