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La Musique de Wagner et ses effets physiologiques. Les expériences du Dr Alfred Warthin.

Publié le 03 mars 2019 par Luc-Henri Roger @munichandco

La Musique de Wagner  et ses effets physiologiques. Les expériences du Dr Alfred Warthin.

Aldred Scott Warthin

Un article paru dans La Province médicale, Lyon, 1er septembre 1894.
Sans remonter à Apollon qui charmait les bêtes féroces et à David dont la harpe adoucissait l'humeur noire du roi Saül, on sait que la musique exerce sur certains esprits malades une influence calmante qui a surtout été utilisée médicalement dans quelques affections mentales. Les effets des sons musicaux sur les animaux sont aussi familiers à chacun, et si le piano fait hurler le chien, il attire, dit-on, et berce agréablement l'araignée au bout de son fil.
On n'a pas cependant étudié scientifiquement les effets thérapeutiques de la musique et l'on ne pourrait guère citer sur ce sujet que deux ouvrages de quelque valeur : Effets et influence de la musique sur la santé et la maladie de Chomet, et Sull'importanza fisiologica e terapeutica della musica  de Vigna.
Un médecin américain, le Dr Alfred [Aldred Scott Warthin, le prénom est sans doute déformé] Warthin, démonstrateur de clinique médicale à l'Université de Michigan, a eu l'idée de faire expérimentalement cette étude physiologique des effets de la musique sur l'organisme humain.
Ayant constaté, dit-il, en écoutant les opéras de Wagner à Munich et à Vienne, que les auditeurs étaient plongés dans un état fort analogue, sinon identique, à l'état hypnotique, il a pensé que, pour apprécier avec précision les effets de la musique sur les fonctions physiologiques du corps, il était préférable de mettre d'abord les sujets en état d'hypnotisme afin de mieux les abstraire de toute autre impression extérieure.
Il a donc pris cinq hommes et deux femmes qui ont bien voulu se prêter à ces expériences. Quatre étaient des médecins, les autres des étudiants. Tous jouissaient d'une santé normale, prenaient plaisir à entendre de la musique, mais sans posséder un sens musical bien développé. A l'état normal la musique ne produisait pas grande émotion chez ces personnes et, en tout cas, aucun effet physiologique appréciable.
Les sujets placés dans une chambre, à côté d'un piano, étaient endormis par les procédés ordinaires et, une fois en état d'hypnotisme, M. Warthin leur inspirait les suggestions suivantes : « Vous êtes morts à toute chose au monde excepté à la musique qui va vous être jouée ; vous ne sentirez et vous ne connaîtrez rien que cette musique. Une fois réveillés, vous vous rappellerez les sensations que vous aurez éprouvées ».
Les sujets ainsi préparés, on exécutait sur le piano un morceau de Wagner ; les effets physiologiques sur le pouls, la respiration, etc., étaient observés et enregistrés ; on réveillait ensuite le patient et on prenait note de ses sensations.
Voici, par exemple, les effets de la « Chevauchée des Walkyries » sur le Dr M., âgé de 40 ans. « Le pouls devient au début plus rapide, plus plein la tension augmente, de 60 le nombre des pulsations s'élève à 120; puis le pouls devient très vif et la tension s'abaisse. En même temps la respiration monte de 18 à 30 par minute. La figure exprime une grande agitation ; tout le corps est en mouvement ; les jambes se lèvent et les bras battent l'air ; le corps est couvert d'une sueur profuse. Réveillé, le sujet déclare qu'il n'a pas perçu la musique comme son, mais comme une sensation générale, une sorte d'excitation produite par une course furieuse à travers l'espace.
Même sensation de course furieuse à travers l'espace, chez M. O., âgé de 22 ans. Mêmes effets sur le pouls et la respiration. Pas de mouvements du corps cependant, ni de modifications dans l'expression du visage. La peau était couverte de sueurs profuses. Il est à noter que le même morceau, joué à l'état de veille, n'a produit aucun effet comparable aux résultats observés pendant l'état hypnotique et n'a déterminé aucune modification physiologique. Un autre morceau de Wagner, le motif du " Walhalla ", a provoqué d'abord un ralentissement du pouls avec élévation de là tension, puis, à la fin, une accélération extrême des pulsations, un abaissement de la tension. La sensation éprouvée par le sujet a été celle de " grandeur et de calme sublimes ".
La musique de la scène où Brunehilde appelle Sigmund au Walhalla a déterminé encore des modifications marquées du pouls qui est devenu faible, irrégulier et très petit. La respiration a diminué de fréquence et est devenue suspirieuse ; la face était pâle et couverte d'une sueur froide. La sensation éprouvée par les sujets était celle de « mort »; aucune impression précise n'a pu être décrite. M. Warthin a observé encore que, pour produire l'état hypnotique, la musique est bien supérieure à toutes les méthodes ordinaires. A cet égard,  le pouvoir des différents morceaux est assez variable. Ainsi, un des sujets ne pouvait être hypnotisé que par le " Chœur des pèlerins " du Tannhäuser. Avant la cinquième mesure il était d'ordinaire complètement endormi.
On a accusé d'érotisme la musjque de Wagner. Les expériences de M. Warthin l'absolvent comptètement de cette accusation. Divers passages de la Walkyrie et de Tristan et Yseult, qui ont été. particulièrement critiqués à ce point de vue spécial, ont provoqué chez les sujets hypnotisés des sensations de « désir « de frénésie », mais n'ont jamais déterminé la moindre excitation sexuelle ni la moindre suggestion érotique. M. Warthin reconnaît cependant qu'aidée de la suggestion verbale, la musique de ces passages peut produire de pareils effets et qu'alors la sensation " d'envie ", de " désir", se rapproche singulièrement du « désir physique » ; mais par eux-mêmes les sons musicaux sont incapables de provoquer un état d'érotisme génital. Telles sont les quelques remarques les plus intéressantes faites par M. Warthin au cours de ses expériences. On n'en peut tirer de bien grands enseignements au point de vue thérapeutique. Je ne voudrais pas manquer de respect à Wagner mais ce qui paraît ressortir le plus clairement de ces expériences, ce sont les effets sudatifs et hypnotiques de sa musique. En termes moins scientifiques et plus vulgaires, la musique de la Walkyrie fait surtout suer, et celle du Tannhäuser fait surtout dormir. Physiologiquement, ce n'est peut-être pas absolument inexac t; mais que vont dire les wagnériens ?           (Médecine moderne)

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