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Marie-France Garaud, souverainiste sous venin

Publié le 04 mars 2019 par Sylvainrakotoarison

" Je pensais que Jacques Chirac était du marbre dont on fait les statues, il est en fait de la faïence dont on fait les bidets. " (Marie-France Garaud, citée par "Le Canard enchaîné" du 2 décembre 1985).
Marie-France Garaud, souverainiste sous venin
Pour comprendre pleinement cette pique caustique, il faut savoir que Jacques Chirac était le gendre d'un des dirigeants des Émaux de Briare...
L'actuelle présidente et fondatrice de l'Institut international de géopolitique Marie-France Garaud va fêter son 85 e anniversaire ce mercredi 6 mars 2019. Née à Poitiers et toujours poitevine (elle élève toujours des moutons dans la région), elle est un personnage très singulier de la vie politique française. Autant le dire ici, je l'adore ! Je ressens beaucoup d'admiration et de fascination pour cette grande dame, son intelligence vive, son indépendance d'esprit, son allure élégante, son sourire irrésistible, ses grands yeux séducteurs, son tempérament très fort, son courage politique aussi... alors que ses options politiques sont très différentes des miennes, à l'exception de ce gaullisme originel qu'elle a pourtant défiguré en soutenant la candidature de Marine Le Pen en 2017. Sa langue est souvent considérée comme celle d'une vipère, en tout cas, elle ne l'a pas dans sa poche et sa diction appuyée, lente et intelligible, étonne lorsqu'elle est couplée avec un esprit si rapide.
J'aurais voulu aussi citer sa grande beauté mais je pourrais être accusé de machisme. Parlerait-on de beauté pour un homme politique ? Pourtant, non seulement elle fut belle mais elle le reste malgré son âge avancé. Je l'ai "découverte" réellement lors de la campagne de l'élection présidentielle de 1981 en candidate électron libre. À l'époque, trois candidats se prévalaient du gaullisme, et pas des moindres : Jacques Chirac, ancien Premier Ministre et président du parti gaulliste (RPR), Michel Debré, premier Premier Ministre de De Gaulle et fondateur de la Cinquième République, enfin, cette femme de 47 ans à l'allure très vivace mais aussi caustique, ancienne conseillère du Président Georges Pompidou. À l'époque (c'est une question de relativité), je l'avais trouvée âgée, mais c'était parce qu'elle s'est toujours habillée, à l'instar de Simone Veil (une grande amie), comme une dame âgée.
En fait, je me suis vite aperçu qu'au contraire d'avoir l'apparence d'une dame âgée à un âge pas très avancé, elle est plutôt une femme dont la jeunesse n'a pas bougé d'un iota, malgré l'avancement des années. Difficile de dire qu'elle a une trentaine d'années, mais elle a dans les yeux cette même passion qui les fait briller, la passion de la politique, mais aussi la passion de la mission, c'est cette caractéristique messianique qui en fait une femme toujours jeune.
J'ai pu la rencontrer notamment à l'IEP de Grenoble il y a une vingtaine d'années parler aux étudiants en sciences politiques des enjeux de géostratégique après la chute de l'URSS et la guerre du Golfe, capable de s'attarder avec des étudiants dans les couloirs pour discuter, mais c'était normal pour une conférencière sexagénaire.
C'était moins ordinaire lorsque je l'ai revue le 16 décembre 2015 à Paris. Elle avait déjà plus de 80 ans, mais n'avait pas changé, si ce n'est le chignon qui avait disparu. Elle assistait à une conférence de Régis Debray invité par Jean-Pierre Chevènement dans le cadre d'un colloque à la Salle Colbert, à l'Assemblée Nationale. Elle n'était pas conférencière mais simple auditrice comme Arnaud Montebourg, ce dernier venu par courtoisie mais aussi avec une arrière-pensée (il voulait attirer les chevènementistes dans le sillon de sa candidature à l'élection présidentielle de 2017). Elle a pris quand même la parole et a quitté ensuite la salle avant la fin de la réunion car la soirée était déjà bien avancée, mais je l'ai retrouvée quelques mètres plus loin tenir meeting dans les couloirs feutrés près des toilettes : elle était en train de discuter avec une dizaine de personnes sur le ton de la passion mais aussi de l'indignation (contre l'Europe, contre la classe politique) ou de l'humour (parfois primesautier). Une discussion passionnante dont je ferai (très partiellement) part à la fin de mon article.
Revenons rapidement à son parcours assez particulier. On ne peut comprendre Marie-France Garaud que si l'on comprend qu'elle est en mission. Mission auprès du Président Georges Pompidou lorsqu'elle "agissait" en duo avec Pierre Juillet, pour encourager et promouvoir Jacques Chirac comme seul héritier du gaullisme et du pompidolisme, ce qui signifiait dégommer Jacques Chaban-Delmas (trop " deloriste" à son goût), soutenir Pierre Messmer à l'élection présidentielle de 1974 (c'était encore trop tôt pour Jacques Chirac). Cela lui a donné une réputation sulfureuse de conseillère occulte, on la surnommait à l'époque la "Rastignac en jupons".
Lorsque la candidature de Pierre Messmer (alors Premier Ministre) était morte née, elle a encouragé Jacques Chirac à soutenir Valéry Giscard d'Estaing (tout sauf Chaban). Quand il fut élu Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing a proposé à celle qui fut pendant cinq ans conseillère à l'Élysée de la nommer ministre. À l'époque, le nouveau Président qui voulait moderniser la démocratie française voulait nommer des jeunes ministres femmes et Marie-France Garaud était une candidate idéale. Mais pas question ! Trop indépendante d'esprit, elle refusa et resta conseillère ...de Jacques Chirac alors nommé Premier Ministre.
Le vote Giscard n'était que par défaut puisque, au fil du septennat de Valéry Giscard d'Etaing, les "frondeurs" de la majorité (qui n'étaient pas appelés comme cela à l'époque) sont passés des chabanistes (opposés aux giscardiens pendant la campagne présidentielle de 1974) aux chiraquiens (alliés aux giscardiens en 1974) qui furent les plus insupportables partenaires d'un gouvernement depuis le début de la Cinquième République (pire que lors du quinquennat de François Hollande, c'est dire !). Après la démission de Jacques Chirac de Matignon et la création du RPR en 1976, les alliés de VGE furent plutôt les chabanistes (représentés par de grands barons gaullistes comme Olivier Guichard et Alain Peyrefitte) tandis que les chiraquiens ferraillaient sans complaisance contre le gouvernement de Raymond Barre à l'Assemblée Nationale.
Marie-France Garaud, souverainiste sous venin
Le sommet de cette guerre intestinale fut à la fin de l'année 1978. L'un des sujets qui avait particulièrement scandalisé Marie-France Garaud fut l'élection du Parlement Européen au suffrage universel direct et les premières élections européennes ont eu lieu le 7 juin 1979. On n'a jamais vraiment su ce qu'en pensait sincèrement Jacques Chirac si ce n'était qu'il n'était ni un chaud partisan de la construction européenne ni un opposant irréductible. La décision de transférer au peuple la désignation des députés européens (auparavant, c'étaient les parlementaires nationaux qui les désignaient) avait été prise par Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt à l'époque où Jacques Chirac était Premier Ministre et il ne s'y était donc pas opposé (sinon, pour une initiative politique aussi importante, il aurait dû démissionner). Pour Marie-France Garaud, en revanche, c'était un casus belli, c'était la fin de la France, c'était le début d'une Europe supranationale, c'était insupportable. On peut se rendre compte néanmoins qu'il n'en est rien et que quarante ans plus tard, l'Europe reste toujours l'Europe des Nations, d'autant plus que chaque pays n'en fait qu'à sa tête en ce moment.
Face à une liste giscardienne menée par la Ministre de la Santé Simone Veil sur demande du Président de la République (étrange parallèle en 2019 où il serait question que la Ministre de la Santé Agnès Buzyn, ancienne belle-fille de Simone Veil, mène la liste de la majorité), le RPR a prévu de former une liste menée par son président, Jacques Chirac (en face, la liste socialiste menée par François Mitterrand et la liste communiste menée par Georges Marchais).
En pleine "trêve" du groupe RPR à l'Assemblée Nationale (il y avait des "trêves" entre RPR et UDF à l'époque !), Jacques Chirac a signé et publié le 6 décembre 1978 un appel, dit l'Appel de Cochin qui fut une véritable insulte au Président de la République comparé à Pétain et son parti, UDF, créé le 1 er février 1978, à des traîtres, avec une dramatisation surréagissante : " L'Europe que nous attendions et désirions, dans laquelle pourrait s'épanouir une France digne et forte, cette Europe, nous savons depuis hier qu'on ne veut pas la faire. Tout nous conduit à penser que, derrière le masque des mots et le jargon des technocrates, on prépare l'inféodation de la France, on consent à l'idée de son abaissement. (...) Favorables à l'organisation européenne, oui, nous le sommes pleinement. (...) Mais une Europe européenne, où la France conduise son destin de grande nation. Nous disons non à une France vassale dans un empire de marchands, non à une France qui démissionne aujourd'hui pour s'effacer demain. ".
Je n'ai pas cité les nombreux "non" proclamés, mais on connaît l'adage selon lequel l'excessif est toujours insignifiant : quarante ans plus tard, la France est loin d'être effacée. Certes, elle n'est plus la cinquième puissance mondiale, seulement la septième, mais il faut bien accepter de comprendre que l'émergence économique de la Chine et de l'Inde a peu à voir avec l'organisation interne de l'Europe ou la politique nationale de la France.
Le plus excessif fut sa conclusion, dans un ton malhonnêtement gaullien : " Comme toujours quand il s'agit de l'abaissement de la France, le parti de l'étranger est à l'œuvre avec sa voix paisible et rassurante. Français, ne l'écoutez pas. C'est l'engourdissement qui précède la paix de la mort. Mais comme toujours quand il s'agit de l'honneur de la France, partout des hommes vont se lever pour combattre les partisans du renoncement et les auxiliaires de la décadence. Avec gravité et résolution, je vous appelle dans un grand rassemblement de l'espérance, à un nouveau combat, celui pour la France de toujours et de l'Europe de demain. ". Le texte intégral est lisible ici. Le "parti de l'étranger" faisait bien sûr référence à l'UDF.
Le problème avec l'excessif, c'est que si le style est plutôt efficace, il est sur le fond inopérant. C'étaient les années 1970, sujettes souvent aux prédictions catastrophiques. Catastrophe sur la décadence de la France ici, mais aussi catastrophe écologique : les premiers écologistes annonçaient qu'il n'y aurait plus de pétrole trente ans plus tard, que la planète serait dévastée quarante ans plus tard etc. Hélas, avec le recul du temps, on voit les prédictions largement erronées, vu qu'on est passé bien au-delà de ces délais (ce qui ne veut pas dire que la planète ne soit pas en danger aujourd'hui, mais alarmer inutilement est largement contreproductif). J'avais visité une exposition très intéressante au Centre Beaubourg de Metz en mai 2016 où étaient présentées de nombreuses affiches alarmistes provenant d'organisations écologistes des années 1970, et leur verdict, s'il faisait peur, était d'autant plus exagéré qu'il était mensonger. On le sait avec le recul du temps.
Les résultats des élections européennes du 7 juin 1979 furent à la mesure de cet excessif : la liste RPR de Jacques Chirac s'est retrouvée en quatrième position, c'est-à-dire la dernière de celles qui ont obtenu des sièges, avec seulement 16,3% des voix (15 sièges sur 81), derrière la liste UDF de Simone Veil (27,6% des voix et 25 sièges), la liste PS de François Mitterrand (25,5% des voix et 22 sièges) et la liste PCF de Georges Marchais (20,5% des voix et 19 sièges). À noter pour l'anecdote que la liste menée par JJSS ( Jean-Jacques Servan-Schreiber) n'a obtenu que 1,8% des voix, ce qui a conduit JJSS à se retirer de la vie politique et même émigrer aux États-Unis (par ailleurs ruiné puisqu'il avait utilisé toute sa fortune pour soutenir son action politique pendant une dizaine d'années).
Pourquoi ai-je ici évoqué l'Appel de Cochin ? Parce que Jacques Chirac, bien que l'unique signataire ("à titre personnel"), n'en était pas vraiment l'auteur. Il n'a pas été vraiment maître de son destin dans cet épisode politique. C'était un coup fumeux de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet pour taper contre Valéry Giscard d'Estaing alors que Jacques Chirac, victime d'un très grave accident de la route en Corrèze le 26 novembre 1978, était toujours hospitalisé à la chambre 119, au premier étage du Pavillon Ollier de l'hôpital Cochin, d'où le nom de cet appel. Le couple "infernal" a obtenu la signature à l'arraché.
Dans ses " Cahiers secrets", Michèle Cotta a cité une explication, le jour même, de Marie-France Garaud (qui a travaillé avec Jacques Chirac dans sa chambre d'hôpital pour mettre au point le texte) au journaliste André Chambraud : " J'étais inquiète pour Jacques Chirac, et puis je me suis aperçue que cette halte forcée lui a été bénéfique. Il a désormais décidé de prendre du champ et de mourir debout, s'il le faut, sur cette question européenne. Nous avons l'impression qu'un nouveau Munich se prépare. Et, face à l'Histoire, il est bon que quelqu'un maintenant se lève et dise : c'est Munich ! ". Toujours cette exagération historique. Renseignement pris le 7 décembre 1978 auprès de Claude Labbé, président du groupe RPR à l'Assemblée Nationale ( " Comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? "), Michèle Cotta a pu se rendre compte qu'aucun député RPR n'avait été averti ni consulté de la publication de cet appel, qui en a mis plus d'un mal à l'aise. À propos de Munich, inutile de dire d'où est venue, quatorze ans plus tard, le 16 juin 1993, l'expression de "Munich social" lâchée par Philippe Séguin...
Électoralement, l'Appel de Cochin fut une très mauvaise stratégie. Intellectuellement aussi, car Jacques Chirac, quelques années plus tard, sans être un eurobéât enthousiaste, a toujours soutenu les avancées de la construction européenne, notamment l'Acte unique européen (qui était le thème principal de sa campagne présidentielle de 1988 : "1988 pour préparer 1992"), l'adhésion de l'Espagne et du Portugal dans la Communauté européenne en 1986, qu'il a accompagnée en tant que Premier Ministre, le Traité de Maastricht, et, entre autres, le Traité Constitutionnel Européen pour lequel il a organisé, en tant que Président de la République, le référendum du 29 mai 2009.
Dans cet Appel de Cochin, on retrouve toute l'argumentation de Marie-France Garaud pour les quarante années à venir. Après les élections européennes de 1979, Jacques Chirac congédia Marie-France Garaud (des témoins expliquent qu'elle est partie d'elle-même, déçue par l'évolution politique de son champion). En tout cas, pour Jacques Chirac, il n'était plus question d'être conseillé par elle et Pierre Juillet. Charles Pasqua et Édouard Balladur furent ses deux principaux conseillers politiques pendant les années suivantes, jusqu'à ce que chacun d'eux le "trahisse" pour vivre son propre destin politique. Selon certaines sources, il a été dit que, la trouvant beaucoup trop influente sur son mari, Bernadette Chirac aurait mis son époux le dos au mur : c'est elle ou moi (Bernadette Chirac a expliqué en 1997 : " Elle me prenait pour une parfaite imbécile ! ").
Marie-France Garaud, souverainiste sous venin
C'est ainsi avec une sorte de rage au cœur que Marie-France Garaud, comprenant que Jacques Chirac était "comme les autres", plus préoccupé par son intérêt personnel que par l'intérêt national (selon elle), s'est convaincue qu'elle était la meilleure porte-parole de la France qu'elle voulait et qu'elle défendait. Elle fut ainsi candidate à l'élection présidentielle, ce qui, à l'époque, était un acte de courage important. Doublement : d'abord, il fallait s'exposer aux médias et au grand public, elle qui n'avait jamais été qu'une conseillère de l'ombre, s'exposer n'est pas donné à tout le monde ; ensuite, il fallait faire campagne, recueillir les cinq cents parrainages, trouver de l'argent et des soutiens, faire des meetings, répondre aux critiques, etc. Triplement, car être une femme en politique au début des années 1980 n'était pas non plus très facile.
Beaucoup, dans la majorité de l'époque, ne croyaient pas qu'elle irait jusqu'au bout de sa candidature. On lui reprochait de diviser la droite, de diviser le camp gaulliste (déjà très divisé avec la candidature de Michel Debré, une sorte de bouquet final personnel pour cet éminent baron gaulliste), et en définitive, d'aider François Mitterrand.
Si Jacques Chirac a reçu le soutien officiel du RPR le 3 février 1981, Michel Debré, parti en campagne dès le 30 juin 1980, avait le soutien de Jacques Chaban-Delmas, Olivier Guichard, Jean Foyer, Yves Guéna et Maurice Druon, avec une complicité tacite de VGE, pas mécontent d'amputer l'électorat gaulliste de Jacques Chirac. Marie-France Garaud, elle, s'installait dans le rôle de Cassandre, seule face à la classe politique inconsciente des malheurs qui guettaient la France.
Le directeur de campagne de Marie-France Garaud n'était autre que le juge Pierre Arpaillange (1924-2017), pompidolien antigiscardien, qui fut beaucoup honoré par le pouvoir socialiste, puisqu'il fut nomme procureur général près la cour d'appel de Paris le 1 er juillet 1981, puis procureur général près la Cour de cassation le 22 février 1984, ensuite, sommet politique, Ministre de la Justice du 12 mai 1988 au 2 octobre 1990 (dans les gouvernements dirigés par Michel Rocard), et enfin, Premier Président de la Cour des Comptes du 8 octobre 1990 au 13 mars 1993.
Son résultat à l'élection présidentielle du 26 avril 1981 fut de 1,3% des voix, soit 386 623 voix, dépassant le score d'Huguette Bouchardeau (PSU), juste derrière Michel Debré, qui, lui, a réuni 1,7% des voix. Le total des trois candidats gaullistes (21,0%) n'était cependant pas suffisant pour permettre à Jacques Chirac d'atteindre le second tour.
D'un point de vue statutaire, Marie-France Garaud fut haut fonctionnaire ( haute fonctionnaire ?). Diplômée en droit de l'Université de Poitiers, elle fut avocate en 1957, puis travailla dans des cabinets ministériels de 1961 à 1974, principalement pour Georges Pompidou à Matignon puis à l'Élysée. Après l'élection présidentielle de 1974, elle fut nommée à la Cour des Comptes, d'abord conseillère référendaire de 1974 à 1998, puis conseillère maître de 1998 à 1999, enfin conseillère maître honoraire depuis 1999, pour sa retraite (elle venait d'avoir un mandat électif).
Après l'élection présidentielle de 1981, Marie-France Garaud est devenue une personnalité publique connue, qui pouvait ainsi se permettre d'être présente dans les médias et de toucher le grand public avec ses idées principalement souverainistes et anti-européennes, mettant en opposition l'intérêt de la France et la construction européenne (alors que je crois au contraire que le destin de la France ne peut s'épanouir que dans le cadre d'une Europe unie, face à d'autres grands ensembles que sont les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil, etc., et l'exemple du Royaume-Uni avec le Brexit risque d'en donner une très triste illustration).
Elle a ainsi créé l'Institut international de géopolitique en 1982 dont le principal intérêt est la publication d'une revue trimestrielle intitulée sobrement "Géopolitique". Militante tenace contre toute avancée européenne, elle a fait campagne pour le "non" au Traité de Maastricht en 1992, ce qui l'a hissée parmi les "souverainistes" les plus célèbres de France aux côtés de Charles Pasqua, Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers (je ne cite pas Philippe Séguin qui, s'il fut l'âme pensante du "non" à Maastricht, fut favorable au TCE et a reconnu sur le tard l'intérêt de la monnaie unique européenne).
Surfant sur cette vague souverainiste des années 1990 (les décennies suivantes, ce n'était plus une vague mais une lame de fond !), Marie-France Garaud s'est fait élire députée européenne aux élections européennes du 13 juin 1999 sur la liste menée par Charles Pasqua (et secondée par Philippe de Villiers), arrivée en deuxième position avec 13,1% des voix (13 sièges sur 87 ; elle était placée en troisième position et était donc à peu près sûre d'être élue), devant la liste RPR menée par Nicolas Sarkozy. Son mandat de députée européenne a été exercé du 20 juillet 1999 au 19 juillet 2004, juste après son départ de la Cour de Comptes.
Elle a également milité pour le "non" au TCE en 2005, et elle s'est opposée aux sanctions américaines lors de la crise ukrainienne. Dans une tribune publiée le 12 mai 2014 dans "Marianne", elle s'en expliquait ainsi : " Comment se fait-il que personne n'ait tenté de lui [Barack Obama] rappeler quelle importance historique, politique et religieuse revêtait Kiev dans l'histoire russe ? (...) La Russie a plus de mille ans d'histoire et ses racines sont indissociables de la terre où elle est née, laquelle est précisément celle de Kiev, dans le bassin du Dniepr, à l'ombre de l'empire byzantin. Moscou s'en proclama héritière au XVIe siècle et l'aigle des armoiries russes porte toujours les deux têtes couronnées fondatrices, surmontées de la couronne impériale. ".
Marie-France Garaud, souverainiste sous venin
L'antieuropéanisme de Marie-France Garaud s'accompagne régulièrement d'un antiaméricanisme et d'un antigermanisme. L'une des plus récentes prises de position de Marie-France Garaud fut son soutien remarqué à Marine Le Pen lors du second tour de l'élection présidentielle de 2017. Dans une interview accordée à Emmanuel Galiero pour "Le Figaro" le 28 avril 2017, elle réclamait la sortie de la France de l'Union Européenne, avec toujours son caractère excessif : " Il faut sortir de là le plus rapidement possible, quel qu'en soit le coût, car mieux vaut la liberté que l'esclavage. (...) Nous assistons à une tentative de domestication des pays européens, nous sommes placés devant l'éventualité d'un IVe Reich. Nous n'avons plus d'État. (...) Je note une carence historique extraordinaire chez nos dirigeants. Aujourd'hui, l'économie et la finance veulent remplacer la souveraineté. Cela est impossible. ".
D'où son soutien à Marine Le Pen avec qui elle a parlé au téléphone le 27 avril 2017 : " Je n'ai jamais rencontré Marine Le Pen. (...) Aujourd'hui, elle est la seule candidate qui n'est pas pieds et poings liés devant les Allemands. Manifestement, elle est la seule à avoir le tempérament pour rétablir la souveraineté de la France. Elle a, je crois, le sens de l'État au point de préserver notre nation. " (28 avril 2017). Il a bon dos, le Général De Gaulle. Au moins, elle ne peut pas utiliser l'argument " Emmanuel Macron vient de Rothschild" puisque Georges Pompidou a travaillé également chez Rothschild (du reste, le socialiste Henri Emmanuelli aussi).
Je reviens à la jeunesse de Marie-France Garaud. Lorsqu'elle préparait son agrégation en droit, elle s'est retrouvée affectée comme chargée de mission au cabinet du Ministre de la Justice Jean Foyer (de 1962 à 1967). À cette occasion, elle a fait connaissance avec une autre dame exceptionnelle, Simone Veil, qui était à l'époque substitut à la direction de l'administration pénitentiaire. L'une avait 28 ans, l'autre 35 ans.
Dans une interview accordée à la journaliste Virginie Le Guay pour "Paris Match" le 1 er juillet 2018, Marie-France Garaud a précisé : " Je l'accompagnais souvent lorsqu'elle partait visiter les prisons. Nous avions une conscience aiguë de la surprise et de la curiosité (...) que suscitait notre venue dans cet univers d'hommes parfois enfermés derrière les barreaux depuis des années. Nous étions soucieuses de ne pas les provoquer par une tenue inconvenante ou inappropriée. Nous voulions être respectables et respectées. ".
Par cette rencontre, une grande amitié s'est nouée entre les deux femmes et aussi leurs maris (respectivement Louis et Antoine) : " Nous n'avions pas les mêmes engagements politiques. Simone était profondément centriste, moi j'étais plus à droite ; cela n'avait aucune influence sur notre amitié. (...) Nous n'avons jamais cessé de nous voir. ". Les deux couples se voyaient en effet chaque semaine pour se retrouver (très discrètement) lors d'un dîner, jusqu'à la mort d'Antoine Veil, le premier qui est parti. Maintenant, Marie-France Garaud est la dernière survivante des quatre.
Je termine par cette petite anecdote révélée le 16 décembre 2015 dans un couloir de l'Assemblée Nationale : Marie-France Garaud était donc collaboratrice du ministre Jean Foyer, et à ce titre, suivait au jour le jour les différentes actualités et rebondissements politiques. Nostalgique de l'époque gaullienne, elle pouvait l'être en tant que témoin directe de l'exercice du pouvoir. Elle racontait ainsi qu'à la sortie d'un conseil des ministres présidé par De Gaulle, il arrivait que le Premier Ministre Georges Pompidou (normalien grand adorateur des belles lettres) et son Ministre de la Justice Jean Foyer (grand latiniste) continuassent la conversation par une confrontation amicale en latin sur l'origine de la souveraineté de Philippe Le Bel.
Cette anecdote était passionnante, et Marie-France Garaud en connaît des milliers (certaines très croustillantes !), mais hélas, si elle a raconté cela, c'était avant tout pour conclure que maintenant, c'était impossible d'avoir de telles joutes en latin après un conseil des ministres (nous étions encore sous le quinquennat de François Hollande). C'est ce côté nostalgique passéiste qui est dommage chez Marie-France Garaud qui, pourtant, adore la vie et aurait certainement mille occasions de trouver que dans certains domaines, la France file quand même du ...bon coton ! Bon anniversaire à cette grande dame !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte intégral de l'Appel de Cochin communiqué par Jacques Chirac le 6 décembre 1978.
Marie-France Garaud.
De Gaulle.
Jean Foyer.
Simone Veil.
Georges Pompidou.
Jacques Chaban-Delmas.
Jacques Chirac.
Pierre Messmer.
Valéry Giscard d'Estaing.
Jean-Pierre Chevènement.
Marie-France Garaud, souverainiste sous venin
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190306-marie-france-garaud.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/02/27/37136558.html


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