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Les enjeux stratégiques des investissements dans le ferroviaire africain : le cas de la Ligne ferroviaire de l’ouest africain

Publié le 13 mars 2019 par Infoguerre

Les enjeux stratégiques des investissements dans le ferroviaire africain : le cas de la Ligne ferroviaire de l’ouest africain

La boucle ferroviaire du golfe de Guinée constitue depuis 30 ans le terrain d’échiquier politique, économique et sociétal entre différents acteurs occidentaux et locaux, qui donne une fois de plus, la possibilité à l’économie chinoise accroître sa puissance sur le continent africain.

Les initiatives françaises

Le groupe Bolloré s’est développé en se plaçant sur des marchés en situation de quasi-monopole. C’est le cas du secteur du transport où l’entreprise possède le plus important réseau de transit et de logistique maritime et terrestre du continent africain. Dans les années 1990, les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI offrent une opportunité à Vincent Bolloré de profiter de la vague des privatisations imposées en Afrique pour se positionner sur un nouveau secteur. C’est ainsi que le groupe Bolloré met la main sur des infrastructures stratégiques de plusieurs pays notamment des entreprises ferroviaires. En 1995, il réussit à attirer la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), qui relie le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, puis en 1999, Camrail au Cameroun. Il devient alors un acteur majeur de l’échiquier ferroviaire en Afrique de l’Ouest.

En 1997, Michel Bosio créée une société française Geftarail en se prônant un expert ferroviaire. Il revendique l’origine du projet de la boucle ferroviaire soutenu par l’ancien Premier Ministre Français, Michel Rocard. En 1999, le Bénin, le Burkina Faso et le Niger, rejoints ensuite par le Togo, confient à cette société d’ingénierie, avec le soutien de l’ONU « la mise en place d’une structure juridique concessionnaire chargée de la réalisation et de l’exploitation du réseau ferroviaire interconnecté ». Puis, en 2002, Geftarail et ces États, créent Africarail, contrôlée à 90% par la société française. Cette entité obtient « le droit de construire le long du tracé de l’axe ferroviaire entre les villes de Kaya (Burkina Faso), Niamey (Niger) et Parakou (Bénin) ». A la recherche de financement, un comité de pilotage « ferroviaire et minier » se crée à Bercy, présidé par Michel Rocard et associant des groupes français dont Bolloré.

Ce dernier décide à la fin de l’année 2012 de continuer le projet seul et de poursuivre sa domination ferroviaire en Afrique.

Les intérêts africains

Samuel Dossou, proche de l’ancien président Omar Bongo du Gabon, a fait fortune dans l’or noir avec son groupe Pétrolin et bénéficie d’une influence certaine auprès de plusieurs dirigeants du continent. Son épouse, Honorine Dossou Naki, fut ambassadrice du Gabon à Paris de 1994 à 2002 puis ministre à plusieurs reprises. Le projet épine dorsale dont Samuel Dossou est à l’origine est un vaste projet d’infrastructures intégrées traversant le Bénin, comprenant un port minéralier et pétrolier, un chemin de fer Cotonou-Niamey, un port sec à Parakou et un aéroport près de la frontière nigériane. En août 2009, le Bénin et le Niger lancent un appel d’offres relatif à la réhabilitation, la construction et la gestion du réseau ferroviaire Cotonou-Dosso-Niamey. Le groupe Pétrolin rapporte cet appel d’offres et reçoit en juillet 2010 une lettre d’adjudication de l’appel d’offre international. Au cours de la même année, la signature d’une convention cadre de partenariat public-privé, définit les conditions (économiques, juridiques et fiscales) d’exécution du projet Epine Dorsale, par le gouvernement béninois, dirigé par l’ancien président Boni Yayi, et le Groupe Pétrolin.

Fin 2013, sous l’influence des présidents du Bénin et du Niger, il se voit adjoindre le groupe Bolloré en tant que partenaire technique et signe le 13 Janvier 2014 un accord de confidentialité. Le capital de cette société est reparti comme suit : 40% au groupe Bolloré en tant que partenaire stratégique, 20% au Groupe Pétrolin, concessionnaire et promoteur du projet, 20% pour les opérateurs privés nigériens et 10% pour chacun des deux Etats. Pan-African Minerals est une société minière contrôlée par le milliardaire australo-roumain Frank Timis, qui exploite la mine de manganèse de Tambao dans le nord-est du Burkina Faso. Cette mine est un des enjeux centraux du projet de la boucle ferroviaire de par sa capacité d’extraction de minerai estimée à 1,215 milliard de tonnes de fer d’une teneur de 44,9 %. En 2012, l’homme d’affaires roumain signe avec Blaise Compaoré, président de la République du Burkina Faso de 1987 à 2014, un partenariat public privé portant sur la réhabilitation et la construction de tronçons de chemins de fer au Burkina, pour sortir le minerai de Tambao. Le minier était sur le point d’obtenir de l’Etat burkinabè des droits sur les 1 154 km de rails reliant Ouagadougou à Abidjan, une voie unique, afin d’y faire circuler ses convois de manganèse. En juillet 2014, Bolloré s’accorde avec l’Etat pour que sa filiale Sitarail soit en charge de la réhabilitation des rails. C’est ainsi que Pan-African Minerals ne conserve que la partie construction, entre Kaya et Tambao. Trois mois plus tard, Blaise Compaoré prend la fuite avec l’aide de la France poussé dehors par son propre peuple.

La stratégie agressive de Bolloré sur les trois échiquiers

En avril 2014, malgré ces engagements et négociations en cours avec les différents acteurs, Vincent Bolloré profite de ces bonnes relations avec les présidents nigériens et béninois pour lancer le chantier de construction à Niamey sans même avoir finalisé la contractualisation. En jouant sur les trois échiquiers politiques, sociaux et économiques, le groupe Bolloré s’est positionné sur toute la boucle ferroviaire et surtout sur la mine de Tambao. Le 13 août 2015, les conventions de concession d’exploitation et de construction des infrastructures du chemin de fer Niamey-Cotonou donnent naissance à Bénirail.

La boucle ferroviaire (baptisée Blueline par Bolloré) est jalonnée de Bluezones, qui sont des espaces multifonctionnels alimentés grâce à l’énergie solaire et des batteries au lithium. Ces plateformes se veulent des espaces multifonctionnels alimentés en électricité grâce aux solutions de stockage d’énergie solaire développées par le groupe Bolloré. Alimentées en eau potable et couverte par un réseau d’accès à internet, elles disposent notamment d’un centre de santé, d’une salle de spectacle et des terrains de sport. En avril 2015, le groupe a déjà mis à disposition quatre bluezones. Dans la continuité de sa stratégie sur l’échiquier social, Bénirail reprend l’ensemble des 629 employés de l’Organisation commune Benin- Niger(OCBN ) et, fin septembre 2015, comme il s’y était engagé le groupe français  paye à ces derniers, ainsi qu’à une centaine de retraités, les arriérés de salaires et pensions qui leur étaient dus, soit quelque 6 millions d’euros.

Le groupe Bolloré entreprend rapidement les travaux à Niamey, déployant ainsi 143 km de rails à écartement métrique et prouvant ainsi sa capacité technique et financière à réaliser la boucle ferroviaire. Le choix d’installer des rails à écartement métrique correspond à des trains d’anciennes générations, non adaptés au transport des trains à grande vitesse. Le groupe multiplie les actes pour accroitre les dépendances des pays envers son groupe. Il fait part également de la possibilité de faire appel au marché via une IPO pour financer la boucle ferroviaire. Les enjeux économiques du Groupe Bolloré sont importants dans le projet de la boucle ferroviaire avec les matières premières (l’uranium au Niger, la mine de manganèse à de Tambao ou l’exploitation de l’or au Burkina Faso), le monopole des transports routiers et la domination dans la gestion des ports.

Les divergences d’intérêt bloquent le développement du projet en 2015

Avec l’ascension de Bolloré sur le projet ferroviaire, les acteurs impliqués initialement dans le projet réagissent en mettant les Etats du Bénin et du Niger en justice paralysant l’avancée des travaux. D’une part, Samuel Dossou entame une procédure judiciaire ordonnant fin 2015, la cessation des travaux sur le territoire du Bénin avant qu’intervienne la décision en dernier ressort de la Cour suprême du Bénin, le 29 septembre 2017, largement favorable à Petrolin. D’autre part, Africarail utilise l’arbitrage contre le Bénin et le Niger, via le cabinet Betto Seraglini en novembre 2015, afin de faire reconnaître ces droits acquis lors de la signature de la concession. Africarail évalue son préjudice à 450 millions d’euros et veut aussi être remboursée pour ses dépenses liées aux études techniques (2,8 millions d’euros). Après deux années de tentative de règlement amiable, le 27 mai 2018, Michel Bosio, président d’Africarail demande officiellement à la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de reprendre la procédure. Parallèlement à cet arbitrage, Franck Timis, réclament en dédommagement du préjudice subi, 385 millions de dollars au Burkina Faso au travers d’une demande d’arbitrage à la Chambre de commerce internationale à Paris.

La stratégie chinoise

L’actuel Président du Bénin, Patrice Talon, propose alors d’indemniser les différentes parties prenantes et de reprendre la proposition chinoise proposée 20 ans en arrière : minerais contre infrastructure.  La Chine a finalisé en 2017 en Afrique de l’Est un chemin de fer reliant la capitale kenyane Nairobi à la ville portuaire de Mombasa (sud du pays), pour 5,2 milliards de dollars, réduisant le trajet de 12h à 4h. C’est le plus grand projet d’infrastructure du Kenya, financé par un prêt accordé au gouvernement par l’Export-Import Bank of China. La moitié de ce prêt, dont la durée de remboursement s’étale sur quinze ans, et est remboursé grâce aux recettes générées par l’exploitation publique du chemin de fer. Depuis 20 ans, la chine montre l’exemple en Afrique dans sa capacité à financer les projets avec un haut niveau d’expertise. Le continent africain est devenu la première destination des investissements chinois à l’étranger. La France a annoncé vouloir quadrupler ses investissements sur le continent pour riposter à l’hégémonie chinoise en Afrique. Est-ce cela suffira ?

Antoine Doutremepuich

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