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Genèse – Entrevue avec son réalisateur, Philippe Lesage

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Plus d’an et demie après avoir pu rencontrer Philippe Lesage, accompagné de ses jeunes acteurs principaux, lors du tournage de Genèse, le film prend enfin l’affiche au Québec, auréolé de la Louve d’or obtenue lors de la dernière édition du Festival du nouveau cinéma de Montréal. L’occasion de revenir en détails avec le cinéaste sur la conception et les fondations d’un long-métrage à fleur de peau, porté par une exigence et un amour manifestes du Cinéma.

L’image de Genèse est très travaillée, avec un soin toute particulier accordé à la lumière (parfois naturelle pour les plans en extérieur notamment). Quelle importance la direction photo a-t-elle dans votre travail, et dans votre approche du cinéma ?

En fait, la direction photo de Genèse s’inscrit, je crois, dans la continuité de mes derniers films. Au niveau de l’image, si on le compare avec Les démons, il y a dans les deux cas la recherche d’une certaine douceur. Ça va des couleurs à la texture de l’image. On travaille aussi avec les mêmes lentilles. Cette douceur-là, pour moi, corrobore un peu cette douceur du regard qui est à mon sens dans Genèse. Cette espèce d’empathie à l’égard de mes personnages.

J’aime également utiliser le plan-séquence, car j’essaie avant tout de trouver la solution la plus simple pour pouvoir faire un plan sans avoir à découper. J’aime beaucoup lorsque des personnages entrent et sortent du cadre naturellement, et je déteste lorsqu’une caméra se met à bouger sans aucune raison. On est tellement habitué de nos jours à une espèce de montage saccadé, rapide… Je suis un peu en réaction contre ça aussi. Donc je préfère prendre le temps.

Tout ça a beaucoup d’influence au niveau du jeu, parce que les comédiens finissent toujours par s’ennuyer lorsque le contrechamp n’est pas sur eux. Chose qu’ils admettent aussi eux-mêmes d’ailleurs. C’est quelque chose qui est souvent revenu. Donc le fait de les avoir dans le même plan, sans coupes, ça les garde aussi sur le qui-vive finalement. Évidemment, le plan-séquence complique aussi certaines choses, parce qu’on a moins le droit à l’erreur. D’où ma tendance à faire beaucoup de prises aussi.

Avez-vous travaillé sur l’utilisation des plans-séquences lors de la préproduction, ou à même le plateau ?

C’est un mélange des deux je dirais. Je ne fais très certainement pas de storyboards, ça c’est sûr. Mais on s’assois avec le DOP (Directeur de la photographie, ndlr), on passe à travers le scénario, et on se donne une idée plutôt grossière de comment chaque scène sera filmée. Des besoins que l’on va avoir, au niveau technique en particulier : si on va avoir besoin de rails, de steadycams, etc. Mais il y a quand même beaucoup de choix qui sont faits à même le plateau. D’abord, les locations peuvent changer, c’est quelque chose qui est plutôt instable. Si tu fais un découpage technique dans le vide, tu te rends compte que tout est à refaire de toutes façons sur le plateau… De manière générale, j’aime trouver une espèce de fraicheur, de nouvelles idées, une fois sur le plateau.

Quelle est votre relation de travail avec votre directeur photo, Nicolas Canniccioni ? Êtes-vous de ces cinéastes qui imposent leurs choix, ou s’agit-il d’une véritable collaboration ?

Avec Nicolas, il y a évidemment une collaboration. Il y a des moments où j’arrive, et la caméra est déjà parfaitement bien placée, parce qu’il y a une compréhension artistique certaine entre nous. Mais la caméra est un élément important pour moi, j’ai toujours fait ma caméra dans mes documentaires, alors j’opère aussi. Et ce qui arrive souvent, c’est que je peux commencer par opérer les premières prises, pour indiquer à Nicolas ce que j’ai l’intention de faire. Puis il va reprendre la caméra, refaire la même chose, mais de manière moins brouillonne, plus contrôlée.

Je ne suis pas un réalisateur qui ne se préoccupe pas de la caméra, dans le sens où j’aime beaucoup opérer. Surtout dans les scènesde classe, où il y a beaucoup de zooms, dézooms. Quand ça part dans tous les sens, que ça commence à zoomer, il y a de bonnes chances que ce soit moi qui soit derrière la caméra à ce moment-là. J’aime cette espèce de vivacité, de regard vif, d’avoir l’impression de saisir quelque chose justement dans l’instant.

Les plans dans le film jouent beaucoup avec la symétrie, sur la géométrie des lieux, avec les acteurs filmés de manière centrale. Pourquoi ce parti-pris de mise en scène, par rapport à une approche plus documentariste par exemple ?

Qu’on le veuille ou non, il y a une part de réfléchi, et une part de très intuitif aussi. Je pense que c’est toujours l’intuitif qui finit par gagner de toutes façons. La géométrie je ne sais pas, mais c’est vrai que j’ai toujours été impressionné par le travail de certains chefs-op’ et de certains réalisateurs. Je pense à Harris Savides, celui qui avait travaillé lors de la bonne période de Gus Van Sant, sur Elephant notamment, et qui empruntait aussi à Kubrick. S’il y a quelqu’un qui réussit à faire un cinéma très hypnotique, c’est bien Kubrick.Il prouve que la géométrie, la symétrie, ne sont pas ennuyeuses. Ce qu’on entend parfois. Mais lui a prouvé le contraire.

Mais tout ça fait probablement partie de mes influences un peu inconscientes. Il y a une similarité dans la façon dont je cadre, depuis mes documentaires en fait. Ce cœur qui bat, Laylou… Pour moi, la beauté est partout, mais ça prend un cadre pour l’avoir. Le cinéma est un art assez puissant, parce qu’il donne justement ce cadre qui permet de jeter un regard sur les choses qui, finalement, sortent un peu de la banalité. C’est le cadre qui permet de saisir cette beauté.

Mais je dois aussi avouer qu’il doit vraiment y avoir cette part d’intuition, à partir du moment où j’ai une caméra entre les mains. Ça sera toujours mon regard, donc il va toujours y avoir une constance. Qui me dépasse un peu aussi, parce qu’elle n’est pas cartésienne. Ce qui serait bête en fait. Parce que si les choses sont trop rationnelles, ce serait probablement infertile, et ce ne serait sans doute pas intéressant.

J’ai toujours un peu de difficultés à parler des aspects plus techniques de ce que je fais, parce que d’une part, je ne suis pas du tout techniquement ce que je considère être un geek. Je sais à peine où sont les boutons sur une caméra. Si on m’en donne une entre les mains, je suis capable de cadrer, mais je ne m’intéresse pas du tout aux caméras dernier cri, à la pointe de la technologie. C’est quelque chose qui ne m’intéresse pas vraiment. D’où la nécessité de travailler avec un chef op’.

Pour revenir sur l’esthétique du film, une séquence impressionne en particulier pour la beauté de sa lumière naturelle : celle du feu de camp. Comment avez-vous filmé cette scène ? 

La séquence du feu de camp a une patine de documentaire, mais un documentaire qui serait filmé avec une très bonne caméra. Cette scène est d’ailleurs l’une de mes préférées du film. Il y a vraiment une magie qui s’est produite cette journée-là, pendant le tournage… Mais c’est presque du documentaire, parce que les campeurs sont de vrais campeurs, les moniteurs qui dansent autour du feu sont de vrais moniteurs. Et tout ce que j’ai arrangé à la marge, c’est de mettre mes deux comédiens dans la foule, puis de faire venir un bal folklorique. Ça c’était prévu, parce que le morceau joué devenait une chanson importante du film. Un leitmotiv.

Il n’y a donc pas d’éclairage artificiel en effet dans ce plan-là. Le feu est artificiel par contre, dans le sens où il est contrôlé, pour ne pas qu’il se mette à produire un trop grand volume de fumée. Mais ce sont des petits détails. Le reste est quand même extrêmement réel. On ne pouvait pas diriger trois-cents figurants, les jeunes, les enfants comme ça. D’ailleurs il y a probablement des regards caméra, mais je m’en moque complètement en fait. Pour moi on franchit un peu une ligne, mais si on regarde des films de la Nouvelle Vague, de deux personnes qui se promènent dans les rues de Paris, il y a plein de regards caméra. Où des gens qui se retournent sur le passage des comédiens, on voit encore ça dans un paquet de films. Ça ne me dérange pas du tout en fait.

On sent une aisance marquée dans votre manière de filmer les séquences musicales. Dans les bars ou les boites de nuit, même autour du fameux feu de camp. Par ailleurs, l’usage de la musique en rupture de tons est une constante dans le film. En tant que cinéaste, quel est votre rapport à la musique, et qu’apporte-telle selon vous à un drame intimiste comme Genèse ?

L’adolescence, pour moi, c’est le moment dans une vie où la musique commence à prendre généralement une importance fondamentale. Adolescent, je pense qu’on commence à construire un peu la trame sonore de sa propre vie. Et souvent, de sa propre vie sentimentale. C’est un âge où on apprend le plaisir, peut-être un peu masochiste, de mettre un peu de sel sur sa plaie. En pensant à ses petits tracas concernant l’amour, l’amitié. On peut prendre plaisir à écouter des longues lamentations de Radiohead, ou autres.

Pour moi la musique est tellement chargée à cet âge-là que Genèse devait être un film musical. J’ai souvent emprunté au répertoire classique dans mes autres films, surtout dans mes documentaires. La musique y était présente aussi. D’ailleurs, je ne veux pas faire de distinction entre mon cinéma documentaire et mon cinéma de fiction, parce que  dans un cas comme dans l’autre, ça reste pour moi du cinéma. Ça doit servir le même dieu, le dieu du Cinéma si l’on peut dire. J’ai emprunté des éléments de fiction à mes documentaires, justement par l’utilisation de la musique. Une musique ne va jamais venir indiquer au spectateur l’émotion qu’il doit ressentir, avec les « typiques violons ».Parce que les « typiques violons », c’est autre chose. C’est un réalisateur qui a peur de ne pas avoir communiqué une émotion, et qu’il se sent forcé de rajouter des violons pour être sûr que tout le monde a bien compris. Ce qui m’embête profondément. Je préfère, au contraire, qu’on me laisse libre que la musique devienne quelque chose qui crée peut-être une respiration, un moment de contemplation. Une espèce d’élévation.

Ça qui me donne énormément de satisfaction, c’est d’avoir imaginé une chanson en écrivant mon scénario, une pièce de musique sur une scène… Ça me donne de l’énergie pour écrire mon scénario, ça me fait rêver… Et que deux ans après, en salle de montage, je mets la musique, et là, ça fonctionne. Ce que j’avais imaginé fonctionne. Là j’ai la chair de poule. Pour moi, ce sont des moments de réelle joie. Dans la création, ce sont sûrement les moments que je préfère le plus.

D’où ces moments musicaux dans Genèse. Beaucoup de choses étaient déjà prévues dès l’écriture. Notamment cette espèce de leitmotiv qui revient à plusieurs reprises dans le film, la chanson d’un groupe montréalais qui s’appelle TOPS. C’était fondamental que cet air-là revienne. J’aime cette idée que les musiques reviennent, une, deux, trois fois dans un même film, parce que la musique est ainsi faite que, plus on l’entend, plus on l’apprécie. Ça devient une forme d’addiction qui se crée. Et de recréer ça dans un même film, je trouve ça intéressant. Je force un peu le spectateur à apprécier cette musique-là.

Je trouve qu’effectivement, dans un film comme ça, sur l’adolescence, la musique a vraiment toute sa place.

Le film donne l’impression d’être « hors temps », de par sa facture visuelle qui peut rappeler le cinéma des années 60-70, contrebalancée par l’utilisation des téléphones portables qui indiquent clairement une époque contemporaine. Quelle était votre intention de ce point de vue ?

Je souhaitais avant tout brouiller les cartes. Pour différentes raisons d’ailleurs. Pour moi, créer l’atmosphère au cinéma, c’est d’avoir beaucoup d’éléments qui sont réalistes, mais d’en avoir aussi un ou deux qui le sont moins. C’est ça qui crée à mon sens souvent l’ambiance dans un film. Je ne pense pas faire de cinéma réaliste, mais davantage un cinéma impressionniste. Même si au niveau du jeu, il y a en effet un certain naturalisme. Et donc de brouiller les cartes au niveau de la temporalité, c’était de faire en sorte que le film propose un univers et une ambiance uniques. Un monde en soi.

Voir soudainement trop d’interfaces très contemporaines apparaitre me coupe aussi d’un certain romantisme, ça me sort un peu de la magie du cinéma. Voir des pages Facebook dans un film, même des textos, ça m’ancre trop dans l’instant présent. Tout ça sera de toutes façons désuet dans dix ans. On aura l’air ridicule, même au téléphone. Ça va être autre chose. Je ne sais pas comment, mais ça ne ressemblera pas à ça…

À un niveau peut-être plus fondamental, je fais un film sur les premières amours, et je déteste le discours générationnel où l’on voit toujours la génération qui nous suit comme étant la génération « apocalyptique ». Je déteste entendre parler des intérêts, des goûts, et des aspirations des millenials. Où sont rendus les X, que vont devenir les Baby boomers ? Ça ne m’intéresse pas. Je suis plus intéressé par ce qui nous unit en fait. Pour moi l’amour, cette intemporalité-là, justement en mettant de la musique à la fois des années 60, de la musique d’il y a dix ans, ou de la musique d’aujourd’hui, c’est de dire qu’on vit l’amour de la même façon. Même si le cadre et les moyens de communication ont changé, on vit les premières émotions de la même façon. Que l’on ait dix-huit ans aujourd’hui, ou lorsque nos parents avaient dix-huit ans.

Le dernier acte du film arrive après deux événements traumatiques (on pense en particulier à celui que subit le personnage joué par Noée Abita), et semble surgir de nulle part. Comment voyez-vous ce dernier acte par rapport aux autres, et comment s’inscrit-il dans le propos de Genèse ?

En écrivant, c’est venu très intuitivement. Je me disais que je n’avais pas nécessairement envie de terminer le film sur ces retrouvailles entre demi-frère et demi-soeur, surtout après avoir vécu des choses vraiment tragiques, même si c’est très beau. Qu’ils se retrouvent dans une chambre noire, le soir… J’avais envie, en fait, de faire un peu tomber le décor, d’ouvrir les fenêtres, que la lumière puisse rentrer. L’idée, c’était un peu de revenir à la genèse de la Genèse, aux premiers émois. Vraiment aux premiers premiers émois. Un moment où l’amour est sans convoitises. Où tenir une main est suffisant finalement. Que c’est la fin du monde en soi, on n’a pas besoin de plus. Où l’on est tétanisé, paralysé par ce sentiment qui nous dépasse complètement en fait.

Peut-on dire qu’il s’agissait de retourner à une certaine innocence, à une certaine pureté ?

Il y a un peu de ça je crois, bien sûr. En même temps je ne pourrais pas nécessairement dire c’est un happy end. On est plus sur un final avec une certaine douceur, une fin douce-amère. Je ne peux pas dire le contraire, mais en même temps ça pourrait être aussi l’histoire de Guillaume, comme ça pourrait être l’histoire de Charlotte.

Je trouve que le cinéma est un art très convenu. De plus en plus d’ailleurs. Il n’y a pas beaucoup d’audace, en tout cas formelle, au niveau de la structure narrative. On ne joue pas beaucoup avec ça. Ça n’a pas beaucoup évolué. Dans un roman par exemple, on pourrait plus accepter de changer de narrateur, en passant d’un chapitre à un autre. Ou qu’on termine ce roman par un poème. On pourrait l’accepter aussi. On peut donc voir la fin de Genèse un peu comme on veut. On peut la voir comme un poème, on peut la voir comme une histoire indépendante, une variation sur le thème central du film, une coda… Je souhaitais laisser au spectateur la liberté de pouvoir se faire sa propre idée de ce film, de ce final.

Cette fin suscite évidemment des questions, mais j’espère que le spectateur est capable aussi de faire la part des choses. Qu’il fasse assez confiance au film pour pouvoir s’abandonner à cette dernière histoire qui est, pour moi, toute faite de finesses, de subtilités. C’est le moment du film que je préfère. En même temps, si les gens ont apprécié la première partie, mais qu’ils décrochent parce qu’ils ne sont pas capables de rembarquer dans cette dernière partie, ça ne me dérange pas. Au moins s’ils ont apprécié ce qu’ils ont apprécié, tant mieux. Si je laisse au spectateur la liberté de se faire sa propre idée sur cette fin-là, je veux aussi lui laisser lapossibilité de ne pas s’y intéresser, de prendre ce qu’il y a à prendre du film, et de laisser ce qu’il y a à laisser. J’essaie de faire un cinéma qui est très généreux, donc s’il y a des morceaux auxquels on adhère moins, ça appartient à la sensibilité de chacun. Même si pour moi, cette fin fait énormément sens.

Je suis sûr que l’on a besoin de ça aussi après ce qui arrive aux deux autres personnages. On a besoin de cette histoire, plus douce peut-être, pour respirer un peu.

Genèse donc, Call Me By Your Name, Moonlight, et d’autres n’hésitent plus à aborder de front l’homosexualité, ainsi que les problématiques liées au genre et aux rapports hommes-femmes toxiques : peut-on y voir de votre part un acte militant ?

Sans que ce soit nécessairement un acte militant, il y a quand même des choses que je voulais absolument aborder. Je pense par exemple qu’il y avait une volonté, à travers le film, de m’attaquer en effet aux stéréotypes reliés au genre. Et plus que ça, je pense que je me suis rendu compte aussi que je suis très critique par rapport à la façon dont les hommes se comportent envers les femmes en général dans les relations. Je me suis rendu compte que les personnages autour de Charlotte ne lui laissent pas du tout d’espace pour s’épanouir. Ce sont des gens qui cherchent à l’écraser, et ça va jusqu’à cette scène finale où il n’y a non seulement plus d’espace, mais il y a presque une tentative d’anéantissement.

Pour l’avoir beaucoup vu autour de moi, je trouve que parfois, les hommes ont tendance à rabaisser plus qu’à pousser les femmes vers leur épanouissement. Dans les relations interpersonnelles, dans les relations amoureuses. Ça ne va pas nécessairement toujours jusqu’au drame du film, heureusement… Mais je voulais vraiment aborder la question de la violence sexuelle, parce qu’au moment où j’ai écrit le scénario, et avant que je l’écrive (avant même que l’on en parle davantage), je me suis rendu compte que j’étais un peu bête. Parce que je me suis aperçu qu’une femme sur deux que je connaissais avait déjà vécu ce genre de choses. Souvent de façon insidieuse, de façon banale. Un peu comme l’histoire que je raconte dans le film en fait. C’est arrivé à plus d’une personne que je connais… Dans des circonstances extrêmement similaires. J’étais vraiment bête de ne pas en avoir pris conscience plus tôt. Et une chance que des ami(e)s autour, des copines m’ont ouvert les yeux. Je trouvais que c’était important de le montrer.

Je cherche à montrer le monde et la réalité telle qu’elle est. Le discours qui voudrait que l’on cache des choses qui sont trop dérangeantes m’insupporte. Il fallait que je montre la banalité du mal, comment ce mal se représente. Et j’espère l’avoir fait avec beaucoup de sobriété. En évitant justement tout sensationnalisme. D’où la distance que j’ai mise lors de cette scène tragique avec Charlotte.

Je parle de ce sujet, parce que je n’ai pas souvent l’occasion d’en parler, et je sais que ça suscite des discussions. Donc… Il y a des gens, pas beaucoup, mais qui peuvent être choqués, parce qu’on montre des choses qui malheureusement se produisent. Ça les dérange, ça les choque. Pour une raison ou une autre. Je ne suis pas tendre envers les personnages masculins autour de Charlotte, et je pense que ça peut susciter aussi parfois des réactions épidermiques chez certains hommes.

Vous parlez d’espace donné aux femmes, en particulier à Charlotte… Le personnage est toujours filmé lors de ses sorties sociales, sa vie nocturne, mais jamais on ne lui connait de vies active, étudiante ou professionnelle, quand celui joué par Théodore Pellerin est principalement filmé dans son pensionnat. Pourquoi ce choix ?

Je dois dire d’abord que malgré tout ce que je viens d’avancer, je m’identifie autant à Charlotte qu’aux autres personnages. Dans le sens où j’ai également été dans cette période où par exemple au Cégep, tout ce qu’il y avait autour, c’était la découverte des sorties. Je me souviens avoir ressenti une telle frénésie lors de mes sorties dans les bars les premières fois. C’était vraiment fantastique. C’était au Café Campus, et j’étais complètement grisé par tout ça. Je me retrouve aussi en Charlotte, parce qu’on a tous été dans des moments d’entre-deux relations. Ou alors, où on est l’amoureux transi qui s’amourache des mauvaises personnes… On s’est amouraché, la personne nous donne un rendez-vous, et l’annule à la dernière minute par exemple. C’est extrêmement blessant, et le lendemain, la personne nous rappelle, et là en chemin vers le rendez-vous, on a tout pardonné. Puis on se jette dans ses bras comme si rien ne s’était passé. Et finalement une autre mauvaise surprise nous attend.

Je la voyais un peu dans cet état-là. Un état où elle était dans cette période où l’on comprend qu’elle vit peut-être une longue relation pour son âge, avec le personnage de Pier-Luc Funk, et qu’il y a quelque chose d’un peu étouffant dans tout ça. Lorsqu’ils se retrouvent dans sa chambre à lui, avec tous ses petits hobbies…. Et là, elle a finalement cette possibilité de s’éclater avec ses copines, de s’amuser…

D’ailleurs, ce dont je suis très content avec les scènes avec ses copines, c’est que je ne voulais pas faire des scènes où les filles allaient juste parler de gars. Je voulais sortir de ces stéréotypes-là. Il y a des moments, oui elle rencontre un mec, mais il y a d’autres moments où elle sort juste pour le plaisir de sortir avec ses amies, de s’éclater, danser comme une folle. Et pour moi, oui, ça correspond peut-être plus à un âge en fait où l’âge adulte rentre un peu, donc où il commence à y avoir un peu plus de libertés, même si c’est paradoxal, parce que je trouve que les garçons autour d’elle ne lui en donnent pas.

Contrairement à Guillaume qui est quand même pris dans un pensionnat, où justement tout est très conservateur, où les stéréotypes liés au genre sont très forts. Un prof qui dit « vous devez aimer ce genre de personnes », « vous allez voir les gars, vous allez aimer tel genre de fille »… Le fait que ce soit un collège de garçons rend la possibilité d’une sexualité autre que l’hétérosexualité encore plus difficile. Les jeunes garçons étant ce qu’ils sont, il y a quelque chose de grégaire, de conformiste.

Genèse s’apprêtant à sortir en salles, vers quels genres de projets comptez-vous vous tourner pour la suite ? Vers un projet de série télé, comme a pu le faire Jean-Marc Vallée par exemple ?

En fait j’approche d’un film qui est écrit et déposé. Donc j’aimerais le tourner le plus vite possible. Sinon, pas de séries pour l’instant, non. Le cinéma me permet encore d’être libre, et la télésérie, ici au Québec, ne m’intéresse pas du tout. Me soumettre aux caprices des diffuseurs ne m’intéresse pas du tout. Je veux de la liberté en fait. Si on m’en donne, tant mieux, mais… Cela dit je ne sais pas comment le cinéma va évoluer. Je ne sais pas si on va tous devoir faire de la télésérie pour survivre. Mais si je devais finir par en faire, ce serait de la mini-série. Pas un truc qui devient redondant, où tu manques quatorze épisodes et ça ne change rien, tu suis quand même le fil… Ce serait, disons, six épisodes maximum, quelque chose comme ça. Je fais déjà des films un peu longs, donc pourquoi pas ?

Au final, c’est une question de liberté de création. Je suis content qu’au Québec, on laisse quand même aux créateurs la possibilité de faire leurs films au cinéma, sans que l’on nous mette des bâtons dans les roues. Personnellement je sens une confiance des institutions, et je l’apprécie énormément.

Par ailleurs, je ne renonce pas à l’idée de faire des films en anglais. Dans la mesure où ça permettrait que les films soient davantage vus. Et ça me permettrait d’accéder à des comédiens avec lesquels je me verrais travailler. D’élargir mon spectre finalement. Je trouve ça pas mal stimulant.

Mais pour l’instant, je suis heureux comme cinéaste de fiction en cinéma.


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