En cette journée de marche sur le
climat, rappelons la la position de Marx:
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/06/BELLAMY_FOSTER/58734
(extrait)
Loin
d’être aveugle à l’écologie, Marx devait, sous l’influence des travaux de
Liebig de la fin des années 1850 et du début des années 1860, développer à
propos de la terre une critique systématique de l’« exploitation » capitaliste,
au sens du vol de ses nutriments ou de l’incapacité à assurer sa régénération.
Marx concluait ses deux principales analyses de l’agriculture capitaliste par
une explication de la façon dont l’industrie et l’agriculture à grande échelle
se combinaient pour appauvrir les sols et les travailleurs. L’essentiel de la
critique qui en découle est résumé dans un passage situé à la fin du traitement
de « La genèse de la rente foncière capitaliste », dans le troisième livre du
Capital : « La grande propriété foncière réduit la population agricole à un
minimum, à un chiffre qui baisse constamment en face d’une population
industrielle concentrée dans les grandes villes et qui s’accroît sans cesse ;
elle crée ainsi des conditions qui provoquent un hiatus irrémédiable dans
l’équilibre complexe du métabolisme social composé par les lois naturelles de
la vie ; il s’ensuit un gaspillage des forces du sol, gaspillage que le
commerce transfère bien au-delà des frontières du pays considéré. (…) La grande
industrie et la grande agriculture exploitée industriellement agissent dans le
même sens. Si, à l’origine, elles se distinguent parce que la première ravage
et ruine davantage la force de travail, donc la force naturelle de l’homme,
l’autre plus directement la force naturelle de la terre, elles finissent, en se
développant, par se donner la main : le système industriel à la campagne
finissant aussi par débiliter les ouvriers, et l’industrie et le commerce, de
leur côté, fournissant à l’agriculture les moyens d’exploiter la terre. »
La clé de toute l’approche théorique de Marx dans ce domaine est le concept de
métabolisme (Stoffwechsel) socio-écologique, lequel est ancré dans sa
compréhension du procès de travail. Dans sa définition générique du procès de
travail (par opposition à ses manifestations historiques spécifiques), Marx a
utilisé le concept de métabolisme pour décrire la relation de l’être humain à
la nature à travers le travail : « Le travail est d’abord un procès qui se
passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle
son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action. Il se
présente face à la matière naturelle comme une puissance naturelle lui-même. Il
met en mouvement les forces naturelles de sa personne physique, ses bras et ses
jambes, sa tête et ses mains, pour s’approprier la matière naturelle sous une
forme utile à sa propre vie. Mais, en agissant sur la nature extérieure et en
la modifiant par ce mouvement, il modifie aussi sa propre nature. (…) Le procès
de travail (…) est la condition naturelle éternelle de la vie des hommes (4). »
Pour lui comme pour Liebig, l’incapacité à restituer au sol ses nutriments
trouvait sa contrepartie dans la pollution des villes et l’irrationalité des
systèmes d’égouts modernes. Dans Le Capital, il a cette remarque : « À Londres,
par exemple, on n’a trouvé rien de mieux à faire de l’engrais provenant de
quatre millions et demi d’hommes que de s’en servir pour empester, à frais
énormes, la Tamise. » Selon lui, les « résidus résultant des échanges
physiologiques naturels de l’homme » devaient, aussi bien que les déchets de la
production industrielle et de la consommation, être réintroduits dans le cycle
de la production, au sein d’un cycle métabolique complet (5). L’antagonisme
entre la ville et la campagne, et la rupture métabolique qu’il entraînait
étaient également évidents au niveau mondial : des colonies entières voyaient
leurs terres, leurs ressources et leur sol volés pour soutenir
l’industrialisation des pays colonisateurs. « Depuis un siècle et demi, écrivait
Marx, l’Angleterre a indirectement exporté le sol irlandais, sans même accorder
à ceux qui le cultivent les moyens de remplacer les composantes du sol (6). »
Les considérations de Marx sur l’agriculture capitaliste et la nécessité de
restituer au sol ses nutriments (et notamment les déchets organiques des
villes) le conduisirent ainsi à une idée plus générale de durabilité écologique
— idée dont il pensait qu’elle ne pouvait avoir qu’une pertinence pratique très
limitée dans une société capitaliste, par définition incapable d’une telle
action rationnelle et cohérente, mais idée au contraire essentielle à une
société future de producteurs associés. « Le fait, pour la culture des divers
produits du sol, de dépendre des fluctuations des prix du marché, qui entraînent
un perpétuel changement de ces cultures, l’esprit même de la production
capitaliste, axé sur le profit le plus immédiat, sont en contradiction avec
l’agriculture, qui doit mener sa production en tenant compte de l’ensemble des
conditions d’existence permanentes des générations humaines qui se succèdent. »
En soulignant la nécessité de préserver la terre pour « les générations
suivantes », Marx saisissait l’essence de l’idée contemporaine de développement
durable, dont la définition la plus célèbre a été donnée par le rapport
Brundtland : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres
besoins (7). » Pour lui, il est nécessaire que la terre soit « consciemment et
rationnellement traitée comme la propriété perpétuelle de la collectivité, la
condition inaliénable d’existence et de reproduction de la série des
générations successives ». Ainsi, dans un passage fameux du Capital, il
écrivait que, « du point de vue d’une organisation économique supérieure de la
société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe
paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son
prochain ».
On reproche aussi souvent à Marx d’avoir été aveugle au rôle de la nature dans
la création de la valeur : il aurait développé une théorie selon laquelle toute
valeur découlerait du travail, la nature étant considérée comme un « don » fait
au capital. Mais cette critique repose sur un contresens. Marx n’a pas inventé
l’idée que la terre serait un « cadeau » de la nature au capital. C’est Thomas
Malthus et David Ricardo qui ont avancé cette idée, l’une des thèses centrales
de leurs ouvrages économiques. Marx avait conscience des contradictions
socio-écologiques inhérentes à de telles conceptions et, dans son Manuscrit
économique de 1861-1863, il reproche à Malthus de tomber de façon récurrente
dans l’idée « physiocratique » selon laquelle l’environnement est « un don de
la nature à l’homme », sans prise en considération de la manière dont cela
était lié à l’ensemble spécifique de relations sociales mis en place par le
capital.
Certes, Marx s’accordait avec les économistes libéraux pour dire que, selon la
loi de la valeur du capitalisme, aucune valeur n’est reconnue à la nature.
Comme dans le cas de toute marchandise dans le capitalisme, la valeur du blé
découle du travail nécessaire pour le produire. Mais, pour lui, cela ne faisait
que refléter la conception étroite et limitée de la richesse inhérente aux relations
marchandes capitalistes, dans un système construit autour de la valeur
d’échange. La véritable richesse consistait en valeurs d’usage — qui
caractérisent la production en général, au-delà de sa forme capitaliste. Par
conséquent, la nature, qui contribuait à la production de valeurs d’usage,
était autant une source de richesse que le travail. Dans sa Critique du
programme de Gotha, Marx tance les socialistes qui attribuent ce qu’il appelle
une « puissance de création surnaturelle » au travail en le considérant comme
la seule source de richesse et en ne prenant pas en compte le rôle de la
nature.
L'article complet de John Bellamy Foster:
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/06/BELLAMY_FOSTER/58734
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