"Notre ciel connait deux saisons,
la rieuse et la morne.
Le ciel recommence ce soir.
Les prêtres- ces vieillards-
nous ont conviés
à rallumer les astres.
Sur place donc que chacun
embrase un feu devant sa porte
assis en cercle sur des pierres,
nous vieillirons ensemble.
L'avenir est inscrit dans la cendre.
Laissez les statues de brouillard
se défaire dans la bruine."
Jean Malrieu
"Il est des mots qui jamais ne renoncent.
Des mots toujours fervents. Rarement érodés.
Des mots droit devant, par-delà l’encoignure des siècles.
Des mots d’entrain, d’élan, de vie.
Des mots tocsins qui se jouent des tourments.
Des mots de plein cœur qui battent dans le sang.
Des mots de plein vent qui affolent les voiles.
Des mots qui enjoignent, qui affament et ravissent. Des mots jamais avares.
Des mots toujours brûlants. Des mots à la hauteur des temps.
L’ardeur est de ceux-là dont l’énergie durable peut se dire dans toutes les langues de la terre.
.../..."
Sophie Noleau-extrait de: "L'ardeur" le Printemps des Poètes
LE POEME COMME COMBAT INTERIEUR
L’affrontement est partout, pour le poète. Autour de lui, à l’intérieur de lui, quelque chose existe qui le réprime ou qui l’étouffe, et dont il faut avoir raison. Quelque chose qu’il faut briser, ou charmer, ou encore délivrer. (Dans le mythe grec, on jette des gâteaux de miel, on endort par la musique les monstres qui interdisent l’accès des portails profonds.) Il y a toujours cet adversaire anonyme qui fait obstacle à la bouche qui prononce, ce vide qui cherche à s’emparer des mots au fur et à mesure qu’ils naissent. Il y a des frontières qui doivent être forcées, des intensités qui doivent être gagnées sur le froid et sur l’indifférence, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Et il faut forcer les défenses de ces réalités sauvages dont nous cherchons l’amitié…
L’affrontement est partout. Son terme extrême est la tension héroïque. Mais l’affrontement n’est-il pas déjà engagé dès les premiers mouvements de la poésie et les plus simples linéments du chant, là même où nulle ambition « supérieure » ne cherche à se déployer ? Dès l’instant où le poète accueille le premier appel intérieur qui demande à se faire jour en une voix, dès le premier tressaillement de la parole, il doit savoir surmonter toutes les puissances qui répriment la montée du chant, il doit venir à bout de ce mutisme qui s’oppose au jaillissement des mots, délivrer l’essor des images de toutes les inerties qui le freinent. Le chant le plus ingénu, la ligne mélodique la plus humble n’existe jamais qu’au prix d’une victoire toujours menacée sur une « matière » adverse qui lui résiste. C’est dans cette matière avare et nulle que le poème se grave, c’est en elle qu’il mord — comme s’il devait être une entaille de feu sur un bloc de nuit ou de néant massif. Il faut à la parole ce négatif qui la fait exister en la repoussant : ainsi peut-elle nous devenir visible, détachée sur ce qui la refusait et la nie — la lettre noire sur le blanc de la page. Cette résistance muette est l’authentique support du poème ; et, comme les figures sur l’écran, les mots viennent se former sur cette impénétrable et légère opacité qu’on dirait faite avec la cendre de toutes les paroles perdues…
Il y a là quelque chose d’insaisissable qui prend consistance pour s’opposer au chant, une limite qui se reforme toujours plus loin à mesure que l’on croit la dépasser. Seule peut-être la surmonte le silence que le poème crée pour s’y absorber, ce silence d’après les mots dont nous poursuivons en pensée la victoire… Mais les enfers (ou les cieux) sont toujours plus vastes que le champ d’Orphée. Une aire inviolée cercle les plus hautes paroles. Leur propulsion dans l’espace spirituel ne les conduira pas plus loin (pour cette fois du moins). Mais là où meurt la dernière vague du champ, devant cette grève à jamais étrangère qu’elle n’a plus la force d’envahir, là où le chant s’éteint face à ce qui ne lui appartient plus, là où il rencontre « l’autre » irréductible — là où se trouvent les vraies frontières de la poésie, la ligne idéale qui trace le visage d’un poète. L’insurmontable est tendu sur sa face et en prend l’effigie comme un voile de Véronique. Le portrait du poète est aux confins de son chant ; pour nous, cette limite demeure secrète. Y a-t-il jamais rien qui s’achève définitivement ? Le futur ne demeure-t-il pas ouvert à cette musique qui grandit comme un arbre dans la liberté du ciel ? Car il est vrai que les grandes œuvres ont le don de croître ainsi dans le temps, alors même que la main qui les a formées s’est glacée.
Extrait de La Beauté du monde. La littérature et les arts, édition établie sous la direction de Martin Rueff, Gallimard, coll. « Quarto », Paris, 2016.
Jean Starobinski Source: Le Monde Diplomatique
\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\\[[[[[[[[[[[[
"Nous sommes nos montagnes"
[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[[###########
Pudeur de gabier
à attendre
pour mettre les voiles
en sortant.
Ainsi conjuguer avec le vent;
l'intimité du marin
et le flot favorable.
Des émotions
que l'on ne partagera jamaisavec ceux de la terre.
Entre haubans et cordages,
l'instabilité comme évangile
et
l'équilibre pour règle.
photo: source