On se tromperait pourtant malgré ces faits si l’on faisait du phénomène un sujet mystérieux, étrange, Autre paradoxe ! comme le rappelle Evans-Pritchard, la sorcellerie c'est le quotidien ; l’invisible n’est pas le divin ou le surnaturel.


La sorcellerie, c'est d'abord une réponse à une situation d'incertitude qui appelle paradoxalement un comportement socialement maîtrisé et non une violence déplacée. Les croyances en la sorcellerie ne contredisent en rien le bon sens et la connaissance empirique des causes et des effets. L'imputation de sorcellerie est surtout privilégiée quand on ne se satisfait pas du comment, que l'on cherche le pourquoi d'un événement malencontreux et quand une intervention sociale et une alternative rituelle sont possibles..


Jeanne Favret-Saada dans les Mots , les Sorts, la Mort(Gallimard) l'explique ainsi à propos des paysans du Bocage mayennais dont elle prétend, à l'encontre d'une presse friande d'histoires de sorciers qu'ils ne sont pas plus crédules ou primitifs que d'autres. L'analyse pourrait s'appliquer telle quelle au monde Africain. En étudiant la sorcellerie dans le Bocage, Jeanne Favret-Saada découvre peu à peu que cette croyance ne constituait nullement un ensemble hétéroclite et bigarré de représentations, mais, au contraire, sous cette apparence de chaos, un ordre qui se reproduisait avec régularité. L'hypothèse d'un sort jeté par un sorcier suit chaque fois, dans l'esprit d'une victime, un cheminement précis et la croyance au pouvoir des sorciers n'apparaît comme la caractéristique première d'une famille paysanne ». Elle ne surgit qu'à la suite d'un long processus éliminant tour à tour les hypothèses rationnelles susceptibles d'expliquer un malheur quelconque .
Une répétition de malheurs biologiques, surtout simultanés, éprouve une famille, menace la survie de l'exploitation puis la vie de ses membres : accidents de voiture et de travail ; maladies ; épidémie stérilité des hommes, de la terre ou des animaux ; échecs scolaires ou professionnels ; décès. Loin de céder à une quelconque mentalité primitive, celle-ci va consulter normalement les institutions patentées pour en connaitre les causes et éradiquer la situation: la médecine ; la gendarmerie ; la justice ; les assurances ; les instituts de recherche agricole (analyse des terres et du cheptel) ; et aussi l'Eglise (on est déjà dans le magisme) : bénédiction de la ferme, du commerce, de l'atelier, etc. Mais ces institutions répondent chaque fois par une explication particulière des causes et la mise en œuvre de techniques particulières : même avec des succès partiels, elles n'avancent que peu ou pas d'interprétation globale de ces événements ,ne répondent pas aux pourquoi ,à la question du sens de ce qui arrive .Une idée va se faire jour renforcé par l'échec relatif des dites institutions dont personne ne conteste d'ailleurs la compétence : l'explication serait forcément ailleurs que dans les causes naturelles (climat, sol, épidémie), sociologiques ou personnelles (faute ou erreur d'utilisation du corps, des savoir-faire, etc.). Le cancer, c'est bien l'irrémédiable : le médecin « y peut rien », « mais p'et que Grippon (guérisseur qui a la force), y pourrait quand même l' sauver ? »
"j'ai commencé par étudier les représentations du malheur biologique qui s'expriment dans les conversations courantes : la mort, la stérilité, les maladies des bêtes et des gens. Elles sont ayant tout marquées par l'opposition entre le malheur ordinaire et son extraordinaire répétition.
Dans le Bocage, comme ailleurs en France, les malheurs ordinaires sont expliqués un par un : une maladie et une seule, la perte d'une bête, une faillite, une mort même n'entraînent pas d'autre commentaire que singulier : « ce qu'il a, c'est qu'il boit trop » ; « elle avait un cancer du rein » ; « ma vache était si vieille ».
L'attaque de sorcellerie, elle, met en forme le malheur qui se répète et qui atteint au hasard les personnes et les biens d'un ménage ensorcelé : coup sur coup, une génisse qui meurt, l'épouse qui fait une fausse couche, l'enfant qui se couvre de boutons, la voiture qui va au fossé, le beurre qu'on ne peut plus baratter, le pain qui ne lève pas, les oies affolées ou cette fiancée qui dépérit... Chaque matin, le couple s'angoisse : « Qu'est-ce qui va 'core arriver? » Et régulièrement, quelque malheur advient, jamais celui qu'on attendait, jamais celui qu'on pourrait expliquer.
Quand le malheur se présente ainsi en série, le paysan adresse une double demande aux gens de savoir : demande d'interprétation, d'abord; demande thérapeutique, ensuite.
Le médecin et le vétérinaire lui répondent en déniant l'existence d'une série : les maladies, les morts et les pannes ne s'expliquent pas avec les mêmes raisons, ne se soignent pas avec les mêmes remèdes. Dépositaires d'un savoir objectif sur le corps, ils prétendent éliminer séparément les causes du malheur : désinfectez donc l'étable, vaccinez vos vaches, adressez votre femme à un gynécologue, donnez un lait moins gras à votre enfant, buvez moins d'alcool... Mais quelle que soit l'efficacité du traitement au coup par coup, elle est incomplète aux yeux de certains paysans, car elle affecte la cause et non l'origine de leurs maux. L'origine, c'est toujours la méchanceté d'un ou plusieurs sorciers, affamés du malheur d'autrui.


La sorcellerie devient réellement une explication, lorsque la pensée, après avoir en vain mobilisé d'autres hypothèses conformes aux connaissances d'un peuple, se refuse à abdiquer devant un phénomène et tente, coûte que coûte, de le rendre intelligible.
Ce point est corroboré par les théoriciens de l'analyse stratégique de l'organisation qui le considèrent comme un élément fondamental de l'action collective, de la négociation et du contrôle du pouvoir. Ils font le constat que tout problème matériel comporte toujours une part appréciable d'incertitude, c'est-à-dire d'indétermination, quant aux modalités concrètes de sa solution. Par conséquent, le jeu des acteurs dans l'organisation se déroule dans une zone d'incertitude. Cette notion peut être schématiquement expliquée comme une situation organisationnelle principalement caractérisée par l'imprévisibilité, le secret et le caché. Dans cette perspective, les représentations et les pratiques de sorcellerie peuvent être vues comme un ensemble de mécanismes dont se servent les individus pour donner un sens à ce qu'ils ne savent ou ne comprennent pas.

On aurait tort ainsi de prendre le phénomène comme la marque d’une pensée primitive attardée selon un certain ethnocentrisme. D’abord, comme déjà dit plus haut , la sorcellerie n’est pas le propre de l’Afrique : elle a encore récemment existé dans les bocages mayennais ou du Berry ; en outre, la prolifération en pleine « modernité » et monde urbanisé de voyants ,marabouts ou guérisseurs ressort de la meme logique. Pire, cette logique ressort sous un autre nom dans les théories du soupçon qui expliquent ce sur quoi on a peu de prises, par le recours à des complots particuliers .c’est d’une dramaturgie du malheur qu’il faudrait parler..
Dans son livre Evans-Pritchard développe une thèse analogue concernant les Azandé :
«
Pourquoi fallait-il qu'en de rares occasions, ses bols et ses tabourets se fendissent, à un moment où ils ne se fendaient pas d'ordinaire, et alors qu'il y avait mis, comme à l'accoutumée, son savoir et son soin? La réponse, il la connaissait bien ; et à son avis, ses voisins la connaissaient aussi, ces envieux, ces calomniateurs. De môme le potier veut savoir pourquoi il faut que ses pots se brisent dans une occasion où il emploie le même matériau et le même procédé qu'en d'autres occasions; ou plutôt il le sait déjà, car la raison est connue d'avance. Si les pots se brisent, c'est dû à la sorcellerie.
Donc il faut bien comprendre que nous donnerons une fausse idée de la philosophie du Zandé si nous affirmons que dans son esprit, la sorcellerie est la cause unique des phénomènes. Pareille proposition ne se trouve pas dans ses modèles de pensée. Il se contente d'affirmer que la sorcellerie met un homme dans un tel rapport avec les événements qu'il subit un préjudice. »
Les études de cas dans les œuvres d'Éric de Rosny (l’Afrique Des Guérisons », Justice Et Sorcellerie) présentent toutes la même teneur : soit une douanière aisée et économiquement indépendante n'ose pourtant pas s'émanciper des pressions de sa famille ; une fille libre qui « fait le bordel » en ville est rappelée à l'ordre par ses parents et tombe malade . Et les rumeurs sur le l’Ekong des entrepreneurs bamiléké servent aussi à relier ces nouveaux riches — même si c'est de façon perverse — aux cadres de la parenté.. Même dans des secteurs modernes (par exemple, dans une métropole comme Douala), la parenté constitue toujours la première source de la sécurité pour la grande majorité de la population.
« Sous divers aspects, la sorcellerie correspond toujours au versant noir de la parenté. Elle exprime la prise de conscience terrifiante du fait que le danger vient de l'intimité de la famille même, c'est-à-dire du lieu où devraient régner une solidarité sans faille et une confiance absolue. Ce discours traduit pourtant également un effort pour maintenir ces relations malgré cette terrible menace ; après tout, les parents sont par tradition les seuls alliés fiables. Comme le dit un proverbe douala cité ci-dessus : « il faut bien vivre avec son sorcier » C'est là que réside la force profonde de ces représentations. Elles expriment la notion effrayante qu'il y a jalousie, et donc violence cachée, parmi ceux avec qui on doit nécessairement vivre et collaborer. Presque partout en Afrique, il n'est guère concevable, aujourd'hui encore, de refuser d'entretenir, au moins formellement, les rapports familiaux. La famille reste le fondement de la vie sociale pour la plupart des gens. Mais cette intimité inéluctable semble cacher un danger mortel dans la mesure où c'est d'elle que naît la sorcellerie. La force persistante de ce discours vient de ce qu'il exprime une lutte toujours renouvelée pour vivre avec cette menace sombre émanée de l'intérieur". Peter Geschiere op cité
La diversité de l’organisation clanique, de l’organisation sociale et des formes de parenté, explique ainsi, selon Denise Paulme , celle des diverses formes de sorcellerie, par exemple chez les Pondo d'Afrique du Sud ou les Nyakyousa de Tanzanie,. Le sorcier Nyakyousa se trahirait par sa gloutonnerie, qui le pousse à dévorer les entrailles de ses voisins pendant leur sommeil et à sucer le lait du bétail. On lui impute donc les maladies qui découleraient de ces pratiques par l'affaiblissement de ses victimes. Il peut appartenir à l'un ou à l'autre sexe alors que, chez les Pondo, on ne rencontre que des sorcières, des femmes qui ont des relations sexuelles avec un démon familier au teint clair. Ces différences s’expliqueraient par celles qui distinguent les structures sociales des deux sociétés.
Seuls de leur espèce, les Nyakyousa sont groupés en villages peuplés d'hommes de même âge et de leurs épouses, sans lien de parenté entre eux, tandis que les Pondo vivent au sein de grandes familles : l'exploitation rurale réunit le père, ses épouses, les fils mariés et leurs femmes ; le cheptel est propriété commune. Aussi remarque-t-on que les Nyakyousa, dont les cauchemars ont pour principal ressort la convoitise des biens d'autrui, parlent de sorciers flairant l'odeur de viande rôtie et que les Pondo, qui interprètent la maladie comme une punition envoyée par les ancêtres, ont des cauchemars marqués par une fantasmatique sexuelle, laquelle s'explique par le fait que les relations trop intimes leur sont interdites entre parents, même éloignés, et que, de par leur organisation familiale, ils se trouvent en contact constant avec des partenaires prohibés. Par ailleurs, en Afrique du Sud, les relations entre des personnes de races différentes étaient aujourd'hui sévèrement punies : par-là se comprend l'accent mis sur les démons familiers au teint clair qui servent de compagnons aux sorcières.

Publisher: Cambridge University Press
https://doi.org/10.1017/


Sandra Fancello dans "Penser La Sorcellerie En Afrique" appelle, plus précisément encore, à appréhender la sorcellerie comme une « anthropologie des rapports de force entre les hommes et une pragmatique de l’action en situation »
. Il convient dès lors, selon l’auteure, de ne pas se limiter à une lecture « métaphorique » de la sorcellerie en termes « symbolistes » mais de prendre en considération les effets sociaux réels des imaginaires et des dispositifs d’accusation sorcellaires ainsi que les violences qu’ils engendrent au quotidien, comme un véritable « imaginaire qui tue ». Le point de vue qu’elle développe c'est que la sorcellerie est moins une pathologie qu'un instrument, un art de mettre en scène les rapports sociaux. Elle fonctionne en effet en espace symbolique de médiatisation et de dramatisation de la conflictualité qui marque la vie de tous les jours. Elle est le reflet, parfois même un double des interactions qui se nouent et se dénouent entre les différents protagonistes de l'arène sociale. Mais elle, leur donne un aspect fantasmatique qui permet de les codifier et de les ramener au sein d'univers connus.
Abordée sous cet angle, la sorcellerie apparaît comme un moyen, le lieu d'expression et de théâtralisation des rapports entre individus, individu et société et ceux de l'individu à lui-même. Mais la culture charge ces liens d'un contenu en empruntant des éléments dans les croyances, les mythes et les pratiques. Elle contribue aussi à leur élaboration, à leur reconfiguration en élaborant des rites pour résorber le conflit ou pour le réorienter.
Du point de vue des sciences humaines, son originalité est ainsi de permettre à un groupe de personnes de continuer de vivre ensemble en tempérant, en détournant l'agressivité qu'elles portent en leur sein, sans attaque frontale, en faisant passer au « niveau mystique » le désir de nuire physiquement à autrui. En tant que phénomène social et culturel, elle permettrait la verbalisation des conflits vécus d'une manière consciente ou inconsciente en la codifiant dans une enveloppe culturelle.. elle pourrait aussi permettre d'identifier les points de tension, là où se manifeste un besoin de transformation de la structure sociale sur le plan individuel .Cela permettait d'assouvir son désir de vengeance sans passer aux actes de violence visibles, comme le souligne Charles-Henri Pradelles de Latour, chercheur dans les montagnes de l'Ouest du Cameroun :
«Les affaires de sorcellerie résolvent les conflits en faisant l'économie des coups et blessures. Les attaques à main armée ayant eu lieu, à Bangoua, en une décennie, se comptent à peine sur les doigts de la main. Cette absence de la violence physique s'explique par le fait que les sorcelleries déplacent l'enjeu des différends occasionnés par la vie quotidienne sur une autre scène appelée 'affaires de la nuit' ou 'monde de derrière'. Ce faisant, elles désamorcent le jeu de la réciprocité et les relations en miroir où l'agressivité s'exaspère*».
Les sociétés traditionnelles réussissaient sinon à faire disparaitre, du moins à contrôler la puissance dévastatrice représentée par l'ekong, l'evu ou le djambe. Elles transposaient dans le monde invisible et dans un combat d’initiés les affrontements qui, au grand jour, auraient fait éclater les groupes. C’était par exemple la tâche des « ngambi » (devins) et nganga. Ces derniers (à l’instar des Chamans amérindiens,) étaient censés posséder une « double vue » qui leur permettaient de lutter ou négocier avec les sorciers « Par une sorte de consensus, on fixait ainsi dans le clan un seuil de tolérance à la violence physique, au-delà duquel on accédait à la violence mystique. On savait, en effet, que les jalousies, les haines et les désirs de vengeance pourraient être assouvis dans le ndimsi sans en venir aux mains. Cette stratégie apportait une paix extérieure et sociale relative que les devins et nganga devaient contrôler constamment à l'occasion des maladies et des deuils. (Eric De Rosny)
« Les nganga disposent d'une gamme de techniques variant selon les régions, où la divination et les rites de réconciliation tiennent une place majeure. Ces traitements cosmo-socio-psycho-thérapeutiques se font le jour ou la nuit, celle-ci étant souvent considérée comme la plus propice. Ils consistent en une vérification systématique de tous les secteurs de la vie, ou mieux, de toutes les couches concentriques d'influence qui enveloppent la victime, considérée comme le porte-maladie de son entourage. Durant ces cérémonies interminables, l'univers du patient doit être inventorié, rassemblé, récapitulé. Une pincée de terre prise dans un marché représentera, ou plutôt sera l'activité sociale du malade ; des gravillons ramassés à un carrefour, sa vie publique ; une cuvette d'eau, le fleuve au bord duquel s'étend son village d'origine, etc., car la partie vaut le tout. La présence de certaines personnes de la famille, on le devine, revêt une signification capitale. Cette vérification faite, l'art du nganga consistera à rétablir l'harmonie, à réinstaller son client à la place qu'il tenait avant sa maladie, dans l'ordre cosmique-et-humain qui doit être le sien. Un nganga résume ce processus, on ne peut mieux, en une simple formule : ( Mon travail consiste à remettre les gens au bon poids ». pour comprendre la réussite de cette médecine globale, faut encore réaliser, à partir de sa propre expérience, ou, à défaut, intellectuellement, quelle est la puissance] mobilisatrice du rite. Parler du rite ou du symbole, c'est l'isoler, le regarder à distance, le démystifier quelque peu : opération désacralisante dont les nganga sentent confusément le danger, car il est nécessaire de croire ou d'adhérer pour guérir. Un nganga interrogé sur le symbolisme des formidables bouffées de feu qu'il projette sur la victime de la sorcellerie, répond en protestant : « Le feu, ce sont les bombes ! Ce n'est pas un symbole, c'est la bombe même ! Ce n'est pas un symbole, c'est la guerre directe » ! L'emploi du mot « rite » ou « symbole » suppose un recul tactique propre au langage qui affaiblit la forme même de l'action qu'il recouvre. Loin de jouer une représentation, ou de combiner une manière de psychodrame le nganga prétend être, lui et son entourage, au cœur de la réalité, pas une autre réalité que celle de la vie ordinaire, mais celle-là même, redoublée, pour ainsi dire concentrée, dévoilée. Cette médecine ne tient pas seulement son efficacité des herbes, ni même de son caractère global, mais de sa capacité d'intégration. »
»Ede Rosny l’Afrique des guérisons. Seuil
L’ambivalence mentionnée dans la sorcellerie est ici manifeste dans le social. D’une part le sentiment, croissant qu'on a raté la piste si prometteuse de la « modernisation » nourrit une véritable obsession de complots macabres. D’autres part plusieurs auteurs signalent, notamment pour les jeunes au Cameroun, une inventivité remarquable pour imaginer d'autres pistes vers la richesse. La grande popularité des feymen ~ ( pidgin/français) pour des hommes qui savent « faire » - s'explique en effet par le fait indéniable que ces riches internationaux ont ramassé des fortunes éblouissantes qu'ils dépensent de façon t ostentatoire.
"Et c'est surtout cette perception de la « sorcellerie » comme force « accumulatrice » qui joue dans la politique moderne. Pour les villageois maka, il était évident que l'essor de l'élite nouvelle de fonctionnaires était lié, d'une façon ou d'une autre, aux forces secrètes du djambe (une notion que les Maka traduisent par « sorcellerie »). Dans les années soixante-dix, par exemple, une opinion générale parmi mes informateurs voulait que tous les efforts des autres politiciens pour écarter le député en exercice fussent voués à l'échec — pas tellement parce que ce dernier avait le soutien du sommet du parti unique, mais plutôt parce qu'il était « blindé » par le meilleur nganga (« guérisseur ») de la région. Les membres de l'élite eux-mêmes sont souvent prêts à renforcer de telles rumeurs : le député en question ne manquait aucune occasion de faire allusion aux forces extraordinaires de son nganga. Cette accusation avec la « sorcellerie » était en outre renforcée par le climat politique instauré à l'indépendance (1960) par le nouveau président Ahidjo et son parti unique. L'idéologie nationale mettait en effet lourdement l'accent sur la nécessité d'être « vigilant » contre la « subversion » omniprésente. La compétition féroce entre politiciens se déroulait à l'intérieur du parti et devait être arbitrée à huis clos. Tout se réglait au sommet du parti, mais les décisions de celui-ci demeuraient imprévisibles. Aussi les rumeurs relatives à ce qui se passait dans la « grande politique » furent-elles souvent difficiles à distinguer des histoires courant sur ks confrontations nocturnes des sorciers. » Peter Geschiere.op.cite
ci dessus un "prophète" d'une Eglise Indépendante accuse une "sorcière".
La conséquence est une spirale de violence faisant suite aux rumeurs, ragots et accusations de sorcellerie lesquelles constituent un élément important de la crise sécuritaire que traversent certains pays africains :actes de violence physique à l'initiative de populations qui entendent «faire justice» elles- mêmes , une sorte de «justice populaire » par des pratiques qui ignorent les médiations de la justice coutumière, et dont les acteurs assument rarement a posteriori la responsabilité. Les suspicions accumulées face à la répétition des maux (maladie mortelle, accident), confirmées par les accusations de sorcellerie de quelques nganga, et même de pasteurs et prêtres, conduisent à des stigmatisations et des persécutions qui peuvent aller jusqu'au lynchage des personnes désignées à la vindicte collective. Ces actes de violence criminelle, où les jeunes jouent souvent un rôle actif, ciblent les personnes les plus vulnérables : pauvres, âgées, tout particulièrement les femmes, les personnes handicapées et les malades mentaux. De surcroît, depuis plusieurs années des accusations de sorcellerie visent également les enfants qui représentent un groupe particulièrement sensible.
A SUIVRE