« La perte ambiguë » ou la douloureuse incertitude : vivant ou mort ? Photo : José Cendon / CICR / Sénégal-2016
Au Sénégal comme dans bien d’autres pays, derrière chaque migrant porté disparu, il y a une famille bouleversée. L’absence de nouvelle sur le sort d’un être cher engendre des situations personnelles très douloureuses. Grâce au « projet d’accompagnement aux familles de migrants portés disparus »du CICR et de la Croix-Rouge sénégalaise, plus de 200 foyers ont bénéficié d’un soutien psychosocial depuis le début du projet. Des dizaines de familles particulièrement vulnérables – essentiellement des femmes – ont également pu bénéficier d’un soutien financier de la part du CICR, afin de démarrer une activité génératrice de revenus pour subvenir à leurs besoins essentiels.
[Article tiré du Bulletin de la délégation régionale du CICR à Dakar]
On a tout vendu depuis le départ de Victor
Vincent et Martine n’ont plus de nouvelles de leur fils ainé Victor depuis 10 ans. Il a quitté son village Keur Daouda en 2007, pour se rendre en Espagne après avoir embarqué sur un bateau de fortune sur les côtes mauritaniennes. « Notre vie risque de ne plus jamais être comme avant. Victor était le pilier de notre famille. Son père n’a plus la force de travailler. Il s’est fait opérer 5 fois depuis le départ de Victor », explique Mathilde.
Il a décidé de braver la mer
Le fils d’Insa a disparu à l’âge de 18 ans. Il a pris une pirogue pour quitter le Sénégal. Au début, Insa ne voulait pas parler de son fils. Devenu par la suite le président de l’association des familles de migrants disparus de Pilote-Barre, il se confie : « J’étais au courant de son départ. Mais je n’avais pas d’autres choix que de formuler des prières pour son voyage. La disparition d’un fils est toujours dure pour un père. C’est insupportable. Je reste des jours sans retrouver le sommeil, je vis ma tristesse au quotidien. On vit grâce à la mer, mais chaque fois qu’on met nos pirogues à l’eau, l’image de nos enfants nous revient ; l’incertitude que la mer renferme sur le sort de nos enfants, le danger qu’elle représente à nos yeux. Mais je n’ai pas le choix, il faut nourrir ma famille. »
J’avais perdu goût à la vie
Birame ne sais plus rien du sort de Badou depuis 13 longues années. Lorsqu’il a disparu, son fils était à peine âgé de 23 ans. Avec une bande d’amis de Thiaroye-sur-mer, il a embarqué un jour sur une pirogue de fortune pour rejoindre l’Espagne par la Méditerranée. « Depuis ce jour, je n’ai plus de nouvelles de mon fils et de ses 84 autres camarades. J’ai fait le tour des marabouts, voyants et féticheurs ; je fais toutes sortes de prières et de sacrifices dans l’espoir de retrouver mon fils. À présent, la prière reste mon seul espoir. J’avais perdu le sommeil, je faisais des cauchemars chaque fois que je fermais les yeux. La mort ne m’effraye pas, je suis une croyante, mais ce qui est dur c’est le doute, l’ignorance, l’incertitude qui perdure. »
A découvrir également le grand format multimédia réalisé en Mauritanie : Les fils perdus du Guidimakha et le programme des Croix-Rouge européennes, Trace The Face, pour aider les migrants à reprendre contact.