Les vestes à 5 euros
Elle a gardé son sourire angélique d’autrefois quand on jouait. Là, 60 ans plus tard, nous faisons nos courses. Et en me parlant, son visage s’éclaire, sourire ébloui :
« – J’ai trouvé des vestes à 5 euros hier au marché, et jolies, au producteur, il y avait tout sauf le foie et les magrets bien-sûr, mais tout sinon, et il m’a même donné les cous. J’en ai pris 6, les 6 vestes, 35 euros les 6 vestes, tu te rends compte! Tout le canard ! 6 canards pour 35 euros. Je vais avoir de quoi bien me recouvrir les confits avec toute la graisse, oui, les cuisses surtout. Et les ailerons, les pattes pour la soupe, c’est bon à la soupe. Bien-sûr, je vais faire des graisserons aussi. Je mets tout au congélateur, comme cela je suis tranquille. Pas besoin de stériliser. J’en aurai pour longtemps. 5 euros les vestes! »
Sa joie m’enchante. Son congélateur aussi. Et son jardin pour la soupe.
Et puis j’ai mal. Je vois le repas avec l’aileron ou la patte, ou le cou, rien que du gras, de la peau, des tendons, de l’os, invendables.
Ah si ! Autrefois, quand les Chinois étaient pauvres, on leur envoyait des containers entiers de ces abats de canard pour leurs soupes. On doit le faire encore.
Et je pense à toutes ces journées à cuisiner les conserves dans les vapeurs de graisse qui bout… Je pense à sa santé fragile. Je pense à tout ce qu’il faut de savoir-faire, d’ingéniosité et de courage pour vivre quand on a très peu de revenus alors que l’on a travaillé toute sa vie.
Thérèse Marsan
23/12/2018