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L'Europe gourmande : le Festival de Strasbourg s'est dessiné un bel avenir

Publié le 13 juillet 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Par Daniel RIOT

L'Europe gourmande : le Festival de Strasbourg s'est dessiné un bel avenir
(En haut Bruegel, en bas Repas de paysans de Le Nain et repas de famille, de l'école flamande: L'Europe commence et s'épanouit dans nos assiettes)

Un galop d'essai ? C'était le but. L'essai est déjà transformé, comme on dit en rugby. Le Festival des cultures et des saveurs d'Europe est d'ores et déjà inscrit dans les paysages des rendez-vous « incontournables ». Mieux : il s'annonce déjà comme l'une de ces manifestations susceptibles d'animer Strasbourg  pour le plaisir des sens des habitants de l'eurodistrict et de la Grande région, d'attirer vers la métropole rhénane de nombreux visiteurs (en étant l'été ce que le marche de Noel est l'hiver) et de  conforter le rôle et le rayonnement de ce qui est déjà la capitale démocratique de l'Europe. Strasbourg, capitale de l'Europe gourmande ? C'est très bien parti. Bravo et merci aux initiateurs, Jean-Louis Valmiger et Emile Jung en tête. Merci à ceux qui les ont soutenus. Le Festival de Strasbourg a déjà le visage d'un futur qui s'écrit au présent.

L'Europe gourmande : le Festival de Strasbourg s'est dessiné un bel avenir

En ce carrefour de l'Europe de la bière et du vin, du pain blanc et du noir, dans cette région où l'on aime les plats composés (choucroute, baeckeofe, matelote), dans cette cité qui fut sauvéepar la soupe des Zurichois, dans ce carrefour des routes (y compris de la soie) entre le nord et le sud, entre l'est et l'ouest, la gastronomie est un mot chargé de sens . De tous les sens mêmes.

A commencer par son sens premier trop oublié. La gastronomie ne se réduit pas à la haute cuisine (comme on parle de haute couture) avec ses connotations élitaires et oligarchiques. Elle est, selon la formule de Brillat-Savarin, « la connaissance raisonnée de tout e qui a rapport à l'homme, en tant qu'il se nourrit ». Autant dire qu'elle « régit la vie toute entière ».Et qu'elle est par définition pluridisciplinaire. « Se placer du point de vue du mangeur », de cet « esthète gourmand » qui s'appelle l'homme c'est prendre en compte toute « la chaîne de la vie ».

L'Europe gourmande : le Festival de Strasbourg s'est dessiné un bel avenir

 « L'art de la gueule », comme disait Montaigne, mêle tous les arts que la nature humaine peut pratiquer, individuellement et collectivement. Il convoque toutes les muses, donc tous les sens, y compris ce sixième si difficile à définir qui nous poussent vers cette sensation d'absolu, de transcendance dans l'immanence, d'harmonie sublime. De plaisir conscient.

Dans cet art, le beau est d'abord le bon. Eloge du Gout, qui se forme, se développe, s'affine. La peinture s'apprend dans les musées, disait Malraux. L'art du palais s'apprend en mangeant (ce qui n'est pas en se nourrissant, en s'alimentant).

 En cette ère de « malbouffe », de « « fastfood »,  de mondial-banalisation, de globalisation insipide,  d'artifices et d'insignifiances, de confusion des valeurs, d'acculturation et de déculturation, il est bon de rappeler que saveurs et savoirs ont les mêmes racines. Comme assiette et assise. Comme symposium et « boire ensemble », table et tableau, manger et mâcher.

Des mets et des mots : nombres des 324 participants au colloque du festival sont restés bouche-bées en écoutant quelques uns des  quarante intervenants. La cuisine est culture, puisqu'elle ajoute à la nature. Et la culture de la cuisine est pluri-dimensionnelle puisqu'elle met dans le même plat tous les ingrédients qui caractérisent l'Homme.

« Je mange, donc je suis ». Je pense que je mange et je pense à ce que je mange, donc je suis Homme. En allant au-delà des besoins fonctionnels. En tutoyant le Désir. En cultivant (et en partageant) le Plaisir.

 « Bon à manger, Bon à penser, Bon à rêver »...C'est cela la culture gastronomique, avec tous ses composants (fruits de la terre et de l'eau) et tous ses prolongements, dans les sciences dites exactes et dites humaines, et dans tout ce qui nous pousse dans ces quêtes du Bien, du Beau, du Vrai.

En cela, la gastronomie est au sens propre (aimer et savoir) une philosophie Et cette  gastrosophie est une « écosophie », pour reprendre le néologisme de Félix Guattari et d'Edgar Morin ; une sagesse anthropologique, individuelle et collective. Ce qui promet de beaux débats dans les prochaines éditions de ce Festival de Strasbourg. Tous les secteurs d'activités sont directement concernés. Tous à table, donc !

Coté festif, aussi, ce rendez-vous a tenu toutes ses promesses.

La barre avait été mise haut. Elle a été dépassée. Les organisateurs peuvent la placer plus haut encore. En quantité et en qualité. En mobilisant davantage de moyens, d'énergie et d'imaginations localement. En se montrant plus digne de ses ambitions européennes. L'Europe commence dans nos assiettes : nous l'avons souvent dit et écrit. L'Europe est d'abord une terre, des fleuves et des mers de rencontres, de dialogues, d'échanges, de convivialité, de plaisirs partagés, d'un vivre ensemble harmonieux par le respect des différences et l'art de surmonter les antagonismes. Depuis les Etrusques, c'est le continent où les repas se prennent à plusieurs. Ensemble.

Eloge du Banquet (qui durait une semaine chez les Vikings). Eloge de la conversation, de la découverte de l'Autre, du semblable et du différent. « Le monde a plus besoin de cuisiniers que de diplomates », lançait Talleyrand qui aimait « s'entendre manger » et savait, comme Napoléon, que la bonne politique « ne se fait qu'à table »...ne serait-ce que parce que la guerre consiste d'abord à renverser les tables.

Les 800 millions d'habitants des 47 pays membres du Conseil de l'Europe sont tous des « mangeurs », gourmands et gourmets. Avec des traditions, des terroirs, des mémoires sensorielles, des gouts, des imaginaires différents... Avec des recettes différentes. Avec des langues différentes. Mais avec un langage commun : celui des valeurs du Conseil de l'Europe donc de ce « principe d'humanité » qui permet de parler d'unité dans le respect des diversités. Et de voir l'avenir comme un horizon d'espérances en un vivre mieux.

Ce premier Festival de Strasbourg a confirmé avec éclats et intelligence que la cuisine est d'abord un art du cœur. « Les chefs qui ont pris la parole avaient les mots au bout des doigts », remarque Emile Jung. Très juste. Parce que, répétons-le,  les mots sont aussi des mets.Et que nombre de mets naissent de mots.La cuisine est  langage.

Cette édition nous a procuré cette « satiété émotionnelle » que façonne un bon repas et nous a aiguisé l'appétit. Pour les éditions suivantes.

Daniel RIOT

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