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Feria de abril à Séville : les toros vus depuis la campagne, par Dominique Fournier

Publié le 06 avril 2019 par Slal


Séville, avril 2019

Les sentiments se mélangent lorsque s'approche le temps de la feria d'avril à Séville. Le retour de los toros à la Maestranza, la confirmation de la fin de l'hiver, la joie qui nous attend en prenant place sur les gradins inconfortables, les déceptions trop prévues (voir ici article918). Mais aussi, pour certains d'entre nous, le moyen de retrouver le contact avec une nature qui s'était endormie, et que d'autres se refusent de contempler dans sa vérité. Le toro, héros de cette nature décidément insaisissable. Mais un toro des villes, ou un toro des champs, un toro collaborateur ou un toro bravo ? Et pour complaire aux amateurs du toro inventé de la ville, faut-il anéantir la splendeur persistante du toro des champs ?

Le toro réveille les passions, jusqu'à pousser quelques-uns à croire qu'ils sont seuls à détenir la raison, et pour cela penser au nom des bêtes, leurs avatars en somme. « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou » (Pascal, Pensées, 414). Certes, et où se nicherait alors la sagesse, sinon dans sa propre folie, celle que l'autre vous attribue. Pourquoi disserter sans fin sur la pensée de ces autres nous-mêmes si nous nous bornons à nier toute pensée à ceux qui vivent dans l'intimité de ces autres nous-mêmes ? José María ne prétend pas philosopher sur la bravoure du toro bravo, puisqu'il lui suffit de le regarder, de l'observer comme au temps de Buffon, non pour lui prêter nos propres pensées, mais pour respecter sa manière d'être.

Et le respect spontané de ceux des champs vaut bien le respect consenti de ceux de la ville. La Maestranza, avec tous les défauts que nous pouvons lui reconnaître, devient vite une école du respect véritable puisque, qu'on le veuille ou non, l'homme n'y joue pas à la mort, il la côtoie à chaque instant, et finit parfois par la subir plus tôt qu'il est raisonnable. Un autre aspect de la folie évoquée par Pascal ? Peut-être.

Dominique Fournier


José María Corona, par D. Fournier

Ici, ceux qui n'aiment pas le mosto de Manolo peuvent partir, on ne les retient pas. Sûrement qu'ils n'apprécient pas l'autre chose sérieuse qui nous attire dans cette rassurante pénombre : le chant. José María est un fidèle de la bodega, même s'il n'y a pas que des amis. Mais enfin, il faut admettre que si on voulait être copain avec tout le monde, on ne se permettrait pas de vendre des mules, ni des chevaux.

D'où il tient son surnom de "Corona", difficile de le savoir. Peut-être que ce mote lui vient de son père ou de son grand père, pour un fait d'arme que les archives n'ont pas songé à retenir ; en tout cas, tous les paroissiens avec qui il partage des bouteilles s'amusent à reconnaître qu'il parle "muy ligero", très vite et en omettant certaines syllabes. Ce sont des experts, on peut leur faire confiance. D'ailleurs, ça ne l'empêche pas d'inventer à son tour un cante qu'il dédierait à un de ses chevaux. Corona est souvent taiseux, se satisfaisant des petits verres qu'il se verse lui-même, mais quand l'envie le prend, il devient véhément. La fréquentation de la marisma toute proche ne détermine-t-elle pas les façons de penser au sortir d'une matinée de travail harassante ?

Il n'ignore pas que les hirondelles n'ont pas que de fervents partisans dans le village ; il le comprend, mais il perçoit surtout le bonheur qu'il éprouve, lui, à les voir dessiner le beau d'un simple trait d'aile. Et comme il sait depuis longtemps que la nature ne tolère le hasard qu'à son corps défendant, il fait partie de ces rares amateurs de toros qui réclament que les vaches braves testées un certain jour pour déterminer si elles méritent d'être mères, soient essayées de nouveau plus tard. Un autre jour, quand le vent se sera calmé, quand elles auront mieux passé la nuit, quand la chaleur sera moins cruelle. Car qui sont-ils ces hommes, les éleveurs et les toreros, pour leur imposer une épreuve à leur manière, alors que la nature les a peut-être dotées d'une bravoure à toute épreuve, et qu'elles n'auront jamais d'autre occasion de le montrer ?

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