A l'heure du drame culturel mondial qui frappe Notre-Dame et de l'immense tristesse qui nous étreint, nous retrouvons cet article paru en première page du quotidien parisien Comoedia le 11 septembre 1911.
Préservons Notre-Dame de l'incendie
M. Lemarchand, en signalant l'insuffisance des dispositions prises contre le feu à Notre-Dame, et les risques d'incendie permanents contre lesquels la cathédrale est si mal outillée, n'a pas poussé un cri d'alarme injustifié ni montré ses craintes chimériques. Il est trop évident que Notre-Dame est journellement exposée, à tous les dangers qui peuvent menacer un monument pour ainsi dire livré au public sans surveillance.
A l'heure actuelle, plus de deux cents personnes ont l'autorisation de peindre, dessiner et photographier à Notre-Dame ; c'est-à-dire que plus de deux cents personnes ont le droit de se promener sur les toits, d'inspecter les charpentes, de se hasarder sur les corniches, d'escalader les escaliers, les plus vertigineux, de fumer dans tous les coins, et de jeter où il leur plaît les allumettes flambantes et les bouts de cigarettes non éteints. Il suffit de faire un tour à Notre-Dame, pour vérifier l'exactitude de ce que nous avançons.
En effet, tous ces visiteurs autorisés circulent librement et sans être accompagnés dans la cathédrale qu'ils traitent en pays conquis. Serait-il possible d'organiser des visites en groupes et accompagnés ? D'établir un itinéraire fixe que suivraient, sous l'escorte d'un gardien, les gens désireux de connaître Notre-Dame en détail ?
Cette question regarde l'administration des Beaux-Arts. Mais ce qu'il importe de signaler dès maintenant, c'est le danger réel qu'il y a à laisser ainsi errer sans surveillance, dans un pareil édifice, des visiteurs dont l'imprudence, même sans mauvaise intention, peut causer es pires désastres. Que l'on y songe ! ces visiteurs si étrangement libres, circulent même dans la « forêt », c'est-à-dire dans la charpente même, inextricable réseau de poutres, qui soutient le toit de la grande nef !
Empressons-nous d'ajouter que l'administration des Beaux-Arts s'est préoccupée sans tarder d'installer à Notre-Dame des dispositifs suffisants en cas d'incendie. M. Genuys, architecte en chef adjoint à l'inspection générée des monuments historiques, s'est rendu hier, en l'absence de M. Selmersheim, à Notre-Dame pour y étudier sur place les mesures à prendre,
Si nos renseignements sont exacts, un rapport sera prochainement soumis à l'administration des Beaux-Arts par M. le colonel des sapeurs-pompiers. Mais les dispositions définitives ne seront prises que sous le contrôle de l'administration même des Beaux-Arts. Gardons-nous, en effet, de remèdes qui seraient pires que le mal, et qui, sous prétexte d'assurer la sauvegarde de Notre-Dame, la défigureraient. Nous savons qu'il a été proposé d'installer, sur les tours de Notre-Dame, des réservoirs. C'était évidemment une façon de. terminer ces constructions inachevées.
Il est permis de douter cependant qu'ils reçoivent jamais l'approbation de l'administration compétente.
MAURICE DE BOUECQ.