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Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique)

Publié le 20 avril 2019 par Juan
Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique)

L'incendie de Notre-Dame a permis à Macron le plus beau des exercices, une diversion compassionnelle qui a pourtant rapidement viré à l’écœurement. La "dictature de l'émotion" était évidente, comme pour mieux tirer la chasse sur une mauvaise et interminable séquence. Macron avait besoin de Notre-Dame pour éclipser sa mauvaise actualité, divertir l'attention de ses prochaines réformes et de l'absence de programme européen, à 4 semaines du scrutin.


Mini-mesures et maxi-manip
Emmanuel Macron allait promettre une grande réponse à la révolte de Gilets Jaunes et, surtout, au Grand Débat. Quand ses conseillers ont laissé fuiter les mesures "détonnantes", on pouvait être interloqué par tant de propositions tellement à côté de la plaque, si loin des revendications exprimées partout - dans les ronds-points, les manif, les sondages. Et même si l'on préférait récuser les ronds-points, les manif, et les sondages, où pouvait-on penser que les mesures annoncées officieusement répondaient à une quelconque demande si urgente qu'elle avait permis au clan macroniste de s'exonérer de tout programme pour les élections européennes ?
  1. Supprimer l'ENA: les formateurs des élites administratives sont un bouc-émissaire plus facile que le Medef ou les autres représentants de l'oligarchie.
  2. Supprimer l'Ecole de la Magistrature: Macron en avait-il contre ces magistrats et l'indépendance du parquet ?
  3. Baisser les impôts pour les classes moyennes: les classes moyennes n'existent statistiquement plus en France, mais Macron les a trouvées.
  4. Ré-indexer les petites retraites (moins de 2000 euros): qui protestera ? Quelle générosité bienvenue ! Après avoir augmenté la CSG des retraites, puis gelé la quasi-totalité des aides sociales et les retraites, le monarque "corrige".
  5. Pérenniser l'exonération d'impôts et de cotisations sociales pour les primes de fin d'année jusqu'à 1000 euros. La novlangue macroniste fait croire que Jupiter lui-même verse la prime à chacun ("La prime exceptionnelle de 1.000 euros "pérennisée" s'extasie l'oligarchie médiatique). Quelqu'un parmi les brillants esprits macronistes peut-il avouer le sens politique de cette multiplication d'exonération de cotisations sociales qui, ensuite, conduisent les mêmes à expliquer que la Sécu, l'assurance chômage et les retraites sont mal financées ?
  6. Interrompre la fermeture d'hôpitaux et d'écoles d'ici la fin du quinquennat: merci les Gilets Jaunes! Sur les ondes, cette semaine, la ministre Buzyn contredit pourtant son monarque: "Quand il y a vraiment un manque de soignants, parfois nous sommes obligés de fermer des services". A-t-elle oublié qu'elle est responsable des moyens et du nombre de soignants ?
  7. Autoriser les Référendums d'Initiative Citoyenne... au niveau local. Mini-réponse à une maxi-demande, bravo Jupiter, merci patron.
  8. Installer une "convention écologique" avec 300 citoyens "tirés au sort" pour "travailler à la transition écologique et aux réformes concrètes à prendre": de qui se moque-t-on ? La planète se réchauffe, le climat se dérègle, des milliers d'espèces du vivant  disparaissent et Macron, les mesures sont connues, mais Macron préfère organiser un Grenelle de l’Environnement miniature... Sans commentaire...
  9. Allonger la durée du temps de travail: le macronisme est un nouveau sarkozysme, la conversion est quasi-totale. La question cachée n'est pas la durée du travail (les heures supplémentaires sont déplafonnées jusqu'à 48 heures par semaine), mais le seuil hebdomadaire de calcul des heures supplémentaires.
C'est un trou noir, un aveuglement ou un mépris.
Masquer, mentir, divertir
Il y avait pourtant des idées simples et populaires, répétées dans les manif, et approuvées par des majorités sondagières écrasantes, étayées par les débats eux-même malgré le bidonnage gouvernemental: rétablir davantage de fiscalité sur les quelques centaines de milliers de foyers ultra-riches (78% des sondés sont ainsi en désaccord avec le refus de ne pas revenir sur la suppression de l'ISF), améliorer et augmenter les moyens des services publics de base (et surtout en matière de santé), ou se saisir enfin de l'urgence écologique.
"Président en vrille, com en toupie : l’Élysée tente de masquer les gilets jaunes derrière l’écran de fumée de Notre-Dame." Les Jours
Il y avait aussi d'autres mesures macronistes, toujours d'actualité, mais cachées, soigneusement cachées car socialement trop explosives: la réforme des retraites, objet de couacs gouvernementaux à répétition sur le report, ou non, de l'âge de départ à taux plein. Cette réforme a un objectif public, simplifier les régimes, et un objectif officieux que le Medef répète, économiser sur le dos des assurés puisqu'à aucun moment n'est évoqué un rééquilibrage des financements de cette solidarité inter-générationnelle: “Si l’on ne fait rien, l’équilibre financier du régime de retraite sera dans le rouge l’année prochaine”, a prévenu le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. Et sa proposition miracle est de reporter l'âge légal, quand l'âge réel approche déjà les 66 ans. Et que l'âge limite de vie en bonne santé stagne à 62 ans (hommes) ou 64 ans (femmes). Et un nouveau retraité sur deux est en fait... sans emploi. Au passage, l'Etat veut récupérer le contrôle du système, et évacuer les syndicats de la gestion des régimes.
Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique) Déjà en décembre, grâce au mouvement des Gilets Jaunes, Macron avait du lâcher du lest en décembre, un lest bienvenu qui a permis, note l'OFCE, la plus forte hausse du pouvoir d'achat depuis Sarkozy: la loi d’urgence (prime d’activité, défiscalisation des heures supplémentaires, prime exceptionnelle défiscalisée, baisse de la CSG pour certains retraités, annulation de la hausse de la taxe carbone, ) avait permis de doubler le gain estimé de pouvoir d'achat en 2019  (+1,9 % par unité de consommation), et ce malgré la désindexation de certaines prestations sociales. Le gouvernement applaudit rapidement au constat, mais masque la suite de l'analysé des mêmes économistes: "Les créations d'emplois connaîtraient une croissance moins soutenue que sur la période 2017- 2018." L'OFCE prédit en effet un recul quasi-anecdotique du chômage (-0,1 point par an jusqu'en 2021), malgré la transformation ultra-coûteuse du CICE en baisse de cotisations sociales et allègements au niveau du SMIC (40 milliards en 2019)et la défiscalisation des heures supplémentaires. La politique de l'offre gave les actionnaires et ne relance pas la croissance ni les créations d'emplois. A moins de dégrader les conditions d'embauche, de réduire les droits des chômeurs, de traquer les sans-emploi.
Dans les sondages, l'illusion sur les conclusions macronistes du Grand Débat est de courte durée. Le rejet des propositions jupitériennes est écrasant. Et comme le régime macroniste a les sondages comme boussole, on stresse à l'Elysée. Macron bredouille qu'il trouvera d'autres idées.
Ça ruissèle sur Notre-Dame
Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique) Ces mesures si anecdotiques n'ont pas été annoncées. Comme un sabotage de l'Histoire, Macron a reporté son monologue présidentiel à cause d'un gigantesque incendie de Notre-Dame de Paris. La pointe de l'édifice religieux s'effondre dans les flammes et les larmes, comme un 11 Septembre version tricolore mais sans terroriste. L'émotion est normale, la cathédrale dépasse le symbole religieux. Mélenchon s'enflamme avec sincérité sur "notre cathédrale commune", ce n'est pas la première fois: "Il y a ceux pour qui la main de Dieu est à l’œuvre dans l’édification de ce bâtiment. Mais ils savent que si elle y paraît si puissante, c’est sans doute parce que les êtres humains se sont surpassés en mettant au monde Notre-Dame."  Mais toute la classe politique est unanime, les premiers complotismes n'apparaissant que le lendemain. Macron annule son intervention, et se précipite sur les lieux, cliché presque habituel d'un parterre d'officiels l'air contrit sur les lieux du drame. Jupiter gâche un peu l'unanimité en débutant son intervention par un hommage aux catholiques. Notre Dame ne vaut-elle pas mieux que cette religiosité-là ? Un curé, le lendemain, a des mots bien plus profanes et œcuméniques, quand il remercie à la télévision les catholiques, les protestants, les juifs, les musulmans, les laïcs et les athées. Mais Macron est dans le spectacle permanent. L'émotion est scénarisée et ce lundi -soir là il s'agit de reprendre de la hauteur et des points auprès de l'électorat catholique.
Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique) Il n'en faut pas davantage pour que les dons de riches patrons et quelques entreprises spécialistes de l'évasion fiscale ruissèlent au point d'inquiéter les finances publiques: concours d'ego, guerre de communication entre qui sera le plus généreux chez les très grands du pays ? En trois jours, le milliard d'euros de promesses est atteint. Un obligé dénommé Aillagon de ces milliardaires réclame aussitôt de rehausser le taux d'exonération fiscale de ces dons à 90%...
On est stupéfait devant pareil ruissèlement quand Macron répétait que les très riches méritaient d'être aidés, exonérés d'ISF, protégés d'un bouclier fiscal rebaptisé flat tax. Et les voici qu'ils lâchent un milliard en quelques heures. Finalement, ça ruisselle enfin ! Devant le trouble et la colère de quelques gauchistes sur la défiscalisation couteuse de ces dons,  un puis deux riches patrons promettent de ne pas la réclamer. Le placement reste rentable. Combien de morts sans domicile, de pauvres abandonnés, de causes humanitaires n'ont pas bénéficié de pareille générosité ?
L’écœurement vient rapidement. D'abord, comme souvent, avec le neo-fasciste Eric Zemmour. Toujours prompt à trier les Français, les émotions et les nationaux, le voici qui balance: "Celui qui n’est pas ému aux larmes devant l’incendie de Notre-Dame n’est pas Français." Le même Zemmour voit dans l'incendie un attentat. Il "doute" de l'accident. Zemmour doute de tout et haït beaucoup. Puis les déclarations télévisuelles de Manu 1er. Coincé devant la caméra dès le lendemain du drame, Jupiter promet de reconstruire le toit de la cathédrale en 5 ans. Jupiter se prend pour Philippe II Auguste. Et Édouard Philippe annonce un "concours international", discours devant les caméras. "Rebâtir en 5 ans", c'est un "défi immense" clame-t-il.
Les commentateurs médiatiques se jettent sur le sujet comme des mouches sur un caca posé là. "Peuple de bâtisseurs" invoque Macron. 5 ans pour reconstruire un cathédrale, un quinquennat pour abîmer la France.
Les Gilets Jaunes
On a les défis qu'on peut. Et la Macronista manque d'ambition. Elle cherche des diversions là où elle peut. Certains pensaient que le réchauffement climatique, la disparition des espèces, la persistance de la pauvreté dans nos pays richissimes, les guerres aux Moyen Orient, le trafic de migrants, une panique financière causée par un Brexit sans accord, les boucheries saoudiennes au Yémen avec des armements français, ou même le prochain krach financier conséquence d'une asphyxie économique par les dérives de la Finance, étaient des sujets autrement plus sérieux. On s'est donc trompé. Macron tente de se saisir de l'accident de Notre-Dame pour tirer un trait sur 10 mois de polémiques - affaire Benalla, scandale Mimi Marchand, révolte des Gilets Jaunes. Ses ministres sont au garde à vous sur les clichés sérieux qui traitent de Notre-Dame. D'autres tentent de meubler le vide d'une action de classe.
Le pistonné Gabriel Attal, secrétaire d’État sans expérience autre que de bonnes fréquentations, pose avec le nouvel uniforme du dernier gadget de la Macronie, un uniforme bleu comme des apprentis flics, pour des jeunes volontaires au SNU, Service National Universel.Un uniforme pour ... un mois de stage. Oui, la Macronie sait trouver où gaspiller quand il s'agit de symboles pour habiller sa politique.
Emmanuel Macron et la dictature de l'émotion (623ème semaine politique) 23ème samedi des Gilets Jaunes, la villa des Macron au Touquet est discrètement protégée. La veille, Castaner a jeté un peu d'huile sur le feu en dénonçant à l'avance (sacré devin !) les violences. Le ministre de l'intérieur a aussi choisi les colonnes du seul quotidien ouvertement revendiqué libéral, de droite et pro-business, l'Opinion, pour oser affirmer qu'il "garde (son) âme et (son) parcours d’homme de gauche." Ne riez pas non plus quand il ajoute que la " loi anticasseurs n’est pas liberticide." Dans les hôpitaux, la Macronista fait ficher les Gilets Jaunes blessés. Au 20 avril, le journaliste David Dufresnes dénombre 644 cas avérés de violences policières, dont 259 blessures à la tête et 23 éborgnés. Sur les ondes, un député macroniste traite l'un des porte-parole visibles du mouvement de "profond débile". On progresse.
L'Elysée théâtralise encore davantage en mentionnant que Macron reçoit Castaner à la mi-journée. La mobilisation est en baisse, mais dans les sondages, les Gilets Jaunes cartonnent.
A l'Elysée, Macron peaufine sa prochaine diversion. A quatre semaines du scrutin européen, la Macronie n'a toujours pas publié son programme.
Ami macroniste, où en es-tu ?
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