Escale de la vieille dame
Je m’assois sur les marches qui font face à l’entrée du chapiteau tandis qu’au bout de l’allée les officiels organisent leur entrée en scène pour l’inauguration de l’Escale du livre.
A proximité, une vieille dame, assise elle aussi, attire mon regard. Ou plutôt l’extrême saleté de ses cheveux, gras, tombant sur son visage, mêlés, m’amène à l’observer. J’entraperçois aussi de longs poils de barbe. Sa tête m’évoque un balai espagnol. Deux maigres poches en plastique sont posées à ses côtés. Je pense que c’est une sans domicile.
Au bout de l’allée, le cortège s’ébranle avec le nouveau maire au centre. Alors qu’il vient de franchir la porte d’entrée, elle s’adresse à moi, me donnant à voir ses yeux délavés et sa peau fripée.
« Il est comme Juppé, toujours avec sa clique ! » me dit-elle d’une voix chaude, grave et assurée. Une voix à laquelle je ne m’attendais pas. Je lui souris.
« Quelle heure est-il ? » me demande-t-elle ensuite. « 19h10 ! » Je ne sais de quoi c’est l’heure pour elle ; elle se lève, fait deux pas, se retourne : « Je n’ai rien oublié ? » Un homme à proximité vérifie en même temps. Elle porte une veste en (fausse) fourrure grise, une jupe longue rouge, le tout impeccable, pas une tache. Ses chaussures sont en bon état. Cela ébranle mon idée première : est-elle SDF ? Et en même interroge ce besoin de catégoriser.
Elle reste plantée là, à 4 mètres de moi, quand soudain de puissantes et prégnantes effluves d’urine saississent mon odorat. J’essaie de croire à une coïncidence mais quand au bout de quelques minutes elle se décide à entrer sous le chapiteau l’odeur disparaît. Elle reste près de l’entrée où discourent les officiels quelques instants. Je souris à nouveau. Puis elle ressort et se dirige à petits pas vers un lieu mystérieux (pour moi.)
Colette Milhé