Il est allé crier sur la colline : « je ne sais pas faire de vélo ! »
Face au vallon désert de ce village de la Drôme provençale Raoul Tabourin, sobre Poelvoorde, sans témoins aptes à comprendre son désarroi et entendre sa confession, passe aux aveux : lui, le casse cou auteur d’un double looping exècre la bécane. Il faut dire que chaque tentative terrorisait Raoul depuis que son père de facteur avait retiré les petites roues et que son vélo se mit à obéir à la loi des bicyclettes qui tombent. Impossible de trouver un équilibre sur cet engin de malheur et Raoul fit œuvre d’imagination, de subterfuges puis de mensonges pour ne pas décevoir son père, ni la population du village vassale de la petite reine. Crevaisons, déraillement de chaîne, simulation, tout était bon pour habiller cette vérité indécente et nue : personne n’a jamais vu le fils du facteur autrement que marchant a coté de sa monture, le guidon à la main ! Pourtant, il y a toujours le mur au bout de l’impasse et à bout d’imagination Raoul, retardataire, entre en scène en haut du verger avec les copains en spectateurs au bord de l’étang. La vérité plus effrayante que la peur, Raoul enfourcha la selle et lâcha les freins. Les lois de la physique et celle de la pesanteur aidant, notre cycliste tremblant dévala la pente du champ.
Plus bas, avec le talus pour tremplin et le lac pour réception, la magie de Sempé lui fit décrire un mystérieux double looping entre les nuages du ciel de Provence et la surface indulgente de l'eau.
C'est le miracle (et surtout l'explication scientifique) de la vie : une chaîne carbonée complexe dans un solvant permettant l'évolution.
De retour au village, avec tant de témoins de son intrépidité, l’enfant promit à son père, mutique Grégory Gadebois qui n’en demandait pas tant, de ne plus jamais enjamber une selle placée entre deux roues.
Comment refuser l'admiration des copains, des filles et du papa en se défaussant de l'apprentissage de l'équilibre et mettre fin aux tricheries quotidiennes ?A force de désosser des bécanes pour éviter d'en faire, Raoul Taburin est devenu synonyme de bicyclette.
Comment mieux cacher sa maladresse qu'avec l'habileté du mensonge et la dextérité du démonte pneu? Promesse réitérée le jour de son mariage, prétexte à raccrocher le cadeau du coursier flambant neuf avec guidon à moustache, jantes alu et double pédalier au mur de la couardise.
Seulement voila : l’usurpateur a une conscience ! Ce truc encombrant obstacle à une étreinte épanouissante dans les bras de Morphée. Si la vérité est bonne à dire, le mensonge est épuisant. Le jour passé à inventer des stratagèmes pour enfumer son monde et la nuit à chasser les scrupules. Et, au bout d’une vie de dissimulation, dormir dans un cimetière avec les cadavres des mensonges dans tous les placards. Quand Raoul, le contrefacteur marié,deux enfants et un petit vélo dans la tête rencontre son double, il découvre enfin le seul confident qui puisse le comprendre et le libérer. Nous voilà mûr pour admirer l’amitié mystificatrice du cascadeur qui ne sait pas pédaler et du photographe qui ne sait pas photographier.
Le fin régleur de freins, de cadre et de roues ne tourne pas rond et le photographe est fâché avec le mouvement.
Nos deux imposteurs vont'ils s’avouer en catimini enfin leur secret ? La suite dans les salles obscures! La rencontre des deux usurpateurs par défaut, Edouard Baer en shooting à Ventérol, donne le second souffle à ce film qui ne manque pas d’air dans la chambre noire. Vous en saurez plus sur la sortie de l’imposture par la métaphore du cycle. Au début, l'inoffensif malentendu du pédalier transmis par la chaîne du mensonge, démultiplié par les pignons de la forfaiture et l'on met pied à terre au chevet d'une situation gentillette mais inconfortable. Le menteur épuisé souhaite le saut libérateur du dérailleur pour respirer enfin à plein poumons, belle comme un buste féminin pompant l'oxygène de la Provence, la vérité !
Alors et dusportmaispasque ?
Ben, je n’ai pas fait de vélo depuis Iraty l’an dernier alors j’ai acheté un biclou et je pars "faire" la Véloscénie de Chartres au Mont Saint Michel sinon je vais passer pour un … usurpateur