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Focus sur une offensive informationnelle contre une société cotée : la chute de Valéant

Publié le 26 avril 2019 par Infoguerre

Focus sur une offensive informationnelle contre une société cotée : la chute de Valéant

En 3 ans, entre septembre 2012 et septembre 2015, le cours de la société Valéant a progressé de près de 300% : elle était alors considérée comme une star des marchés financiers. Cette biotech canadienne cotée à Wall Street était classée en tête des recommandations de valeurs à détenir par les hedge funds, et 7 des 20 les plus performants en avaient effectivement déjà en portefeuille. Elle était même qualifiée par un gérant phare de Wall Street de « Berkshire Hathaway en puissance« , en référence à la société fondée par le milliardaire Warren Buffet. Son modèle de croissance basé sur des acquisitions externes en général hostiles était alors considéré comme révolutionnaire dans le secteur pharmaceutique (les plus emblématiques étant l’acquisition de Salix pour 14,5 Mrds$ le 22/02/2015, ainsi que Bausch et Lomb pour 8,7 Mrds$ le 27/05/2013). Le 18 septembre 2015, Valéant était valorisé 83 milliards de dollars au NYSE. Son action cotait 242 $

Des premiers reproches émis par la classe politique sur le plan éthique

Pourtant, la politique de fixation des prix par les biotechs, et par Valéant en particulier, suscite déjà des interrogations de la part de la classe politique : deux membres du congrès, dont Bernie Sanders, demandent à la société de s’expliquer sur les augmentations récentes et soudaines des prix de certains médicaments qui mettaient à mal la faculté des patients à se les procurer. Le 21 septembre, Hilary Clinton poste un tweet dans lequel elle s’insurge contre les pratiques des biotechs consistant à procéder de la sorte sur des médicaments dont elles étaient devenues propriétaires. Elle annone qu’elle comptait engager une réflexion pour légiférer sur le sujet Son tweet faisait suite à l’annonce de l’augmentation du prix du Daraprim de 13,5 dollars à 750 dollars la tablette, médicament acquis récemment par une start up dirigée par un ancien gestionnaire de hedge fund. Ce cas n’était pas isolé ; plusieurs sociétés du secteur suivaient les mêmes pratiques

Première offensive informationnelle : la mise à nu du « business model »

Le 28 Septembre 2015, Citron Research, un courtier spécialisé dans la vente à découvert et qui publie régulièrement des recommandations sur les sociétés cotées, publie un premier qui détaille des éléments du business modèle de Valéant : il démontre notamment que Valéant procède systématiquement par des acquisitions ciblées, dont l’objectif est de racheter un portefeuille de médicaments pour lesquels les alternatives sont inexistantes ou peu efficaces, et qu’il procède quasi immédiatement à des augmentations drastiques des prix. Par ailleurs, les charges allouées à la recherche et au développement ne sont que de 3 % du CA pour Valéant en 2014, contre une moyenne de 17,5% dans le secteur ce qui pose des interrogations quant à sa capacité à générer de la valeur à moyen terme. Aussi, son business modèle est finalement des plus simples : diminuer ses charges, et augmenter son chiffre d’affaires via un effet sur les prix. Le même jour, dix-huit élus démocrates de la Chambre des représentants somment le DG de Valéant de baisser le prix de deux de ses médicaments permettant de soigner les cardiaques. Ces derniers ont été augmentés de 525 et 212% le jour de leur acquisition par la société. La capitalisation chute à 57 milliards de dollars à la clôture.

Une première réponse timide

Le DG de Valéant réagit en envoyant un email (rendu public) à l’ensemble du personnel dans lequel il tente de rassurer sur la pérennité de l’entreprise et relativise l’impact sur son cours de bourse. Il assure que le positionnement concurrentiel et la stratégie de Valéant sont pertinents, et viables. Il confirme les objectifs de croissance à deux chiffres pour l’année à venir

Deuxième offensive informationnelle : les accusations de fraude

Le 21 Octobre 2015, Citron Research publie le deuxième volet de son rapport, intitulé « Valéant peut-il être le prochain Enron de la pharmacie ? » Le rapport révèle de nouvelles informations qui font état de liens avec la société Philidor, un réseau de pharmacies, dont l’objet serait d’acheter et stocker des produits de Valéant, gonflant par-là artificiellement son chiffre d’affaires. En sus, Philidor gérerait un réseau de pharmacies encourageant les prescriptions des médicaments faisant partie du portefeuille de Valéant, dans le cadre d’un programme de prise en charge partielle facilitant l’achat des médicaments aux prix élevés par les patients. Ce programme repose sur le détournement d’un mécanisme de remboursement par les assurances privées des patients.

Une deuxième réponse ambiguë

Valéant réagit par communiqué et affirme que le rapport de Citron Research est « totalement erroné ». Dans une call conférence organisée pour  réfuter les accusations contenues dans le rapport de Citron Research, le DG de Valéant se défend en affirmant que « Le rapport était destiné à effrayer les actionnaires afin de faire baisser le cours de notre action et alimenter les  profits de son activité de ventes à découvert ». Le DG affirme que Valéant exerce ses activités « dans le respect des normes d’éthique les plus élevées » et qu’elle s’engage « en faveur de la transparence. » Il confirme par ailleurs la conformité du traitement comptable des opérations Il s’engage néanmoins à mettre en place un comité interne pour clarifier la relation entre la société et le réseau Philidor, et en particulier ses pratiques commerciales. Finalement, quelques jours plus tard, Valéant se résout à mettre fin à toutes ses activités commerciales avec le distributeur Philidor. Le cours perd encore 16% à 93 $. En à peine un mois et demi, Valéant a perdu plus de 60% de sa valeur

Bilan

Malgré un environnement politique attentif et mobilisé en amont contre les pratiques du secteur dans lequel opère la société, le parcours boursier de Valéant n’a pas été initialement impacté car elle bénéficiait d’une image de succes story, valorisée comme exemple dans le contexte libéral de Wall Street, opérant dans l’intérêt exclusif de ses actionnaires. Mais dans cet environnement au terreau fertile, des attaques informationnelles savamment timées (en deux temps), puissantes et argumentées ont eu un impact considérable dans un laps de temps très réduit. D’autres rapports de Citron Research n’ont pas eu le même impact.

Epilogue

Finalement, Valéant s’est retrouvée visée par la SEC (régulateur des marchés financiers aux Etats Unis), par le Département de la Justice, 3 agences étatiques, et deux commissions du congrès. Elle a perdu 90% de sa valeur en six mois. Elle a changé de nom en juillet 2018.

Julien Riedinger

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