Magazine Cinéma
Résumé : Du Paris de l’après-Charlie aux élections présidentielles ; une traversée nocturne aux côtés de jeunes qui ne dorment pas : leurs rêves, leurs cauchemars, l’ivresse, la douceur, l’ennui, les larmes, la teuf, le taf, les terrasses, les vitrines, les pavés, les parents, le désir, l’avenir, l’amnésie, 2015, 2016, 2017 : l'époque.
« C’est quoi l’époque ? », s’interroge Matthieu Bareyre. Et Rose de lui répondre avec un humour triste et ravageur : « c’est le bruit que font les matraques sur nos têtes ou le bruit du choc des crânes de Valls et Macron bientôt ».
Une utopie en actes
À la violence de notre époque, L’Époque propose un dépassement de la crise. Il ne s’agit pas tant de montrer l’aprèsdu régime flico-capitaliste contemporain qu’une utopie en actes, une création politique par le geste même de combattre l’ordre policier. Et ce, par le recueil de témoignages d’une génération qui, aussi bigarrée soit-elle (comme toute génération), s’épuise dans le banal quotidien du monde moderne.« Je ne me sens libre que de 18h à 9h », dit une jeune femme rencontrée dans un bar. C’est dire à quel point la nuit – dans laquelle se déroule exclusivement le documentaire – revêt une fonction de modèle politique alternatif. Au cœur de la nuit, sublimée en tons rouges et jaunes, s’inventent d’autres modes de vie, libérés de l’injonction Travail/Famille/Patrie qui nous régente toujours. La bande des deux Sofiane et de leurs amis, jeunes banlieusards qui profitent de l’obscurité nocturne pour symboliquement s’approprier les mythiques Champs-Élysées ; DJ Soall, qui « [va] où le son [la] mène », vouée corps et âme à sa passion artistique ; Rose, qui, en plein mouvement Nuit Debout, passe ses soirées place de la République à déconstruire aussi bien les policiers que les manifestants de la bouche desquels sortent tant de stéréotypes raciaux. Autant de jeunes qui, à l’instar des personnages de La Zone du Dehors, sortent des sentiers battus pour bricoler une futaie de liberté.
Faites l’amour et la guerre
De moment volatil, la nuit devient espace où se tissent d’indestructibles liens humains. Aux glaçantes vitrines capitalistes (les grands magasins parisiens, la Canopée des Halles à son inauguration, les boutiques des Champs-Élysées…) qui ouvrent le film répondent les couleurs chaudes des DJ sets, des fumigènes et des barricades incendiées. Car entre toutes ces tactiques d’escamotage/sabotage, le montage ne tranche pas : il les juxtapose sur un plan d’égalité.Faire la fête, l’amour ou la révolution n’ont rien d’irréconciliables. Ce sont les actualisations diverses d’une même puissance : un inextinguible désir d’être, une force qui déborde les frontières. Qui a suivi un fumigène éclairant un cortège de tête nocturne sait à quel point l’engagement politique, la fascination esthétique et la chaleur humaine s’interpénètrent. On suit les lumières pour leur beauté et nous voilà à tenir une barricade contre les serviteurs de l’ombre. Qui s’est retrouvé dans les nuages de lacrymos sous une pluie de projectiles se rappelle parfaitement le sentiment qui l’animait sur le moment : non la peur, mais la joie de vivre au milieu de la mort.C’est quoi l’époque ? La quête de sensations dans un monde où l’on atrophie les sentiments.
L’Époque, Matthieu Bareyre, 2019, 1h34
Maxime
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