Cairn éditions, Morlàas, 2019.
Peux-tu nous présenter ton livre ?
Il s’agit d’étudier la société landaise du point de vue de sa « sociabilité », perspective conçue par Maurice Agulhon à propos de la Provence. Ces matériaux rassemblés il y a quarante ans, pour l’essentiel tirés de documents d’archives, sont toujours solides. Ils vont à l’encontre d’erreurs faussement affirmées çà et là sur les cercles ou le rugby, ou révèlent des institutions cachées comme l’assurance du bétail. C’est un travail d’historien. Ce livre permet aussi de prendre la mesure de l’évolution de l’anthropologie et de ce qu’il n’est plus possible de faire.
Et tu n’as pas eu envie de connecter la question de la sociabilité avec les pratiques actuelles ? Je pense notamment au rugby ou aux quelques cercles qui existent encore mais sans doute existe-t-il d’autres nouveaux lieux de sociabilité ?
Cela aurait réclamé une nouvelle thèse sur des sujets qui ne m’intéressent pas nécessairement. Le cercle actuel de ma commune où il n’y en avait jamais eu, est davantage un café-théâtre où se retrouvent une ou deux fois par mois des spectateurs venus parfois d’autres villages et qui n’ont pas entre eux d’autres liens. C’est une nouvelle institution aux liens plus lâches entre les adhérents. Dans les anciens cercles, tenus par une femme, ils se retrouvaient tous les jours. De même évidemment le rugby a profondément changé avec l’affaiblissement du « rugby des villages ». Et puis, peut-être surtout, je préfère enquêter sur des personnes avec qui je suis lié et j’habite dans une zone de foot.
Tu précises dans ton livre que l’anthropologie a bien changé depuis. Pourquoi alors publier ta thèse au bout de 40 ans ?
Justement, parce que les sources sont inattaquables. Ce qui manque ce sont les paroles de mes locuteurs, j’aurais dû avoir davantage recours aux entretiens ce qui m’aurait sorti du « juridisme » des archives, élaborées dans cette perspective. Ce que je propose est difficilement discutable mais j’aurais dû davantage m’occuper non seulement de ce que disent les gens mais la façon dont ils le disent : j’aurais dû faire de l’ethnopragmatique qui n’avait pas encore été inventée.
Tu oscilles depuis des années entre une anthropologie indigène, autour de pratiques « traditionnelles » de la société landaise, dont tu es un fin connaisseur, et une anthropologie qui se saisit d’objets divers : l’orthographe, l’économie… Tu milites alors pour une anthropologie d’avant-garde, l’ethnopragmatique. N’y a-t-il pas là un grand écart ?
Non, parce que si je défends la nécessité pour l’anthropologie de s’occuper de nouveaux objets, l’ethnopragmatique peut aussi traiter d’objets plus conventionnels de façon nouvelle. En ce moment, je reviens sur un sujet que j’avais travaillé il y a des décennies, la chasse. Mais la démarche est très différente aujourd’hui car je m’occupe désormais du détail des paroles de mes locuteurs et des jeux de langage qu’ils utilisent. J’y développe une chronique publiée dans ce blog le 20 décembre 2015, Mets-le à moi. L’important n’est pas la technique de chasse utilisée mais la façon dont on en parle, particulièrement révélatrice des interactions qu’elle suscite entre les chasseurs. Je ne décris plus de l’extérieur ce que font les gens mais j’interprète ce qu’ils disent afin d’accéder aussi finement que possible aux situations qu’ils vivent.
Dans ton livre, cibles-tu un public en particulier ?
Un public local avec des activités emblématiques – rugby, chasse… – et évidement le public cultivé intéressé par l’anthropologie et l’histoire. Mais je n’écris pas pour vendre des livres mais pour expérimenter des conceptions, des notions, des écritures, et aussi pour rassembler et susciter des informations.