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Le Modèle noir, de Géricault à Matisse. White gaze

Par Balndorn

Le Modèle noir, de Géricault à Matisse. White gaze

 Marie Guillemine Benoist (1768-1826)  Portrait de Madeleine, 1800
Dit aussi
Portrait d’une femme noire ; présenté au Salon de 1800 sous le titre Portrait d’une Négresse
Huile sur toile, 81 x 65 cm
Paris, musée du Louvre, INV 2508
Photo © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Gérard Blot 


Annoncée en grande pompe comme une « lutte contre l’invisibilisation des personnages de couleur dans les tableaux du XIXe siècle » (Le Huffington Post) ou comme une « sort[ie] de l’ombre [des] grands oubliés » (La 1ère), l’exposition Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, qui se tient actuellement au musée d’Orsay, s’émancipe-t-elle à ce point de tous préjugés raciaux ?
Des leurres du Progrès
Saluons la noble ambition de restaurer la dignité de personnes et personnages noir·e·s effacée par la critique d’art européenne. Inlassablement, les équipes du musée d’Orsay ont pendant plusieurs années traquer dans plusieurs fonds d’archives (Beaux-arts, correspondance privée, listes d’esclaves émancipé·e·s…) l’identité des sujets noirs représentés. Avec de belles réussites : on (re)découvre ainsi la carrière de Joseph, modèle afro-antillais célèbre au XIXe siècle (il figure dans Le Radeau de la Méduse) ; de Madeleine, première femme noire représentée par une artiste-peintre française, dont le tableau, précédemment nommé Portrait d’une négresse puis Portrait d’une femme noire, devient Portrait de Madeleine ; ou encore de Carmen, muse antillaise de Matisse.L’exposition, qui court de la seconde abolition française de l’esclavage (le moment Géricault) à la promotion de la négritude (le moment Matisse) en passant par la critique des institutions coloniales, propose un discours historique cohérent, au risque cependant de lisser les soubresauts de l’Histoire. On ressort de l’exposition avec l’impression d’une marche en avant du progrès émancipateur, ce bon vieux Progrès qu’on nous enseigne encore dans les salles de classes…Or, tout tableau, aussi émancipateur soit-il sur le plan des institutionssocio-politiques, n’est pas épargné par le racisme en matière relationnelle. Prenons la fresque de François-Auguste Biard, L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848, présentée comme un monument de la marche pour la dignité humaine. Or, quelle posture prennent les personnages noir·e·s ? L’humilité, la soumission, la gratitude envers le white savior. Le couple au centre brandit des fers brisés vers le Ciel ; un groupe implore la merci d’un député aux pieds du drapeau tricolore sur la gauche ; tandis qu’une femme baise les mains de deux maîtresses blanches. Comment peut-on oser qualifier d’« émancipatrice » une œuvre qui, par sa composition même, reproduit le vieil ordre racial – l’esclavage, devenu contre-productif pour les élites à force de critiques, en moins ? L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises le 27 avril 1848 célèbre d’abord le messianisme universaliste à la française, dont les ancien·ne·s esclaves ne sont que les figurant·e·s de l’épopée nationale.
Sous le regard du Blanc
À vrai dire, il manque au discours muséal l’analyse formelle de l’histoire de l’art. L’exposition privilégie les récits sociologique et historique au détriment d’une critique esth-éthique. Ainsi, La Case de l’Oncle Tom, roman pourtant largement décrié par la critique afro-américaine (W.E.B Dubois, la Harlem Renaissance, Malcolm X…) depuis sa publication, trouve sa place dans la scénographie sans qu’aucun carton ne remette en cause la posture humble, soumise et docile à laquelle l’écrivaine Harriet Beecher Stowe condamne les Noir·e·s. On peut dresser un parallèle entre Le Modèle noir et Silence, le dernier film de Martin Scorsese. Celui-ci, tellement obnubilé par la conversion des Japonais·e·s au catholicisme, en oubliait le contre-champ : que beaucoup de Japonais·e·s ne souhaitaient pas que le catholicisme fasse irruption dans leur mode de vie. Silencecomme Le Modèle noir sont des œuvres eurocentrées : seul compte le regard du dominant et jamais celui des dominé·e·s.Aussi généreuse se veut-elle, l’exposition du musée d’Orsay ne se dépare pas du white gaze, pendant racial du male gaze. En ne se concentrant que sur le regard blanc, elle laisse croire en effet que l’émancipation des Noir·e·s est d’abord le fait de la grande générosité des Blanc·he·s, alors que les progrès accomplis en la matière résultent essentiellement des luttes menées dans les colonies comme en Amérique. Tant que le discours officiel ne sortira pas de son autocélébration, d’émancipation, il ne sera point question…

Le Modèle noir, de Géricault à Matisse. White gaze

Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) Jeune Noir à l’épée, 1848-1849
Huile sur toile, 105 × 73 cm
Paris, musée d’Orsay, RF 2009 18 ; achat en 2009
© Photo musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, au musée d’Orsay jusqu’au 21 juillet 2019
Maxime
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