Le bilan économique des États-Unis en Trump-l’œil…
«Bilan». Entendez-vous la petite musique, entretenue savamment par ceux qui, au-delà de leurs opinions idéologiques, laissent parfois la moralité aux orties? Ainsi donc, le «bilan» de Donald Trump, alias président de la première puissance mondiale, serait «éblouissant», à dix-huit mois du prochain scrutin prévu le 3 novembre 2020. Au point que, l’autre jour sur RMC, le journaliste bateleur du libéralisme et du conservatisme réunis, Éric Brunet, posait dans son émission la question suivante: «Trump est-il déjà l’un des plus grands présidents américains de tous les temps?» Sachant que deux auditeurs sur trois lui donnèrent raison en conclusion du «Brunetmétrie» (organisé chaque jour, sur tout et n’importe quoi), nous eûmes droit aux arguments entendus çà et là depuis quelques semaines : chômage au plus bas, profits au plus haut, croissance autour de 3%, salaires des plus modestes en hausse, reprise de l’emploi dans les bastions ouvriers qui firent l’élection de Trump, etc. «Ce n’est pas seulement un bon bilan, s’esclaffa Brunet, c’est un miracle économique!» N’en jetez plus… En admettant, pourquoi pas, que la cote de popularité de l’hôte de la Maison-Blanche soit à son zénith (quoique stable depuis son élection, dans un pays plus clivé que jamais) et que, en effet, l’économie semble tourner à plein régime, n’oublions pas que, contrairement aux discours ambiants, de nombreux spécialistes des États-Unis affirment que l’essentiel de la «performance» actuelle est directement dû au «bilan» de son prédécesseur, Barack Obama, sans pour autant nier la façon dont Donald Trump a stimulé la croissance au début de son mandat. Pour mémoire, alors que les signaux économiques donnaient des signes de «reprise» après les catastrophes en cascade depuis 2008, rappelons que le nouveau boss du monde avait choisi une relance budgétaire par une baisse drastique de la fiscalité en faveur des entreprises, dont les profits étaient déjà très élevés, et du 1% les plus riches dans l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Un chroniqueur du Monde, cette semaine, s’interrogeait lui aussi sur le mode ironique: «Depuis s’installe l’idée que l’iconoclaste président aurait trouvé une martingale, au moment où tout le monde disserte sur la stagnation séculaire.» La méthode Trump ressemble d’ailleurs à ce que certains de ses aïeux purent pratiquer. Doubler le déficit budgétaire, par exemple, ce qui ferait presque rêver tout Européen opposé aux carcans austéritaires. Miracle ou mirage américain? Les États-Unis disposent de la monnaie de réserve dominante, ce qui leur permet, dixit le Monde, «de faire financer leurs déficits par le reste de la planète»…
Boomerang. Vous l’avez compris, Trump aurait donc réussi le «stress test» de sa propre personne, honnie par un États-Unien sur deux au moins.
Certains prédisaient une catastrophe pour cette «grande démocratie», qui ne se remettrait pas, et vite, de ce président outrancier, amoral, menteur et techniquement incompétent dès qu’il s’assoit dans le Bureau ovale. Mais l’homme est toujours en place, il prétend même se succéder à lui-même et il a peut-être raison d’y croire, après tout. Seulement voilà, l’atterrissage surviendra tôt ou tard, sans parler de cette prise de conscience collective au cœur de cette Amérique qui n’en finit pas de nous surprendre, souvent en mal, quelquefois en bien. Le bloc-noteur partage l’avis de ceux qui pensent que la façon dont Trump a stimulé la croissance laisse craindre un château de cartes, qui peut s’effondrer n’importe quand. Pour preuve, les dépenses publiques, de plus en plus orientées vers le budget militaire, qui a explosé de 5%, soit près de 650 milliards de dollars, autant que la totalité des neuf premières armées du monde derrière les États-Unis. Pendant ce temps-là, les moyens consacrés à l’éducation, aux infrastructures et plus encore à la réduction des inégalités s’amenuisent de manière absolument historique. Attention aux États-Unis en Trump-l’œil. Un boomerang revient toujours au visage de l’envoyeur…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 mai 2019.]