" De l'évidence expérimentale à l'utopie scolaire, et de l'utopie au changement, il y a le long et difficile chemin sur lequel le poids du présent et le scepticisme d'un système et de certains de ses acteurs compteront beaucoup. " (Michel Noir, le 6 mars 2002).
Ce dimanche 19 mai 2019, l'ancien député-maire de Lyon, Michel Noir, fête ses 75 ans. Que devient-il ? Rappelez-vous ! Il faisait partie des jeunes espoirs des années 1980, en plein gouvernement socialo-communiste. Comme d'autres jeunes espoirs, qui avaient une ambition aussi forte, il n'avait pas été un "enfant de chœur", à l'époque, se rappelle-t-il aujourd'hui lucidement.
Michel Noir a commencé sa vie active dans le secteur privé, comme directeur commercial puis consultant en ressources humaines. Très vite, l'engagement politique au sein du RPR (dont il fut rapidement secrétaire national) se déclina par des mandats électoraux : d'abord conseiller municipal à Lyon en mars 1977 (il le resta jusqu'en juin 1995), il fut élu député de Lyon en 1978 à l'âge de 33 ans, il a pris la succession du mythique Jacques Soustelle. Il fut ainsi élu et réélu député de mars 1978 à janvier 1997. Son allure grande, son charisme indéniable, en ont fait vite un des (jeunes) ténors de l'opposition dans l'hémicycle après la victoire de la gauche en 1981.
Fort de sa puissance personnelle, Michel Noir a décidé en mars 1983 de défier le maire sortant, le sénateur centriste Francisque Collomb (UDF) qui n'a pas compris tout de suite le danger. Lyon fut très longtemps une ville catholique à municipalité radicale-socialiste, et il était peu imaginable qu'elle tombât dans le gaullisme. Si Francisque Collomb fut réélu de justesse, les listes RPR de Michel Noir ont fait de très bons scores dans tous les arrondissements. Deuxième ville de France (par son agglomération), Lyon est évidemment un enjeu politique majeur, notamment pour Jacques Chirac, président du RPR (alors réélu maire de Paris avec le grand chelem, majoritaire dans les vingt arrondissements parisiens), qui souhaitait consolider son leadership sur toute l'opposition, y compris l'UDF. Prendre une telle ville à son allié ne lui aurait pas déplu !
Michel Noir a donc mis le pied dans l'ouverture de la porte. Il fut nommé adjoint au maire de Lyon chargé du développement économique et vice-président de la Courly (la communauté urbaine de Lyon) ainsi que (parallèlement) vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes.
Après la victoire de l'alliance UDF-RPR aux élections législatives du 16 mars 1986, il fut nommé dans le premier gouvernement de la cohabitation, dirigé par Jacques Chirac : il fut Ministre délégué auprès du ministre Édouard Balladur chargé du Commerce extérieur du 20 mars 1986 au 10 mai 1988. Après le premier conseil des ministres, très glacial, présidé par François Mitterrand, Michel Noir s'était confié à des journalistes, choqué que le Président de la République ne saluât aucun des ministres. Lors du deuxième conseil des ministres, avant de s'asseoir à son fauteuil, François Mitterrand a alors pris la peine de s'avancer devant Michel Noir pour lui serrer la main, le message avait été entendu.
Michel Noir était encore ministre (alors que l'hémicycle comptait 36 députés FN) quand il fit une déclaration, dans le journal "Le Monde" le 15 mai 1987, qui a fait beaucoup polémique : " Mieux vaut perdre son élection que perdre son âme. ". C'était pour dire qu'il valait mieux laisser un socialiste gagner que soutenir un candidat FN. Son collègue du gouvernement Alain Carignon, qui avait conquis à la fois la mairie de Grenoble (en mars 1983 à 33 ans) et la présidence du conseil général de l'Isère (en mars 1985) allait rejoindre rapidement la position très morale de Michel Noir, à l'occasion d'une élection cantonale partielle qui laissait au second tour un candidat PS face à un candidat FN. Alain Carignon n'avait alors aucune hésitation, il voterait pour le candidat socialiste.
Michel Noir s'était fait connaître à Lyon dans les années 1970 avec un stratagème de communication assez simple. Jeune père de six enfants, il demandait à chacun de ses enfants d'aller acheter des viennoiseries dans une boulangerie différente chaque dimanche. Au fil des dimanches, sa notoriété a commencé à grandir.
Nous voici maintenant en mars 1989, le sommet de sa carrière politique. Comme en mars 1983, rien ne l'a empêché de présenter ses propres listes contre le maire sortant Francisque Collomb, particulièrement vieillissant (78 ans). Surtout pas le RPR de Jacques Chirac (qui toutefois, ne le soutenait pas officiellement en raison des accords électoraux avec l'UDF). Pour tenter de repousser l'offensive, Francisque Collomb demanda à Raymond Barre de s'engager à ses côtés. Raymond Barre, peu attiré par la course aux mandats, avait échoué à l'élection présidentielle de 1988 et n'attendait plus grand-chose de la vie politique si ce n'était de commenter la vie politique et économique nationale en toute liberté (que je qualifierais de professorale). De plus, sa position locale avait été fragilisée par les élections législatives de 1986 à la proportionnelle : tête de liste, Raymond Barre n'avait fait élire que trois députés, autant que Charles Hernu, tête de la liste socialiste dans le Rhône.
En mars 1989, la victoire de Michel Noir fut incontestable, remportant tous les arrondissements. Honte suprême pour les listes de Francisque Collomb, Raymond Barre n'a même pas pu être élu conseiller municipal, tant la défaite fut grande. Michel Noir fut donc élu maire de Lyon et président de la Courly de mars 1989 à mars 1995. Il ne fut pas ingrat avec Raymond Barre qu'il nomma, bien que pas élu, responsable du rayonnement économique international de la ville de Lyon.
Il faut mesurer ce qu'il se passe dans la tête de ce jeune député très populaire, ancien ministre, et conquérant la deuxième ville de France : l'idée de devenir incontournable dans le paysage politique, l'idée de devenir irrésistiblement le futur Jacques Chirac. Il n'était pas le seul dans cette folle ambition présidentielle : Alain Carignon, maire de Grenoble avec un mandat d'avance, l'avait aussi acquise. Et plein d'autres jeunes loups de la nouvelle opposition au moment où le leadership naturel de Jacques Chirac vacillait, devenu le loser.
Dès le début du mois d'avril 1989, douze jeunes loups de l'opposition ont décidé de faire sécession. La démarche fut moins idéologique que stratégique : les élections européennes de juin 1989 se profilaient, avec le mode de scrutin idéal pour se compter et devenir une force là aussi incontournable. Ce fut l'aventure des Rénovateurs : douze personnalités, six RPR (Michel Noir, Philippe Séguin, François Fillon, Alain Carignon, Michel Barnier, Étienne Pinte), trois centristes ( François Bayrou, Bernard Bosson, Dominique Baudis) et trois PR (Philippe de Villiers, Charles Millon et François d'Aubert). Le mouvement fut véritablement lancé en mai 1989 mais les ambitions des uns et des autres se sont trop vite télescopées, si bien qu'aucune liste rénovatrice n'a pu se former, si ce n'est la liste centriste menée par Simone Veil qui fit un score médiocre (alors qu'en juin 1984, Simone Veil avait recueilli 43% des voix, score qui fait rêver aujourd'hui !). Le seul grand meeting de lancement des Rénovateurs a eu lieu à Lyon le 24 juin 1989, juste après les élections européennes, mais il n'a eu aucune suite. Finalement, malgré quelques semaines de flottements, les appareils du RPR et de l'UDF ont su reprendre le contrôle de l'opposition.
Pourtant, Michel Noir n'a pas accepté l'échec des Rénovateurs et a cherché à recommencer en quittant le RPR et en créant, avec François Léotard et Michèle Barzach, députée RPR de Paris, médecin et ancienne Ministre de la Santé de 1986 à 1988, le mouvement Force unie (reprenant le slogan de François Mitterrand en 1988, "la France unie"). Il lança ce nouveau mouvement lors d'une conférence de presse à l'hôtel Lutétia à Paris le 5 mars 1990 : " La chance, c'est qu'il n'y a pas d'élection très prochainement. Le 1er décembre, une assemblée constituante se formera. ". On appela ceux, très rares, qui s'étaient lancé dans l'aventure les "néo-rénovateurs". Cela devenait confus.
Au début du mois de décembre 1990, pour lancer médiatiquement son mouvement, Michel Noir a démissionné de son mandat de député pour provoquer une élection partielle. Il ne fut suivi que par deux autres députés, lui qui voulait provoquer un mouvement important au sein du groupe RPR. Seuls, son adjoint à Lyon, également député de Lyon, le professeur de médecine Jean-Michel Dubernard et Michèle Barzach l'ont suivi dans la démission. Le 3 février 1991, Michel Noir et Jean-Muchel Dubernard furent réélus députés à Lyon, tandis que Michèle Barzach, qui n'avait commencé sa carrière politique qu'en 1986, fut laminée à Paris par un candidat RPR investi par Jacques Chirac. Battue, Michèle Barzach quitta alors la vie politique encore plus vite qu'elle n'y entra.
La démonstration de Michel Noir n'avait pas été très convaincante. C'était déjà trop tard, les apparatchiks avaient déjà gagné (à savoir Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, secrétaire général et secrétaire général adjoint du RPR, et aussi, François Bayrou, devenu entre-temps secrétaire général adjoint de l'UDF, puis secrétaire général en 1991, à la mort accidentelle de Michel d'Ornano).
En mars 1993, le juge Philippe Courroye a mis en examen Michel Noir dans le cadre de ce qu'on appela l'affaire Botton (du nom de son gendre, homme d'affaires, Pierre Botton). Le retour de l'alliance UDF-RPR au gouvernement en 1993 allait se faire sans lui. De toute façon, ayant quitté le RPR, il était détesté par Jacques Chirac qui n'avait aucune envie de le rappeler comme ministre. Il ne représentait plus qu'un baron féodal.
Le milieu des années 1990 fut "terrible" pour ces deux anciens jeunes loups de Rhône-Alpes qui se croyaient tout-puissants dans l'impunité judiciaire : Alain Carignon a dû démissionner du gouvernement Balladur, et il fut même placé en détention provisoire juste avant les élections municipales, en 1995. Michel Noir fut condamné en appel le 10 janvier 1996 à dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans d'inéligibilité pour recel d'abus de biens sociaux. Mais à cette date, Michel Noir (qui est resté député jusqu'au 6 février 1997) avait déjà disparu des radars de la vie politique lyonnaise. Dans l'incapacité de se représenter aux élections municipales de juin 1995, le "noirisme" continua cependant après lui avec la candidature de son adjoint Henry Chabert, qui fut battu par Raymond Barre, devenu maire de Lyon comme ultime aventure politique avant son retrait politique.
De représentant de la "droite morale", celle qui préférait perdre une élection à son âme, Michel Noir représenta la droite immorale, celle des abus de biens sociaux, celle de l'argent facile. Les premiers atteints par la justice.
Alors qu'Alain Carignon (qui, lui, a été condamné à une peine de prison ferme) n'a jamais voulu quitter ses chimères politiques, sans jamais avoir réussi à revenir (même si à deux élections, il a bien failli revenir !), Michel Noir a définitivement abandonné la politique après sa condamnation, en profitant pour écrire quelques romans policiers.
Et c'est peut-être là le point le plus intéressant de son existence, parce qu'il a fallu beaucoup d'humilité à ce grand ambitieux détrôné, pour rebondir ainsi. Il a repris des études à l'Université de Lyon II pour soutenir le 6 mai 2002 une thèse de doctorat en science de l'éducation, sur " le développement des habiletés cognitives de l'enfant par la pratique du jeu d'échecs : essai de modélisation d'une didactique du transfert ". Cela explique la phrase énigmatique placée au début de mon article, qui correspond à la conclusion finale de sa thèse.
Ce travail n'était pas seulement pour l'honneur. Michel Noir avait un réel projet d'entreprise et il a créé sa start-up dès 2000, appelée "Scientific Brain Training", avec la collaboration d'un neurologue et d'un informaticien. La start-up a atteint un CA proche de 2 millions d'euros en 2005. L'objet de son entreprise innovante est de proposer des entraînements et optimisations pour la mémoire.
Un tel rebondissement, très rare dans la vie politique, où l'ancien homme politique se confronte personnellement à la vie économique, souvent féroce, donne une image finalement très contrastée de Michel Noir, plutôt globalement intéressante. Il aurait peut-être pu devenir Président de la République dans les années 2000 ou 2010, il n'en avait peut-être pas l'envergure, mais il aurait pu faire son chemin autant que d'autres anciens rénovateurs : François Fillon, François Bayrou, et aussi Philippe Séguin dont le sale caractère lui barra quelques routes indispensables. Des Douze, Michel Noir était, avec Dominique Baudis, l'une des deux personnalités les plus charismatiques du groupe. Mais leur ambition ne convergeait pas.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Michel Noir.
Gérard Collomb.
Raymond Barre.
Édouard Herriot.
Henry Chabert.
Francisque Collomb.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190519-michel-noir.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/16/37340572.html