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Pupille. Une touche d’humain dans ce monde de brutes

Par Balndorn

Pupille. Une touche d’humain dans ce monde de brutes
Résumé : Théo est remis à l'adoption par sa mère biologique le jour de sa naissance. C'est un accouchement sous X. La mère à deux mois pour revenir sur sa décision...ou pas. Les services de l'aide sociale à l'enfance et le service adoption se mettent en mouvement. Les uns doivent s'occuper du bébé, le porter dans ce temps suspendu, cette phase d'incertitude. Les autres doivent trouver celle qui deviendra sa mère adoptante. Elle s'appelle Alice et cela fait dix ans qu'elle se bat pour avoir un enfant. 
Malheureusement non récompensé aux César 2019, Pupille, sorti en fin d’année, se classe pourtant parmi les meilleures productions françaises de 2018. Car la petite histoire de Théo, enfant né sous X en attente d’une famille d’accueil, dépasse largement le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) : elle vaut comme modèle d’une autre société.
Esth-éthique du care
Malgré son triste acronyme, l’ASE remplit une fonction cruciale : accompagner les enfants « oubliés de la République » (Françoise Laborde et Michèle Créoff) et s’assurer de leur bonheur. Pupille rend justice à ces travailleuses de l’ombre – la majorité du personnel étant féminin –, trop souvent réduites à un rôle strictement administratif. En lui-même, le processus de visibilisation et de démystification de ces services méconnus du grand public est déjà plus que louable. Mais à cette dimension quasi-documentaire, la réalisatrice Jeanne Herry ajoute une très juste mise en scène, dont la beauté naît de la position à hauteur humaine. Ainsi, le cadrage privilégie les gros plans sur les visages et les gestes de chaque acteur de ce travail, signes de l’attention de l’autrice à l’humanité de ses personnages. De même, la musique est réduite au minimum, afin de ménager des espaces de silence où puisse pleinement s’exprimer le jeu très sensible des acteurs et actrices. Saluons là encore Élodie Bouchez, Sandrine Kiberlain et Gilles Lelouche, nominé·e·s mais non récompensé·e·s aux César, auxquel·le·s il faut adjoindre Olivia Côte.L’attention, le soin, le care : voilà les maîtres-mots esth-éthiques de Pupille. Pour touchante qu’elle soit, l’histoire de Théo ne sombre pas dans le pathos. Bien loin d’être pessimiste, la fable transmet au contraire un âpre optimisme – certes miné par les conditions de travail, les problèmes relationnels et les lourdeurs administratives, mais un optimisme tout de même. L’imbrication plurielle de personnes entourant le petit Théo vaut comme modèle social. À l’heure où la compétition, l’individualisme et la guerre de tous contre tous sont érigés en modes de vie, un film comme Pupille, prônant comme idéaux sociétaux l’entraide, l’affection réciproque et l’attention de chacun envers l’autre, a une immense valeur politique.
La puissance insoupçonnée des travailleuses
Jeanne Herry a-t-elle lu l’article de Pierre Rimbert ? ou Pierre Rimbert a-t-il vu le film de Jeanne Herry ? Quoi qu’il en soit, les deux se complètent admirablement. Dans son article « La puissance insoupçonnée des travailleuses », paru en janvier 2019 dans un dossier du Monde diplomatique consacré au « soulèvement français », Rimbert voyait dans les travailleuses, bien qu’assignées à des emplois jugés dégradants par le patriarcat (femmes de ménage, infirmières, assistantes maternelles, etc…), un « acteur historique » doué d’une « tâche universelle ». À voir Pupille, on comprend mieux cette phrase : « Assimiler les services vitaux à des coûts, évoquer ces bienfaits dispensés par des femmes dévouées plutôt que les richesses créées par des travailleuses permet d’éluder l’identité fondamentale des aides-soignantes, auxiliaires de vie ou institutrices : celle de productrices. Produire une richesse émancipatrice qui pave les fondements de la vie collective, voilà un germe autour duquel pourrait cristalliser une conscience sociale. »
Et voilà un germe autour duquel pourrait cristalliser un certain cinéma français.
Pupille. Une touche d’humain dans ce monde de brutes
Pupille, Jeanne Herry, 2018, 1h50
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