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Comment les Français ont déserté la politique- 629ème semaine politique

Publié le 01 juin 2019 par Juan
Comment les Français ont déserté la politique- 629ème semaine politique

N'en déplaise à ses détracteurs, Emmanuel Macron a gagné son pari: voici un nouveau scrutin encore une fois quasiment déserté.

Quelle mascarade...

Un électeur sur deux se déplace, c'est mieux que lors des précédents désastres... Quatre millions de citoyens supplémentaires sont venus voter par rapport à 2014, on applaudit chaudement. Malgré une offre politique ultra-large avec 34 listes, y compris le parti animaliste qui s'est offert le luxe de faire mieux que le clown neo-fasciste Philipot, les élections européennes en France ont rassemblé 14 millions de votants de moins que le premier tour de l'élection présidentielle en 2017. Quel succès ! Applaudissez ! L'autocratie en place et le parti médiatique s'en accommodent: l'Europe, invoquée à tout bout de champs en bouc-émissaire, projet ou excuse, ne serait pas un sujet "porteur".
C'est donc encore un désastre. Près d'un abstentionniste sur deux justifie sa décision par un constat d'échec - ce scrutin ne servirait à rien.
L'indifférence des citoyens, et surtout des classes populaires, est un échec avant tout... pour elles-même. Elle garantit la reproduction politique et le maintien au pouvoir des mêmes élites, par une mascarade où, le vote n'étant pas obligatoire, des listes finalement ultra-minoritaires, perdurent dans une illusion de majorité complaisamment commentée et aboyée par les principaux médias. Les éditocrates glosent sur des rapports de forces électoraux, qui ne sont finalement que des joutes entre quelques-uns, et pour quelques-uns.
Pour le scrutin européen, la France comptait 47 345 328 inscrits dont 330 000 étrangers européens. Et environ 10% des adultes en âge de voter ne sont pas inscrits. Au regard de ces 47 millions, les scores atteints par les 6 listes qualifiées pour avoir des élus au Parlement européen apparaissent ridicules. Et donc illégitimes. Le "Big Bang" politique est là, non pas dans les éventuelles fortunes et infortunes de tel ou tel parti politique français, mais dans l'incapacité collective à intéressée. Le "Big Bang" n'est pas politique, il est démocratique.
On doit s'interroger sur la légitimité de ce scrutin: la campagne a été sabordée par la Macronie. Les élus, tous listes confondues ne représentent que 12,9 millions de votes, soit 27% des inscrits.
Les fachos
Vague fasciste ? Vague brune ? En pourcentage des voix, l'extrême droite se porte bien. Le Parti Médiatique parle de "revanche", de "succès", de "victoire". De victoire sur quoi ? Avec 5 286 279 votes, le Rassemblement National a effectivement gagné 574 000 voix par rapport à 2014, et même un siège (avant l'effet du Brexit qui attribuera mécaniquement plus de sièges). Le score est louable pour un parti qui a montré toute sa nuisance et son inutilité au Parlement européen: détournement de fonds, votes négatifs systématiques même sur les options qui lui sont favorables, absentéisme massif, désertion de ses élus, etc...
Mais il a perdu 2,4 millions de voix par rapport au premier tour de la présidentielle en 2017.
Quel rassemblement !
Le parti des riches
Le parti du président Macron a tout tenté: cacher son programme jusqu'à la dernière minute, devenir écolo à la dernière minute, débaucher où il pouvait encore, tout en assumant une politique nationale de droite, conservatrice et répressive. Résultat, avec 5 078 781 votes, LREM fait mieux que les "centristes" de 2014, mais la comparaison est hasardeuse. Elle ne convainc que quelques légions d'idiot(e)s utiles encore persuadé(e)s d'être dans un parti de gauche et progressiste. LREM a en fait siphonné une large fraction de l'électorat de droite furibarde.
La plupart des responsables de La République en marche se réjouissent d’avoir consolidé le socle électoral d’Emmanuel Macron. Par rapport au premier tour de la présidentielle 2017, Nathalie Loiseau a réduit le socle macroniste de ... 3,7 millions de voix, rien que ça ! En deux ans, sur le coeur de son ADN politique (l'Europe), Emmanuel Macron a perdu près de 4 millions de suffrages.
Bravo.
Sociologiquement, le parti macroniste a presque atteint l'exact portrait des intérêts de classe qu'il défend: diplômés d'études supérieur, catégorie aisée, urbains (surtout parisiens), actifs ou retraités.
La "victoire" d'EELV permet aussi aux macronistes de laver plus vert. Les voici qui répètent depuis lundi qu'ils "s'allieraient" bien avec les écolos au Parlement européen ("Le groupe va être une charnière qui va pouvoir, en quelque sorte, être un moteur pour une alliance progressiste, et pourquoi pas avec les Verts" Sibeth Ndiaye, 28 mai). La belle affaire ! La Macronie est écolo... hors des murs franco-français. Faut-il prendre l'électrice et l'électeur pour si bêtes ?
Les écolos ... capitalisme-compatibles ?
Avec 3 054 521 suffrages et 13,5%, Jadot parle de "vague verte". Jadot a réussi son pari, être troisième dans une course perdue d'avance tant elle fut méprisée, massacrée, écrasée. Il double presque le score écolo de 2014 (1,7 million de voix), ce qui est gageure. Mais où est la "recomposition" politique ? Jadot "rebat les cartes à gauche" promet Paris Match. Comment ose-t-on parler de recomposition politique ? Les listes écologistes "officielles" ont toujours sur-performé aux scrutins européens par rapport à n'importe quel autre scrutin national (présidentiel, législatif) depuis 25 ans. C'est heureux, car la lutte contre le réchauffement climatique mérite tous les alliés possibles.
Mais comment interpréter les premiers pas du nouveau champion de la scène politique française ?
"La consolidation des votes du RN et de LRM et la chute des partis historiques de droite et de gauche bouleversent le rapport de force électoral" écrit le Monde. Ce rapport de forces n'est que électoral, c'est-à-dire issues des élections. Il ne représente pas la réalité politique du pays.
Yannick Jadot valide un publi-reportage exclusif dans Paris Match avec sa compagne, une journaliste politique de RTL qui démissionne après l'élection. Il prend ses distances avec la gauche sociale - "On va pas se mettre autour d'une table entre les anciens partis du XXe siècle pour faire des accords".
La droite furibarde
Le christique François-Xavier Bellamy, désigné par l'opportuniste énarque Wauquiez pour conduire la liste européenne des Républicains, n'a pas réussi à conserver cette large fraction de l'électorat filloniste de 2017 qui l'a quitter pour la Macronie. Avec moins de 2 millions de voix, la droite furibarde s'est fait tellement siphonnée de l'intérieur par Emmanuel Macron, que certains ont osé porter le sénateur Gérard Larcher en "tête de gondole" de la reprise en main...
Depuis deux ans, le président des ultra-riches conduit une politique plus à droite que Sarkozy en son temps: restriction des libertés publiques (secret des affaires, loi anticasseur, état d'urgence), privatisation du rail via la réforme de la SNCF, réduction des droits des salariés et des services publics, amélioration massive de la fiscalité des revenus du capital et des plus aisés, massives réductions de cotisations sociales pour les entreprises avec en contrepartie un plan d'économie sur la sécurité sociale, loi Asile et Immigration pour réduire le droit d'asile, etc. N'oublions pas l'incarnation physique par Macron lui-même - soutien de Sarkozy, affichage complaisant devant l’Église, restauration virile du personnage du "Chef de l’État" vis-à-vis de la presse et du public. Tout a été fait pour que l'électorat le plus conservateur s'y retrouve enfin. Au passage, le Parti socialiste a évité la disparition politique grâce à la fuite des rives macronistes de quelques-unes de ses ouailles.
La gauche toujours en vrac
Avec 1 428 548 votes, la France insoumise déçoit gravement. Avec ou sans le PCF, son allié de 2014, LFI fait mieux qu'en 2014, mais qu'importe. L'effondrement par rapport au premier tour de la présidentielle est indéniable (près de 4,5 millions de voix évaporées). Malgré la casse sociale et environnementale et la dégradation annoncée des services publics sous cette présidence des riches, malgré de nombreuses propositions européennes détaillées et une campagne déterminée et bienveillante, les insoumis ne sont pas parvenus à convaincre: la moitié de leurs électeurs de 2017 se sont abstenus, et un autre tiers est parti chez EELV ou le PCF.
Le Parti socialiste a été sauvé de la disparition du parlement européen. Réflexe de survie, quelques contingents de fidèles sont revenus au bercail, échaudés par la dérive droitière de Macron.
LFI, PCF, PS et Generation.s (Hamon) ont rassemblé plus de voix qu'en 2014, preuve que la désunion... ne paye pas. Chacun s'est évertué à se convaincre qu'il avait des différences irréconciliables avec son voisin - alors même que les élus de ces formations (Hamon exclu) votent dans le même sens dans 90% des cas à l'Assemblée nationale.
Les bases militantes et sympathisantes peuvent être écœurées: le tintamarre politique de cette opposition a permis de faire sombrer l'ensemble de l’échafaudage. Et provoqué un profond désintérêt.
Les bonnes surprises
Elles sont peu nombreuses, mais il y en a. Parmi les listes "exotiques", les plus furieuses ont été quasiment éteintes: la "Ligne Claire" conduite par Renaud Camus, grand prêtre du "Grand Remplacement" a recueilli moins de 2 000 voix en France. Ce Remplacement-là est enfin presque terminé. Le Gilet Jaune d'extrême droite Chalençon est également balayé, tout comme le parolier Francis Lalanne qui n'en finissait plus d'amuser la galerie. Et Florian Philippot, dissident souverainiste du FN et auto-proclamé président des Patriotes, a rassemblé quatre fois mois de suffrages que le Parti animaliste.
"Devancés par le parti animaliste, Les Patriotes remplacent Florian Philippot par un épagneul breton" Le Gorafi, 28 mai 2019.
Maigre consolation, les insoumis font jeu égal avec le RN auprès des 18-24 ans (14%), juste derrière LREM (17%) et EELV (23%).
Cacher ce bilan macroniste...
La manœuvre pour tuer l'élection européenne a été parfaite: de janvier à mars, le vieux-jeune monarque a lancé une "Blitzkrieg" sur les ondes radio-télévisuelles, inondant de sa présence des heures durant les plateaux de BFM, LCI, CNEWS et même France Culture, au motif de "répondre" aux Gilets Jaunes. Le Grand Débat, dont il n'est rien sorti de concret au gouvernement (au contraire, Macron a ensuite expliqué qu'il avait suffisamment "donné" lors de ses annonces de décembre 2018), a cette unique vertu de tuer dans l’œuf le débat européen naissant.
Ensuite, la liste puis encore plus tardivement le programme détaillé des macronistes ont été dévoilés. Avec une belle surprise, du green-washing à tous les étages dont on aurait aimé débattre et comparer avec l'immobilité agitée qui caractérise l'action environnementale de Macron en France depuis 2017. Raccourcir le temps de débat est une caractéristique de la Macronie pressée (hasard ou coïncidence, 48 heures après le scrutin européen, les députés macronistes votaient la réduction à une prise de parole de 5 minute par groupe politique pour toute discussion générale sur un texte de loi). Sans surprise, les sondages révèlent une évidente: une large majorité a trouvé la campagne européenne sans intérêt (61% d'après l'IFOP). Le désintérêt a été massif chez les classes populaires (66% parmi les employés et ouvriers; 57% chez les sans-diplômes.
Puis voici quelques mauvaises nouvelles, symboliques ou pas mais qui auraient pu impacter ce débat politique européen qui n'a pas eu lieu, qui ont été savamment reportées à l'après-scrutin.
  1. Le 29 mai, le Canard déterre un rapport publié discrètement où l'on apprend que déjà 21 ministres ont subi un redressement fiscal depuis leur entrée au gouvernement en 2017.
  2. Le gouvernement attend le 30 mai pour officialiser une hausse de 5,9% des tarifs réglementés de l'électricité, soit environ un coût supplémentaire de 85 euros par an pour les ménages se chauffant à l'électricité.
  3. A compter du 1er juin, les hauts fonctionnaires "récalcitrants" seront remplacés. C'est une purge qui ne dit pas son nom.
  4.  Le 30 mai, le lobby agroalimentaire ( l’association nationale des industries de l’alimentation, Coop de France, l’association des coopératives du secteur agricole, la fondation Avril, le Fonds français pour l'alimentation et la santé), dépose les statuts d'une coopérative qui vise à privatiser les données de qualité alimentaire, avec le soutien financier du gouvernement (3 millions de subventions ont été demandés). Il s'agit de gêner voire d'empêcher les applications citoyennes (Yuka, OpenFoodFact, etc) qui notent les produits alimentaires selon leur composition nutritionnelle et leur niveau de pollution.
Pire encore, l'échec de la "politique" industrielle éclate au grand jour avec une succession d'annonces détestables.
Le repreneur de l'usine Whirlpool à Amiens (Somme) annonce le 28 mai sa mise en redressement judiciaire, Mediapart détaille les coulisses de cette "sous-traitance d’un plan de licenciement d’un grand groupe" mise en place par Macron l'an passé et qui éclate aujourd'hui. Le groupe américain General Electric dévoile le même jour la suppression de 1.044 emplois sur ses sites de Belfort et de Bourgogne. Le gouvernement Macron confirme avoir "travaillé depuis des mois" sur le dossier, mais "sans connaitre l'ampleur du plan social". Ces gens-là sont soit des naïfs incompétents, soit des menteurs.
La politique industrielle de Macron révèle ainsi ses limites et son inefficacité brutalement après ce nouveau scrutin: sur tous les dossiers où il est intervenu avant puis après son élection (Alstom, Airbus, Whirlpool, GE, Ascoval), il a favorisé des alliances ou prises de participation aux détriments de l'activité sur le territoire national, favorisant le dépeçage ou le transfert pur et simple des métiers à l'étranger. Et sur les autres dossiers (Ford à Bordeaux), sa politique de l'offre, appuyé sur des défiscalisations massives qui vident les comptes publics et sans contreparties d'emploi (CICE notamment), laisse les salariés désemparés (loi Travail): "Depuis 2012, dans toutes les fonctions qu’il a exercées, (Macron) s’est employé à réduire tous les relais de l’industrie en France, à supprimer tout ce qui pouvait constituer une force" détaille la journaliste Martine Orange pour Mediapart, "à jouer à un Monopoly industriel ravageur, en s’instituant banquier d’affaires en chef de l’État. Pour lui, l’entreprise n’est qu’un objet à monétiser, une structure dont il faut extraire la valeur au plus vite."
La victoire des lobbies
Au niveau de l'Union,  même les Britanniques ont du voter. Et malgré l'effondrement politique de la Grande Bretagne après deux années infructueuses à négocier une sortie honorable de l'Union européenne et la démission de Theresa May, ce sont les Brexiters qui ont remporté une nouvelle fois le scrutin... Ailleurs en Hongrie et Pologne, l'extrême droite progresse de manière "spectaculaire."
Au lendemain du scrutin et toute la semaine qui s'en est suivi, les dirigeants européens ne sont pas étonnés, pas même secoué par cette désertion démocratique qui ne concerne pas que le France (les niveaux d'abstention en Europe de l'Est sont faramineux).

Le Parlement européen se retrouve une fois de plus sous la domination des forces libérales et conservatrices: la ALDE va se refonder pour accueillir les nouveaux élus LREM (avec 105 sièges). Elle sera l'alliée évidente du PPE, qui domine encore avec 179 sièges et, parfois, l'ECR (Conservateurs, 63 sièges), soit un total de 42% des sièges. "En face", les sociaux-démocrates font pâle figure: ils sont descendus à 153 sièges mais surtout nombre de leurs membres sont des alliés objectifs des forces conservatrices.
Cet ensemble sera dominant, ultra-dominant face à sa gauche encore sonnée (38 élus) et même les écolos et leurs 69 député(e)s. Or cet ensemble est aussi et surtout le plus perméable et le plus tolérant aux lobbies. Partout en Europe où il est au pouvoir, il appuie ou se fait le relais des lobbies économiques et industriels: loi sur le secret des affaires, report des engagements environnementaux, soutien aux privatisations lucratives, etc.
***
Weekend de l'Ascension oblige, le vieux-jeune monarque file au Fort de Brégançon se reposer. La piscine à 34 000 euros installée l'an passé a peut être été ré-installée.
Il paraît qu'il veut "travailler au calme".


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